Dans le fief de l’ancien président gabonais Omar Bongo Ondimba, les demeures laissées à l’abandon illustrent le changement d’ère. Les cartes du pouvoir sont aujourd’hui redistribuées.
On ne peut pas la rater. Sur la droite de la R16, à la sortie de Franceville, la majestueuse résidence s’impose, au milieu du paysage de savane. « Ce château a été construit par un ancien ambassadeur qui n’a plus d’argent pour l’entretenir », ironise notre chauffeur, qui se plaît visiblement à s’improviser guide touristique des résidences abandonnées dans le Haut-Ogooué. Les propriétaires de ces belles demeures ont été ministres, directeurs généraux, ambassadeurs… Dans une autre vie.
Celle des années de prospérité pétrolière et du temps d’Omar Bongo Ondimba (OBO), l’ex-président, né à une trentaine de kilomètres de Franceville, à Lewaï, devenue Bongoville en 1972.
Alors qu’ils étaient aux affaires, qu’ils travaillaient et vivaient à Libreville, ils ont fait construire de vastes demeures dans leur province d’origine. « C’était l’affichage de la réussite, explique un enseignant de l’Université Omar-Bongo (UOB) de Libreville. Feu le président Bongo n’y voyait aucun inconvénient. Il fermait les yeux sur les excès et ne voulait y voir qu’une volonté de doter Franceville et la province d’un visage moderne. »
Sauf que, mis sur la touche par Ali Bongo Ondimba à partir de 2009, les barons de la province ont perdu de leurs capacités financières et ont dû réduire leur train de vie. On ne compte plus les demeures aux façades décrépites, aux murs lézardés et aux jardins colonisés par l’herbe folle. « Là, c’est celle d’un ancien commandant de la Garde républicaine qui vient de décéder. Ses enfants ne peuvent pas faire face aux dépenses », pointe notre guide en arrivant à Ngouoni.
S’ensuit alors un curieux tour de la bourgade. Près du centre-ville s’étend le vaste domaine d’un ancien aide de camp d’Omar Bongo Ondimba. Ici aussi, les murs sont plus que défraîchis. Plus loin, nous voilà devant la résidence d’un autre général et ancien ministre, qui, lui, est parvenu à se maintenir à l’Assemblée nationale. Et ça se voit : la demeure est bien mieux entretenue
Folie architecturale
À Bongoville, Akiéni, Lekoni, Okondja, c’est comme ça. Il y a ceux dont les étoiles ont pâli, et ceux, plus jeunes, qui ont profité du renouvellement de l’élite au pouvoir pour se faire une place au soleil. Des dizaines d’amis d’OBO sont restés sur le carreau lorsque le Palais du bord de mer a changé de locataire. Et dans le Haut-Ogooué, on sait désormais à quel point la fin de leurs privilèges est douloureusement ressentie. D’autant que dans cette province, très avantageusement pourvue en hauts fonctionnaires, on avait vécu pendant quarante et un ans dans un sentiment d’éternelle abondance, à l’instar du débit du fleuve Ogooué qui jamais ne tarit.
Omar Bongo Ondimba était resté attaché à Franceville, où il a été inhumé le 18 juin 2009. C’est grâce à lui que le petit poste de transbordement et de transit fondé en 1880 par Pierre Savorgnan de Brazza a bénéficié d’un développement fulgurant. Érigée en commune en 1972, dotée d’un aéroport international en 1973, pourvue en infrastructures (des routes, des hôpitaux, une université, une école polytechnique, un parcours de golf, etc.), Franceville est devenue la grande ville de l’est en même temps que le fief politique du président. « Son successeur n’a pas voulu du costume de chef batéké traditionaliste et paternaliste. Il préfère celui d’une élite mondialisée », explique un observateur politique.
La folie architecturale des barons du Haut-Ogooué s’est nourrie de la mansuétude de leur ami « Omar » à l’égard des gestionnaires de toute évidence indélicats. C’est lui qui avait donné à ses protégés le goût des résidences somptueuses. Même si lui les aimait plus simple, étendues, à l’horizontale, entourées de grands espaces verdis de pelouses et de plantes.
