Les magistrats seront-ils libres de mener l’opération « mains propres » ? Une campagne anticorruption qui menace l’opposition comme la majorité.
Un haut fonctionnaire, membre du parti au pouvoir, placé en détention préventive. Plusieurs personnalités à qui la Cour des comptes a enjoint de justifier leur gestion des dépenses publiques, dont l’ancien Premier ministre passé dans l’opposition, Jean Eyéghé Ndong, et auditionnées au sujet de malversations présumées. Des entreprises sommées de rembourser les avances considérées comme indues pour des infrastructures jamais sorties de terre.
Autant de signes annonciateurs d’une campagne anticorruption inédite au Gabon, autour des fêtes tournantes et des programmes de développement financés à l’occasion des célébrations de l’indépendance. Quelle que soit l’ampleur de cette opération « mains propres », elle marquerait la fin d’un tabou, qui tenait les magistrats à l’écart des affaires de détournement d’argent public.
Pour l’instant, la classe politique a été plutôt épargnée par le couperet judiciaire, échappant au sort de ses homologues camerounais, décimés par l’opération anticorruption Épervier en 2006. Néanmoins, les premières procédures judiciaires ont suffi à provoquer l’hystérie à Libreville, où l’idée de rendre des comptes au sujet de l’argent public ne rentre pas dans les moeurs politiques.
Instrumentalisation de la justice ?
Les opposants concernés ont dénoncé une instrumentalisation de la justice par l’exécutif dans le but de les neutraliser. Ils ont raison de trembler. En effet, selon le code pénal en vigueur, « tout fonctionnaire ou agent de l’État ou des collectivités publiques qui aura détourné ou soustrait des deniers publics ou privés […] à l’occasion de ses fonctions sera puni de la réclusion criminelle à perpétuité si les choses détournées ou soustraites sont d’une valeur supérieure à 250 000 francs ».
Le 29 août, Eyéghé Ndong a lui-même annoncé – après avoir nié toute malversation -, être soupçonné d’avoir détourné, entre 2006 et 2007, plus de 98 milliards de F CFA (près de 150 millions d’euros).
Toujours membres de la majorité ou passés à l’opposition, aux affaires ou retirés de la vie publique, les responsables du détournement de l’argent des fêtes tournantes n’ont jusqu’à présent jamais été inquiétés. Dès lors, l’annonce de cette campagne anticorruption sonne comme une menace, y compris dans les rangs de la majorité. Une justice enfin libre de traquer les hors-la-loi mettrait-elle en danger l’ensemble du marigot politique ?
Mis en cause, Jean Eyéghé Ndong est prêt à passer à table et à faire des révélations sur la corruption au sommet de l’État, éclaboussant le pouvoir.
Reste que le déclenchement des poursuites dépend de la volonté de l’exécutif. Selon les lois gabonaises, le procureur ne peut rien entreprendre s’il n’est pas saisi par le ministre des Finances, la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite ou toute autre autorité à qui la Cour des comptes a notifié sa décision.
Afin de décourager le gouvernement de laisser les mains libres aux magistrats, Jean Eyéghé Ndong a promis qu’il ne l’épargnerait pas. Mis en cause, l’ancien chef de gouvernement est prêt à passer à table et à faire des révélations sur la corruption au sommet de l’État, éclaboussant le pouvoir.
Cela suffira-t-il à enrayer la machine judiciaire ? Seul l’avenir le dira. En attendant, rien n’interdit aux personnalités mises en cause de produire les éléments susceptibles de les disculper et, ce faisant, de se laver de tout soupçon…
Jean Eyéghé Ndong répond à J.A.
Publié dans votre édition datée du 7 au 13 septembre (J.A. nº 2800), l’article intitulé « La fête est finie » mentionne mon nom à trois reprises au sujet d’une « opération mains propres » engagée par les autorités gabonaises. Certes, deux arrêts de la Cour des comptes laissent entendre que j’aurais « reçu » du Trésor public les sommes de 1 milliard de F CFA et de 97 milliards de F CFA (sur une enveloppe globale de 100 milliards de F CFA) en ma qualité de président du Comité des fêtes tournantes de la province de l’Estuaire. Je tiens à préciser que je n’ai jamais été le gestionnaire financier de ces fêtes. Je ne saurais donc produire des comptes de gestion sur des dépenses que je n’ai nullement effectuées. C’est à la Cour des comptes, qui semble me soupçonner d’avoir détourné ces sommes, d’en apporter les preuves. Je suis un justiciable qui attend que démonstration soit faite de sa culpabilité.
Jean Eyéghé Ndong, ancien Premier ministre, Libreville, Gabon
Note de la rédaction
Nous avons évoqué l’existence d’un ensemble de procédures et cité les personnes visées sans jamais préjuger de leur culpabilité ou de leur innocence. Ce travail incombe aux magistrats et non aux journalistes.