Ancien gouverneur de la BEAC, Philibert Andzembé, Téké de Bongoville dans le Haut-Ogooué comme Ali Bongo, a accordé l’entretien ci-après à l’hebdomadaire «L’Aube». Oprag, BEAC, Ali Bongo, actualité… il exprime, avec détermination, l’urgence d’un changement de régime au Gabon.
Comment un Téké, de surcroît de Bongoville, devient-il opposant ?
Votre question, si je peux me permettre, est très ambigüe, voire réductrice. En quoi le fait d’être Teke originaire de Bongoville me dispense d’avoir ou d’exprimer mon opinion sur la vie politique de mon pays ? Que les choses soient claires : être de Bongoville ne confère ni plus ni moins de droits en tant que Gabonais. Vous savez, contrairement à certains vieux clichés que l’on véhicule depuis des années, il y a, dans le Haut-Ogooué, beaucoup plus d’opposants que ce que l’on veut bien laisser croire. En tout cas, aux adeptes de ces préjugés d’une autre époque, je voudrais juste rappeler un proverbe bien de chez nous : «la pluie qui provoque grandes crues et inondations est souvent silencieuse».
Votre positionnement actuel a-t-il un lien avec les dernières années de votre parcours professionnel ?
Je dois, à la vérité, de dire que si j’avais été encore en fonction, je n’aurais pas pu afficher publiquement mes opinions comme je le fais maintenant. J’étais tenu par une stricte obligation de réserve. Comme vous le savez, sans doute, j’ai été gouverneur de la BEAC, de juillet 2007 à janvier 2010. J’avais un mandat de sept ans, irrévocable et non renouvelable, qui était censé s’achever en 2014. Quand j’arrive à la tête de la Banque centrale, toute la zone CEMAC est plongée dans une série de réformes visant à la fois, à démocratiser l’ensemble des institutions de la CEMAC, et à leur donner une efficacité notoire. Mais il se trouve que derrière ces réformes, se cachaient certaines velléités politiques. C’est ainsi que la Guinée Equatoriale et le Tchad ont exprimé le désir d’intégrer le gouvernement de la Banque, dès l’instant où ces pays sont devenus producteurs de pétrole. Le Tchad a obtenu le poste de secrétaire général crée pour la circonstance. Quant à la Guinée Equatoriale, elle voulait un poste à partir duquel elle pouvait surveiller ses réserves de change. Il a donc fallu adapter les statuts, le code de gouvernance et tout un ensemble de textes.
C’est dans ce contexte de remise à niveau des instruments de gestion et de fonctionnement de la Banque que l’on a découvert deux problèmes : d’abord celui du détournement de fonds à l’agence de Paris qui avait en fait commencé en 2000, puis le problème d’un placement d’argent auprès de la société générale. Très vite, ces deux affaires vont prendre un tournant politique et fuiter dans la presse. A la suite de cela, les chefs d’Etats vont commanditer deux audits. Mais les choses vont rapidement s’envenimer et prendre une tournure politique. Comme il fallait trouver un bouc émissaire, on est allé jusqu’à me mettre sur le dos des faits qui s’étaient déroulés avant ma prise de fonction. Tout a été dit, le moment venu, je livrerai ma part de vérité. Mais au-delà de ma modeste personne, ce que je regrette le plus c’est qu’Ali Bongo n’ait pas réussi à conserver le poste de gouverneur dans notre pays, quitte à nommer un autre compatriote.
Le traitement qui vous a été infligé n’est-il pas lié aux mauvais rapports que vous avez pu entretenir avec Ali Bongo dans le passé, à l’époque où vous étiez DG de l’Oprag, et lui PCA de cette entreprise paraétatique ?
De prime abord, il faut retenir que la différence fondamentale entre Ali Bongo et moi, c’est que l’un a choisi de faire une carrière de manager et de technocrate (avec toute la rigueur), alors que l’autre a opté depuis longtemps pour (sourire moqueur)… la politique.
Cela a-t-il contribué à compliquer, quelques fois, vos rapports ?
J’avoue que je ne me suis jamais posé la question, d’autant plus qu’au moment de ma nomination à la tête de l’Oprag, les choses allaient bien entre lui et moi. Mais plus tard, des tensions – pour lesquelles le président Omar Bongo avait dû parfois rendre des arbitrages – vont survenir entre le DG que j’étais et le PCA Ali Bongo. Ceux qui me connaissent savent que, par tempérament, je n’accepte pas de jouer les lampistes ni de cautionner des actes dont je ne maîtrise pas les contours. Nous étions à la tête d’une entreprise où chacun avait des attributions claires et un champ d’intervention bien défini…
Votre limogeage de l’Oprag…
Après avoir négocié un vendredi jusqu’au soir, avec des experts de la BAD, pour obtenir des financements, pour l’agrandissement du port d’Owendo, j’apprendrai le lendemain, en lisant le journal L’Union que j’étais remplacé à la tête de l’entreprise par l’agent comptable, M. Jean-Pierre Oyiba. Bizarrement, tout cela s’est passé en l’absence du chef de l’Etat, Omar Bongo, qui était en voyage à l’étranger. A propos de cet épisode, on m’a souvent demandé si ma mise à l’écart ne cachait pas des desseins inavoués. A vous, comme à bien d’autres, je dis que c’est à M. Ali Bongo qu’il faut poser cette question.
