Le sommet qui, les 6 et 7 décembre, réunit à Paris les chefs d’État africains a pour thème la paix et la sécurité. L’occasion pour la France, qui a perdu de son influence, et ses interlocuteurs africains d’élaborer une nouvelle relation ?
Ce sont les deux derniers chefs d’État africains à avoir été reçus à l’Élysée, en novembre, et ils en sont tous deux conquis. Le Togolais Faure Gnassingbé et le Guinéen Alpha Condé, à l’instar de la plupart de leurs pairs d’Afrique subsaharienne, estiment que François Hollande sort à son avantage de la comparaison avec son prédécesseur : les entretiens sont plus longs – de quarante à cinquante minutes en moyenne, au lieu des vingt minutes montre en main accordées par Nicolas Sarkozy – et le président français, qui écoute plus qu’il ne parle, s’abstient de donner des leçons.
Cette différence de style, appréciée de ses interlocuteurs, n’est évidemment pas la seule. La « cellule africaine » de l’Élysée a disparu et les fameux réseaux aussi. Certes, dans le grand bureau avec vue sur jardinet du no 2 de la rue du même nom, Hélène Le Gal et son adjoint, Thomas Mélonio, continuent de maintenir la tradition d’une adresse un peu à part. Les deux conseillers Afrique du président, s’ils reçoivent beaucoup – avec une prédilection décomplexée pour les acteurs de la société civile, les ONG et les opposants -, voyagent très peu sur le continent et ne parlent jamais au téléphone avec les chefs d’État, contrairement à une habitude « françafricaine » ancrée chez leurs prédécesseurs.
Pas question d’empiéter sur le territoire des diplomates du Quai d’Orsay, lesquels, profitant du peu d’appétence africaine de Laurent Fabius, ont repris sur les dossiers continentaux une emprise qu’ils avaient perdue depuis des lustres. À une nuance près : beaucoup sont désormais des « swahilisants », qui ont fait leurs classes en Afrique de l’Est ou en Afrique australe. Leur ministre de tutelle ayant décidé que la diplomatie économique devait être une priorité, ils ont une forte tendance à orienter leur activité en direction des pays anglophones ou lusophones émergents – Afrique du Sud, Nigeria, Kenya, Ghana, Éthiopie, Angola, Mozambique -, au détriment d’un ex-pré carré francophone qui ne représente que 19 % du PIB de l’Afrique subsaharienne.
François Hollande à la découverte de l’Afrique
Ce qui reste de relations personnalisées avec les chefs d’État revient donc à François Hollande. À cet égard, le président français a incontestablement évolué. Pendant sept mois, jusqu’au déclenchement de l’opération Serval au Mali, le 11 janvier 2013, il se tient à distance d’une Afrique qu’il connaît mal, où il n’a ni amis ni intérêts et dont il se méfie, quitte à faire preuve, comme lors du sommet de la Francophonie à Kinshasa, en octobre 2012, d’une froideur frisant la désinvolture.
Sa brusque transformation en général en chef sur le front de la lutte contre le terrorisme, ses déplacements à Bamako et à Tombouctou où il a l’impression de marquer l’Histoire, l’ouvrent sans transition aux réalités du continent. Physiquement, il découvre des sensations inconnues, tout comme il prend langue avec des alliés plus complexes qu’il ne le croyait et qui n’étaient pas a priori sa tasse de thé : Idriss Déby Itno, Blaise Compaoré, Alassane Ouattara, Faure Gnassingbé… En tête à tête ou au téléphone, Hollande consulte volontiers Mahamadou Issoufou, Goodluck Jonathan ou Mohamed Abdelaziz.
Les exigences de bonne gouvernance s’effacent peu à peu devant la nécessité d’inclure le maximum de pays dans une vaste coalition antijihadiste.
