Ils doivent l’essentiel de leur jeune carrière politique à leur patronyme. Leur ambition, réelle ou supposée, nourrit fantasmes et critiques. Mais pour les fils de présidents africains, le plus dur reste de se faire un prénom.
Soyons objectifs. La triade magique père-fils-pouvoir et la sagesse pleine de bon sens d’un Confucius (« quand père et fils sont d’accord, la famille prospère ») ne s’appliquent pas qu’aux Africains. Bush, Kim, Gandhi, Bhutto, Assad, mais aussi Mitterrand, Chirac, Sarkozy : la liste des enfants de chefs d’État – démocrates ou autocrates – dont la carrière politique doit beaucoup à leur patronyme est longue et planétaire. Mais c’est en Afrique que cette tentation dynastique est la plus forte et, depuis que le Printemps arabe a balayé les velléités népotistes du Caire à Tunis en passant par Tripoli, plus spécifiquement en Afrique subsaharienne.
Trois présidents francophones en exercice, Ali Bongo Ondimba, Joseph Kabila et Faure Gnassingbé (auxquels il convient d’ajouter le cas à part de l’anglophone Uhuru Kenyatta), sont des « fils de ». Arrivés au pouvoir après le décès de leurs pères, sans y être forcément préparés et via des élections contestées, tous trois ont adopté une démarche similaire pour contourner leur déficit initial de légitimité. Sortir de l’ombre du géniteur, écarter sans états d’âme l’entourage, y compris familial, diriger différemment – si ce n’est autrement – et moderniser la gouvernance en y introduisant une dose de rationalité et une touche de nouvelles technologies : le résultat, il faut le reconnaître, n’est pas déshonorant. Qui niera que le Gabon, le Togo et même la RD Congo sont plutôt mieux gérés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient lors des dernières années au pouvoir de Bongo, Eyadéma et Kabila pères ?
Il aura fallu, pour en arriver là, que les fils endossent la toge de Brutus, parricide d’autant plus aisé qu’il était post mortem. Combien sont-ils, aujourd’hui, à attendre dans l’antichambre du Sénat que César leur cède le trône ? Impossible de s’engager sur ce terrain, car, même en imaginant que tous les fils de président nourrissent cette ambition – ce qui n’est vraisemblablement pas le cas -, un seul a jusqu’ici fait son « coming out » et c’est sans doute le plus controversé de tous. « Teodorino » Obiang Nguema, plus connu pour ses frasques dépensières que pour ses capacités d’homme d’État, ne cache pas sa volonté de succéder à son père à la tête de la Guinée équatoriale, tout comme ce dernier ne fait pas mystère de son souhait de voir son fils prendre sa relève. Les autres, y compris ceux qui ont l’honnêteté de reconnaître qu’ils ne s’interdisent rien, tel Denis Christel Sassou Nguesso, hésitent encore à s’engager sur cette voie périlleuse où se sont déjà fracassés les destins de Karim Wade, Seif el-Islam Kaddafi ou Gamal Moubarak.
Le maintien de la captation du pouvoir par une famille
Si être le « fils de » confère incontestablement des privilèges, parfois exorbitants, et fournit à qui veut la saisir une courte échelle vers les sommets ; si, pour les pères, promouvoir l’un de leurs descendants est à la fois une assurance retraite et la certitude de continuer quelque part à exercer le pouvoir, y compris depuis l’au-delà, chacun sait en effet que ce type de dévolution n’a pas bonne presse. Aux yeux de l’opposition et d’une partie de l’opinion, elle représente le contraire de l’alternance et le maintien de la captation du pouvoir par une famille : « Son seul délit, c’est d’être le fils d’un chef d’État africain ! » s’insurgeait ainsi le 17 décembre l’ex-président sénégalais Abdoulaye Wade, interrogé sur le sort de son fils Karim, emprisonné à Dakar depuis huit mois.
Avis donc aux émules d’Ali, de Faure ou de Joseph : s’ils veulent succéder à leurs pères munis de l’onction démocratique – ce qu’aucune Constitution au monde, après tout, n’interdit -, ils devront passer le test d’une élection transparente et pour cela se montrer exemplaires, acquérir une légitimité autre que filiale, s’imposer par leur travail plutôt que par leur naissance et faire en sorte que les avantages dont ils ont joui ne se transforment pas en autant de handicaps. Les critères sont, on le voit, particulièrement exigeants. C’est toute la différence entre une république et une monarchie.