Après deux ans d’attente, le quartier d’Angondjé, au Nord de Libreville, va-t-il devenir l’exemple de mixité sociale qu’il ambitionne d’être ? Reportage.
Parés de gilets fluo et de casques de chantier, une dizaine d’ouvriers sont à pied d’oeuvre dans la boue, pestant contre les grandes pluies qui compliquent la finition des travaux. Derrière eux, d’immenses blocs carrés aux couleurs pastel tranchent sur un ciel menaçant. Ces préfabriqués de taille identique alignés les uns à côté des autres semblent s’étendre à perte de vue.
Le chantier touche à sa fin mais le temps presse. Avant la fin de l’année, l’Agence nationale des grands travaux (ANGT) doit livrer près de 1 800 logements sociaux neufs dans cette zone du nord de Libreville et compte bien respecter ce calendrier. Entre les négociations avec les « squatteurs », les travaux de viabilisation et les tergiversations sur le choix des matériaux, le projet a déjà pris un an de retard.
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Objet d’une intense campagne de communication, le vaste nouveau pôle urbain d’Angondjé est censé incarner la ville idéale, être le modèle d’une politique d’urbanisation axée sur une mixité sociale et fonctionnelle qui s’étendra ensuite au reste du pays. À terme, ses lotissements devraient accueillir près de 120 000 habitants pour répondre à la crise du logement qui frappe Libreville, où vit plus de la moitié de la population gabonaise. Et il y a urgence : la capitale a besoin de logements par milliers pour mettre fin à l’habitat précaire et insalubre de ses « quartiers sous-intégrés », c’est-à-dire ses bidonvilles.
Depuis plusieurs années, les cases en tôle disparaissent sous la pression des bulldozers, les chantiers métamorphosent le paysage d’Angondjé – autrefois délaissé car trop éloigné du centre névralgique de la capitale. Certains de ses quartiers résidentiels ont déjà adopté le nom des entreprises de BTP chargées de les réaliser, comme la cité Entraco (société gabonaise). Le développement de la ville nouvelle s’est accéléré avec l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations en 2012. Tout autour du stade de l’Amitié-Sino-Gabonaise, construit pour l’événement, des routes ont été tracées et de coquettes villas bâties. Fin 2012, un centre hospitalo-universitaire (CHU) ultramoderne a ouvert ses portes. Conçu selon les normes internationales, il compte environ 170 lits et abrite un institut de cancérologie.
Des préfabriqués adaptés au terrain marécageux
Depuis les jardins de l’hôpital, les patients ont désormais une vue plongeante sur les logements sociaux, dont la livraison a été maintes fois repoussée. En mai 2012, Henri Ohayon, alors directeur de l’ANGT, annonçait que les 1 000 premières unités seraient achevées en décembre de la même année. C’était sans compter la vingtaine de familles « squatteuses » auxquelles se sont heurtés les ouvriers. « On a dû négocier leur départ pendant des mois », raconte un responsable de l’ANGT, assurant que tous ces « habitants informels » ont été relogés. Puis il a fallu assainir et viabiliser les terrains.
Pour que la première tranche de logements sociaux soit terminée avant la fin de l’année, l’agence a opté dans un premier temps pour des préfabriqués, réalisés rapidement à des coûts modérés. Les chantiers ont été confiés à des entreprises turques spécialisées, dont Dorce et Afrika Rönesans, qui ont dû satisfaire à des exigences particulières dans la conception et le choix des matériaux, afin que les préfabriqués soient adaptés au terrain marécageux et au climat.
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Mixité sociale oblige, les programmes immobiliers proposent un éventail de logements individuels ou collectifs adaptés à tous les portefeuilles et qui seront tous connectés au réseau d’eau et d’électricité de la Société d’énergie et d’eau du Gabon (Seeg). Un luxe à Libreville où, hormis sur le bord de mer, peu de quartiers sont alimentés quotidiennement en eau potable. Un centre de traitement des eaux usées devrait même remplacer les fosses septiques d’ici à la fin de 2014, en acheminant les effluents vers les stations de traitement par « effet de succion ».