Résultat : les exigences de bonne gouvernance s’effacent peu à peu devant la nécessité d’inclure le maximum de pays dans une vaste coalition antijihadiste, d’autant que les États-Unis, leaders en ce domaine ailleurs dans le monde, ont en quelque sorte sous-traité ce rôle à la France dans toute la zone sahélienne. Les prises d’otages au Cameroun et le chaos centrafricain ont par ailleurs remis dans la course, aux yeux de l’Élysée, le rôle indispensable d’un Paul Biya ou d’un Denis Sassou Nguesso, un peu vite relégués au rang d’espèces en voie de disparition. Idem pour le Djiboutien Ismaïl Omar Guelleh, le maintien de la base française sur les rives du golfe d’Aden étant plus que jamais considéré comme stratégique.
Perte d’expertise sur l’Afrique francophone
Le vent de realpolitik africaine qui souffle désormais sur l’Élysée socialiste, au détriment des préoccupations droit-de-l’hommistes du début du quinquennat, n’est donc pas dû à des considérations commerciales ou à l’obligation de protéger des « amis de la France », mais à des motifs essentiellement sécuritaires. Le rôle et l’influence de l’armée, qui a la haute main sur le traitement de la crise malienne (et demain centrafricaine), sont ainsi essentiels auprès de François Hollande, soit directement via son chef d’état-major particulier, le général Benoît Puga, soit indirectement via le ministère de la Défense, que dirige le très proche Jean-Yves Le Drian.
Cela induit un évident tropisme dans l’approche des dossiers, comme le traduit l’intitulé du prochain sommet de Paris « sur la paix et la sécurité en Afrique », mais ne fixe pas pour autant une politique africaine globale dont on attend toujours la définition et l’identification autour d’une ou de deux personnalités capables, en dehors du président, de l’articuler clairement. Les « consommateurs » africains sont en effet un peu privés de mode d’emploi : à quelle porte frapper dans la mesure où à l’hydre des réseaux s’est substitué le maquis des centres de décision autonomes ?
Au ministère des Affaires étrangères, où l’on délaisse les vieilles relations sans en faire exister de nouvelles, la perte d’expertise sur l’Afrique francophone est frappante. La ministre déléguée à la Francophonie, Yamina Benguigui, donne l’impression de jouer les « bons flics » – avec des moyens plus que limités – auprès de chefs d’État que son collègue du Développement, Pascal Canfin, et la garde des Sceaux, Christiane Taubira, s’emploient à agacer – si ce n’est à fragiliser – en ne cachant guère la sympathie que leur inspirent les procédures en cours sur les « biens mal acquis ». Sans compter Bercy, où Pierre Moscovici joue sa partition, l’Intérieur, où Manuel Valls s’est découvert une urgence africaine, et même la présidence de l’Assemblée nationale, où Claude Bartolone, sous couvert de sa bonne ville de Noisy-le-Sec, dépêche parfois de discrets émissaires en Afrique centrale.
Ce qui est en jeu pour la France, ce n’est pas d’habiller de mots le processus continu de retrait de l’Afrique entamé il y a presque vingt ans, mais d’en inverser la courbe.
Si François Hollande a prononcé quelques beaux discours « africains » depuis son arrivée au pouvoir, lesquels tranchent assurément avec les leçons de Nicolas Sarkozy, la ligne politique censée les relier au quotidien demeure donc à tracer. Ce qui est en jeu, en effet, pour la France, ce n’est pas d’habiller de mots le processus continu de retrait et de désinvestissement de l’Afrique entamé depuis la dévaluation du franc CFA, il y a presque vingt ans, mais bien d’en inverser la courbe. Face à des interlocuteurs africains désormais portés par leurs taux de croissance à se montrer de plus en plus rugueux et exigeants, prompts, aussi, à faire jouer la concurrence et les rapports de forces, Paris a perdu de ses attraits et de son influence. L’illusion d’un sommet, si fréquenté soit-il, ne doit pas faire oublier cette douloureuse réalité.