Selon les informations du Monde, publiées samedi 8 novembre, François Fillon a bien incité le secrétaire général de l’Elysée, Jean-Pierre Jouyet à « taper vite » contre Nicolas Sarkozy pour accélérer les enquêtes en cours. Le point sur cette affaire.
Qu’a demandé Fillon a Jouyet ?
Le 24 juin, François Fillon et Jean-Pierre Jouyet ont déjeuné en compagnie d’un ami commun dans un restaurant proche de l’Elysée. Aucun des protagonistes ne conteste que ce repas ait été pris en commun : les deux hommes se connaissent, M. Jouyet a été secrétaire d’Etat du gouvernement Fillon.
Selon le récit qu’a fait Jean-Pierre Jouyet à deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, M. Fillon a demandé à l’Elysée d’intervenir afin d’accélérer le cours des affaires qui visent Nicolas Sarkozy – confirmant les informations données au Monde par une autre source.
« Où Fillon a été le plus dur, vraiment le plus dur, c’est sur le remboursement que Sarkozy avait demandé des pénalités pour le dépassement des frais de campagne. Fillon m’a dit, texto : “Jean-Pierre, c’est de l’abus de bien social. C’est une faute personnelle. Il n’y avait rien à demander à l’UMP, de payer tout ça. (…) Et puis il me dit : “Mais Jean-Pierre, t’as bien conscience que si vous ne tapez pas vite, vous allez le laisser revenir ? »
L’affaire des pénalités de Nicolas Sarkozy
Le contexte est le suivant : fin juin, le scandale Bygmalion a eu raison de Jean-François Copé qui a dû quitter son poste de président de l’UMP, cédant sa place au « triumvirat » d’anciens premiers ministres : Jean-Pierre Raffarin, Alain Juppé et François Fillon.
Nicolas Dupont-Aignan était l’invité de Thierry Arnaud dimanche soir dans BFM Politique. Le président de Debout la France a réagi après l’affaire révélée par le Monde au sujet d’une intervention de François Fillon auprès du secrétaire général de l’Elysée, Jean-Pierre Jouyet, sur les affaires Sarkozy. « Vous voulez que je vous dise ce que je pense, ça pue! Je n’ai pas envie de cela pour mon pays. J’ai une autre idée de la France », s’est-il exclamé.
Lorsque le Conseil constitutionnel a confirmé, en juillet 2013, le rejet de ses comptes de campagne, Nicolas Sarkozy a été sommé de restituer au Trésor public l’avance forfaitaire de 150 000 euros qui lui avait été versée pour mener sa campagne et lui payer les 363 615 euros correspondant au dépassement du plafond légal des dépenses.
Après son entrée en fonction le 16 juin, le « triumvirat » a découvert que fin 2013, le parti avait adressé un chèque de 363 615 euros au Trésor public. En novembre 2013, des hauts fonctionnaires de Bercy avaient toutefois jugé licite le versement de la somme par l’UMP, autorisant son encaissement, selon des notes détaillées par le JDD et déjà évoquées dans Le Monde.
Mais cette analyse juridique est désormais contestée : il n’est pas certain que la formation politique avait le droit de payer pour M. Sarkozy. Cela a poussé la direction du parti à s’interroger sur la légalité de ce règlement. Finalement, si les commissaires aux comptes ont certifié sans réserve les comptes du parti, le 30 juin, ils ont aussi décidé le lendemain d’alerter le parquet de Paris.
Après l’enquête préliminaire qui a débuté le 2 juillet, le parquet de Paris a ouvert, le 6 octobre une information judiciaire pour « abus de confiance », « complicité » et « recel ».
Cette enquête vise, de fait, directement Nicolas Sarkozy.
La version de François Fillon
Fillon s’est défendu en deux temps ce dimanche.
Dans une interview accordée au Journal du dimanche, M. Fillon a une première fois démenti les propos rapportés par Le Monde et annoncé qu’il portait plainte contre le journal.
