État et mairie se renvoient la responsabilité du ramassage des déchets. Pendant ce temps, les tas d’ordures s’élèvent toujours plus haut.
« Arrêtez-vous à la prochaine poubelle ! » À Libreville, les montagnes d’ordures servent parfois de points de repère aux chauffeurs de taxi et à leurs clients. En quelques années, l’insalubrité est devenue la bête noire des habitants. Un dossier explosif dont le nouveau maire devra faire sa priorité.
Les immondices s’entassent sur plusieurs mètres et macèrent parfois pendant des semaines sous une chaleur étouffante avant d’être évacuées. Dans les quartiers populaires, les odeurs nauséabondes ulcèrent les résidents, qui se sentent abandonnés par l’État. « Cela fait des années que ça dure. Les déchets atteignent la rue et bloquent même la circulation », s’indigne Christian, un vendeur de chaussures de la cité Mébiame, un quartier enclavé. Alors qu’il dit payer une taxe de propreté mensuelle de 24 000 F CFA (36,50 euros), le boutiquier voit régulièrement son pas-de-porte obstrué par les détritus.
La Société de valorisation des ordures ménagères du Gabon (Sovog) semble avoir abandonné la partie depuis longtemps. En octobre 2012, exaspéré par l’incapacité de l’entreprise à remplir sa mission, l’État a décidé d’entrer dans son capital à hauteur de 70 % et l’a rebaptisée Compagnie pour l’entretien, l’assainissement et le nettoyage (Clean Africa).
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Les eaux usées se déversent d’un quartier à l’autre
Mais un an plus tard, les choses ont empiré. Les bacs à ordures ne sont toujours pas vidés (ou rarement), car personne ne sait où les déverser. L’unique décharge, située à Mindoubé, en périphérie, est saturée. Et avec le début de la saison des pluies, les eaux usées se déversent d’un quartier à l’autre, augmentant les risques sanitaires.
Sylvia Bongo Ondimba, la première dame, s’en est émue mi-octobre : « Le problème de la propreté à Libreville devient une question de santé publique. La saleté et ses effets indirects ont des conséquences sur la santé de tous. Qu’attendons-nous, une épidémie de choléra ? »
Las, l’État et la mairie ne cessent de se renvoyer la responsabilité du scandale. Jean-François Ntoutoume Emane, l’impopulaire maire sortant, y a d’ailleurs laissé des plumes. Affaibli par un bilan très critiqué, il ne s’est pas présenté aux municipales de décembre.
Fin octobre, alors que ces élections approchaient, le gouvernement a réagi et lancé un « plan d’urgence » qui, comme son nom l’indique, ne résoudra rien à long terme : le ministre de l’Intérieur a envoyé l’armée ramasser les ordures avec des engins lourds. En outre, une « police des poubelles » s’assure que les riverains ne déposent pas leurs ordures dans les bacs en dehors des horaires prévus à cet effet – de 18 heures à 21 heures – sous peine d’amende.
De son côté, le graffeur Régis Divassa, 34 ans, lutte avec ses propres armes : une bombe de peinture et une bonne dose d’humour, tapissant les murs de la capitale de tags pour sensibiliser les citadins à la propreté. « C’est un acte politique, une forme de rébellion pour interpeller l’opinion », explique l’artiste, qui n’attend rien des politiciens.
Il s’adresse directement au makaya (« l’homme de la rue »). Il tague « Libreville-la-Belle » à 2 m d’un dépotoir, « Défense d’uriner » sur un mur qui sert de latrines aux fêtards du quartier…
« Un graff, c’est comme un tableau : si les gens voient quelque chose de beau sur un mur, ils ne pissent pas dessus », affirme ce touche-à-tout, à la fois décorateur de cinéma et rappeur. Et de conclure : « Tout ça, c’est la faute de l’État. Mais l’État, c’est qui ? C’est vous, c’est moi, c’est nous. »