Au pouvoir depuis la chute de Blaise Compaoré, le lieutenant-colonel Zida et les militaires se sont clairement engagés à rendre le pouvoir aux civils. Face à eux, leaders politiques et représentants de la société civile commencent pourtant à douter de leurs intentions. Explications.
À quoi jouent les militaires ? Depuis quelques jours, de nombreux opposants et membres de la société civile se posent la question sans avoir la réponse. Parmi eux, certains ne cachent plus leurs préoccupations sur la suite de la transition, soupçonnant le lieutenant-colonel Zida et ses hommes de manœuvrer pour garder la main sur le pouvoir.
Le 5 novembre, sous l’égide d’une médiation de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’armée, les leaders de l’opposition, les représentants de la société civile, et les chefs religieux et traditionnels s’étaient engagés à instaurer une période de transition d’un an, dirigée par une personnalité civile consensuelle, et devant mener à l’organisation d’élections présidentielle et législatives d’ici novembre 2015. Le message adressé à la communauté internationale et aux Burkinabè était donc clair : le lieutenant-colonel Zida et les militaires transmettront les rênes du pays aux civils.
Le lendemain, une petite phrase lâchée par le nouvel homme fort du Faso en conférence de presse distillait une première once de doute chez les observateurs. « Le délai de 15 jours fixé par l’Union africaine (pour rendre le pouvoir aux civils, NDLR) n’est pas un problème : ce qui importe, c’est la stabilité du Burkina », avait-il lâché, ajoutant qu’il n’était pas « inquiet » face à la perspective d’éventuelles sanctions internationales.
Postes clés
C’est ensuite les propositions des militaires pour l’organisation de la transition qui ont surpris. Jeudi et vendredi, une commission civile (composée de deux membres de l’opposition politique, de deux représentants de la société civile, et de deux chefs religieux et traditionnels), chargée de rédiger un projet de « charte de transition », a reçu leurs suggestions. Dans ce document, dont Jeune Afrique a obtenu une copie, les militaires maintiennent l’idée d’un président civil de transition mais réclament des postes clés. Ils souhaitent notamment instaurer un « Conseil national de transition » à compétences législatives présidé par un militaire et revendiquent un tiers des portefeuilles du futur gouvernement de transition.
Samedi, les responsables de l’opposition et de la société civile, ainsi que des chefs religieux et traditionnels, se sont retrouvés en conférence plénière dans un bâtiment administratif de Ouagadougou pour approuver leur ébauche de « charte de la transition ». Des représentants de l’armée étaient attendus pour participer aux débats mais ne se sont pas manifestés. Il a fallu qu’une délégation civile se rende auprès du lieutenant-colonel Zida à la mi-journée pour qu’il envoie des émissaires.
Ceux-ci sont finalement passés en coup de vent dans l’après-midi. Menés par le colonel Auguste Barry, le bras droit de Zida, ils sont restés une demi-heure avant de remonter dans leurs 4×4. « Nous n’avons pas pu prendre part au travaux pour des questions de contingences opérationnelles, a déclaré le colonel Barry à sa sortie de la salle. Nous sommes seulement venus les encourager. »
« L’armée ne respecte pas ses engagements »
Dans les couloirs du bâtiment administratif de Ouagadougou où se tenait la réunion, certains ne cachaient pas leurs doutes. « Ils nous disent qu’ils vont venir, mais ne se déplacent pas. On est obligés d’aller les chercher. L’armée ne respecte pas ses engagements, et ça, c’est inquiétant », témoigne Safiatou Lopez Zongo, une des figures de la société civile. Même son de cloche du coté des responsables politiques. « Il est hors de question que cette transition soit autre chose qu’une transition civile, s’irrite un cadre de l’opposition. Il faut que l’armée dise clairement ce qu’elle veut. Nous en tirerons ensuite les conséquences. »
Selon un participant, une réunion de validation définitive de la « charte de la transition » regroupant civils et militaires devrait avoir lieu « lundi après-midi, ou au plus tard mardi matin ». Ce document devrait ensuite être présenté aux médiateurs de la Cedeao, de l’Union africaine et des Nations unies en milieu de semaine prochaine.
__
Benjamin Roger, envoyé spécial à Ouagadougou