« Aujourd’hui, on me prête des propos que je démens formellement avoir tenus et que les deux participants à ce déjeuner, Antoine Gosset-Grainville et Jean-Pierre Jouyet démentent formellement. C’est la raison pour laquelle j’ai porté plainte en diffamation et je demande désormais à la justice de faire toute la vérité. (…)
Je ne peux pas croire que le secrétaire général de l’Elysée ait pu tenir aux journalistes du Monde les propos qui lui sont prêtés. Si c’était le cas, ce serait une affaire d’État d’une extrême gravité. Ce serait une tentative de déstabilisation d’un responsable de l’opposition. »
En fin de journée, invité du journal de TF1, M. Fillon a tenu des propos similaires, insistant sur son intégrité. Il a également accusé Jean-Pierre Jouyet de « mensonge ».
« M. Jouyet a redit ce soir dans une sorte de nouvelle version étonnante que jamais je ne lui avais demandé d’agir sur la justice (…). A aucun moment je ne lui ai demandé cela. Nous n’avons pas parlé des pénalités. Si M. Jouyet dit cela, c’est un mensonge. »
M. Fillon a également demandé aux journalistes du Monde de produire l’enregistrement de leur entrevue avec M. Jouyet.
Les deux versions de Jean-Pierre Jouyet
L’affaire Bygmalion et les pénalités de Sarkozy étaient bien au menu du fameux déjeuner du 24 juin. Jean-Pierre Jouyet le reconnaît et l’a fait savoir dans un communiqué. Et ce, bien qu’il l’ait démenti quelques jours plus tôt.
« François Fillon m’a fait part de sa grave préoccupation concernant l’affaire Bygmalion. Il s’en est déclaré profondément choqué (…) Il a également soulevé la question de la régularité du paiement des pénalités payées par l’UMP pour le dépassement des dépenses autorisées dans le cadre de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. »
Jeudi, quand les premiers éléments de l’affaire ont été dévoilés, M. Jouyet avait dit autre chose. « J’ai bien déjeuné avec M. Fillon pour lequel j’ai du respect, mais je démens » que l’ancien premier ministre « ait tenu les propos » rapportés par les journalistes du Monde. « Nous avons parlé d’autre chose », « il ne m’a, bien entendu, pas demandé une quelconque intervention, démarche par ailleurs inimaginable », a-t-il poursuivi.
Quelle influence sur la justice ?
Aux journalistes du Monde, M. Jouyet a expliqué qu’il avait rapporté la teneur des propos de M. Fillon :
« Quand Fillon m’a dit ça, j’ai dit, tiens, oui, on pourrait peut-être simplement signaler le machin… Mais François [Hollande] m’a dit : ‘Non, non, on ne s’en occupe pas.’ »
Rien n’indique que l’exécutif ait interféré dans les procédures judiciaires, mais le fait est qu’une enquête préliminaire a été ouverte le 2 juillet, soit quelques jours après le déjeuner Fillon-Jouyet.
Le parquet a indiqué dimanche après-midi qu’il avait agi uniquement en raison de l’alerte donnée par les commissaires aux comptes qui, expertisant les comptes de l’UMP, ont découvert qu’un chèque de 363 615 euros avait été réglé au Trésor public.
Contacté par Le Monde dimanche, un proche de François Hollande a assuré que la justice ne recevait pas d’ordre de l’exécutif : « Depuis mai 2012, on tient à distance toutes les procédures judiciaires, il n’y a d’intervention d’aucune sorte dans les affaires de justice ».
Avant cela, dans son communiqué M. Jouyet s’en était tenu à cette même ligne :
« J’ai fait part à mes interlocuteurs [lors du déjeuner du 24 juin] du fait que la présidence de la République ne pouvait rien s’agissant de cette procédure relevant de la justice. J’ai également rappelé que, depuis mai 2012, il n’y a plus aucune intervention de la présidence de la République dans une procédure judiciaire ».
L’avenir de Jouyet
« Il était nécessaire que [M. Jouyet fasse ] fasse cette précision. Il est pleinement secrétaire général de l’Elysée », explique-t-on à la présidence de la République, répondant – au moins provisoirement – aux membres de l’opposition qui, à l’instar de Bruno Le Maire, ont demandé la tête de ce très proche collaborateur de François Hollande.
Jonathan Parienté
Journaliste au Monde
Le Monde.fr | 09.11.2014 à 22h41 • Mis à jour le 10.11.2014 à 04h22 |