Certains partagent ce goût des grands espaces, à l’instar d’Henri Claude Oyima, le patron de BGFI Bank, dont le domaine familial de Ngouoni couvre plusieurs hectares et comprend plusieurs villas sans luxe tape-à-l’oeil. Rien à voir avec les délires grandiloquents aux confins de la mégalomanie qui ont guidé les architectes de ces grosses résidences secondaires faites pour être vues de loin dans ce paysage de collines et de savanes…
Décapiter la nomenklatura locale
Bien évidemment, les privilégiés d’hier ne sont pas contents de leur mise à l’écart. Certains la vivent même comme une injustice, eux qui se sont ralliés à « Ali » en 2009, lorsqu’à la suite du décès du « doyen » d’anciens membres du parti au pouvoir ont décidé de se porter candidat contre son fils.
Ce dernier a fait le plein des voix dans la province. « Pendant toutes ces années, chacun d’entre eux, se considérant comme un soutien indispensable du pouvoir, attendait d’être payé en retour. Ils doivent comprendre que l’époque a changé », poursuit notre observateur. Entre distance et hauteur, la méthode plaît, à bien des égards, mais heurte certaines sensibilités.
La vox populi n’est pas insensible à ces « humiliations » subies par les « grands frères ». On prête même au président le machiavélique dessein de vouloir décapiter la nomenklatura locale pour affaiblir de potentiels rivaux. Et ceux qui ont perdu leur position de pouvoir, même s’ils sont loin de représenter une réelle menace politique, n’en pensent pas moins. Comme l’ancien gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), Philibert Andzembé, l’ancien directeur général de la Comilog, Marcel Abeké, l’ex-patron de la Caisse nationale de la sécurité sociale, Antoine Yalanzèle, ou encore l’ancien ambassadeur du Gabon en France, Jean-Marie Adzé.
D’autres, à l’instar de l’ancien grand argentier Paul Toungui, gardent le silence, laissant ainsi libre court à toutes sortes de supputations. Les opposants se sont engouffrés dans la brèche pour tenter d’infiltrer cette citadelle réputée imprenable.
Mi-juin, l’ancien président de la Commission de l’Union africaine Jean Ping et plusieurs dirigeants de l’Union nationale, dont Jean Eyeghe Ndong, ont ainsi tenu à Franceville un meeting dans la résidence d’Albert Yangari, l’ancien patron de L’Union, le quotidien national, un natif de la capitale provinciale devenu lui aussi l’un des plus virulents critiques du pouvoir. Pour qui votera la troisième ville du Gabon (par sa population) lors de la présidentielle de 2016 ? Poser la question est le signe d’un changement d’époque
Un mausolée pour OBO
Des ouvriers s’affairent sur le chantier. Du monument sortant de terre s’esquissent déjà quelques formes rappelant l’architecture turque et persane. Construit non loin de l’actuelle sépulture d’Omar Bongo Ondimba (OBO), le mausolée est une initiative familiale qui a reçu l’appui de l’État. Le 28 mars, un appel à contribution a été lancé par la Fondation Omar-Bongo-Ondimba, invitant les bonnes volontés à se manifester pour financer les travaux, confiés à une société turque.
De son côté, l’État a prévu une dotation budgétaire de 1,04 milliard de F CFA (près de 1,6 million d’euros) dans la loi de finances rectificative de 2013. En attendant la fin des travaux, la sépulture provisoire de l’ancien chef de l’État est déjà un lieu de pèlerinage. Après son élection à la présidence du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta est venu s’incliner devant la tombe du doyen, le 24 août 2013.
Décidément chargée de symboles, Franceville a donc deux figures tutélaires : son fondateur, Pierre Savorgnan de Brazza, et son bâtisseur, OBO. Une statue rend déjà hommage au défunt chef de l’État (qui a été érigée de son vivant), et une stèle dédiée à Savorgnan de Brazza a été inaugurée en 2006 sur la place de l’Indépendance par… Omar Bongo Ondimba.