Outre les 30 % d’habitats sociaux à bas coûts pour les Librevillois venus des « quartiers sous-intégrés » de la capitale, une grande partie des projets est consacrée à l’habitat social intermédiaire, susceptible d’intéresser les fonctionnaires. Mais des programmes haut de gamme sont aussi en construction. Notamment un lotissement de maisons et d’appartements « en dur », plus chers et plus confortables, situé à quelques centaines de mètres des parcelles réservées aux logements sociaux, sous la houlette de la Société nationale immobilière (SNI). Restera à trouver des mécanismes de financement pour permettre aux plus modestes d’accéder à la propriété, le prix d’achat moyen d’un logement social oscillant tout de même entre 20 millions et 30 millions de F CFA (entre 30 500 et 46 000 euros).
Fast-foods, espaces de loisirs, hôtels : la vie quotidienne s’anime. © David Ignaszewski pour J.A.
Angondjé se « boboïse »
Conçue et construite dans le respect des principes édictés par le SmartCode, un modèle international de développement urbain qui place l’aménagement durable au centre des priorités, la ville nouvelle devra aussi constituer un exemple de mixité fonctionnelle, à l’opposé d’une cité-dortoir. Les zones d’habitat devront donc comprendre des commerces, des écoles maternelles, des espaces verts et des bureaux, tout en étant desservies par un bon réseau de routes et de chemins… « Il faut que les gens puissent vivre et travailler à Angondjé sans se rendre dans le centre-ville tous les jours », explique Virginie Akele Mozogo, la directrice de communication de l’ANGT.
En attendant, face au manque d’espace constructible dans la capitale, la bourgeoisie a reporté ses appétits immobiliers sur les quartiers périphériques. En quatre ans, bon nombre des parcelles de brousse d' »Angondjé la nouvelle » se sont transformées en paisibles îlots résidentiels. « Depuis que les routes ont été goudronnées, tout le monde veut s’installer ici », assure Blaise, locataire depuis trois mois. Même s’il n’a pas d’eau potable – le réseau de distribution et les raccordements ne sont pas encore réalisés dans son quartier -, le jeune entrepreneur ne semble pas découragé. Il s’est résigné à suivre l’exemple de ses voisins : « Je me suis acheté une cuve avec suppresseur et le génie militaire me ravitaille en eau chaque semaine pour 20 000 F CFA », explique-t-il. Quand on a les moyens…
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Appâtés par un prix au mètre carré enfin abordable, promoteurs et particuliers aisés se sont rués sur les terrains défrichés pour y faire construire, à l’abri de hauts murs, des maisons luxueuses avec jardins, gardiens et piscines. Plus discrète et moins bling-bling que le très chic quartier voisin de la Sablière, où vivent membres de la famille présidentielle et Gabonais fortunés, Angondjé se « boboïse ». Autour des nombreux ronds-points qui jalonnent ses artères principales, fast-foods à l’occidentale, espaces de loisirs et hôtels ont fleuri. Flairant la bonne affaire, Jimmy a ouvert un club de fitness avec sauna et hammam. « Les gens du coin n’ont qu’à traverser la rue pour faire du sport. En deux semaines, j’ai déjà gagné une bonne clientèle », sourit le jeune homme, qui met en avant son programme minceur pour les dames.
Au volant de leur 4×4, on croise désormais le footballeur Daniel Cousin, capitaine des Panthères du Gabon, et d’anciens caciques du régime, tel René Ndémezo’o, l’ex-ministre des Sports, ou Flavien Nziengui Nzoundou, l’ancien ministre de l’Équipement et de la Santé. Conséquence : les prix commencent à grimper. « Certains notables ont accaparé beaucoup de terrains pour construire des maisons et les louer. Si l’on n’a pas 500 000 F CFA à dépenser dans un loyer, il est difficile de trouver quelque chose à Angondjé », confirme un urbaniste. Et de conclure, un brin dubitatif : « On verra si les logements sociaux vont réellement garder leur fonction… »