Selon vous, pourquoi a-t-il demandé, dans des conditions anti-statutaires, votre limogeage de la BEAC ?
Encore une fois, c’est à lui qu’il faudrait poser la question. Ce que je déplore le plus dans cette affaire, ce n’est pas tellement que mon limogeage ait été fait avec beaucoup de légèreté, et de manière cavalière, mais le fait que le Gabon ait perdu le poste de gouverneur, alors qu’un compatriote pouvait ne fut-ce que terminer le mandat. Je refuse de croire que c’est la cristallisation d’une certaine animosité contre ma petite personne qui a conduit à une telle précipitation. A moins qu’on ait cherché à étouffer d’autres affaires. Dans tous les cas, j’ai ma petite idée sur la question, et le moment venu, j’éclairerai l’opinion. Et je le ferai sans aigreur ni rancœur, même si, comme vous, je constate que chaque fois que ma carrière professionnelle prend un coup, c’est sous Ali Bongo : à l’Oprag d’abord, puis à la BEAC ensuite. Mes avocats, en tête desquels William Bourdon, n’ont d’ailleurs pas manqué de le lui rappeler dans la correspondance qu’ils lui ont adressée afin que je sois rétabli dans mes droits.
Pour vous qui l’aviez côtoyé d’assez près, pensez-vous qu’Ali Bongo soit très porté sur l’argent, la luxure, le matériel… comme le prétendent certains de ses détracteurs ?
Vous savez, ce n’est pas tellement mon avis qui compte. Car il peut être, à juste titre, suspect de subjectivité. En revanche, je pense que chacun de nous peut se faire sa propre opinion sur ce sujet en observant le train de vie d’Ali Bongo, surtout que lui et ses amis ne s’en cachent pas. A partir de là, on n’a pas besoin de faire partie de ses «détracteurs» pour le voir. Ceci dit, il faut surtout noter que de manière plus globale, dans bon nombre de régimes africains, particulièrement ceux des Etats pétroliers, il y a deux formes de dictatures qui prospèrent et martyrisent les populations : la dictature du pétrole et la dictature politique. Au centre de ces deux fléaux, les intérêts financiers et l’argent que les dirigeants veulent contrôler et garder pour eux, au lieu d’investir dans l’amélioration des conditions de vie de leurs compatriotes. Est-ce que le dire, c’est forcément s’inscrire dans la liste des «détracteurs» de tel ou tel responsable politique dont la boulimie est de notoriété publique ?
Que pensez-vous de l’atmosphère actuelle du pays ?
Le Gabon est en déshérence à tous les niveaux. Le système est à bout de souffle et nous en avons la preuve tous les jours. Sur le front social et syndical, on observe, depuis des années, une succession de grèves plus ou moins longues chez les enseignants, les personnels de santé, les travailleurs du secteur parapublic, etc. Depuis peu, ce sont les fonctionnaires des régies financières qui font aussi part de leur mécontentement. Nous sommes dans une situation de grande instabilité caractérisée par un Etat affaibli et surendetté, des dirigeants en mal de légitimité, cupides, voraces, immatures, des populations de plus en plus décidées à faire aboutir leurs aspirations sociales et politiques.
Et demain ?
Pour l’avenir de notre pays, la nécessité d’un changement radical s’impose de façon impérieuse. Il n’y a pas que les hommes qu’il faut changer, il y a aussi un changement de méthode et de gouvernance qu’il faut opérer. Les vieilles recettes ne marchent plus, et cela saute aux yeux ! Les nouvelles générations réalisent que leurs aînés ont accepté un pouvoir absolu depuis 1968, mais sans réelle contrepartie en termes de prospérité économique, de respect d’Etat de droit… Et je doute que ce que les Gabonais n’ont pas pu avoir en quasiment 50 ans, qu’ils l’obtiennent d’ici à 2025. Par quelle magie Ali Bongo va-t-il réaliser en une décennie, car 2025 c’est dans 10 ans, ce que ce même système a été incapable de faire en plus de quatre décennies ? Parce que nous le savons tous, il s’agit du même régime, du même parti politique depuis 1968. Il n’y a eu, dans le fond, aucune rupture dans la manière de gérer l’Etat et la société gabonaise dans son ensemble.
Justement, sur le plan économique et financier, pensez-vous que le Gabon est bien géré ?
(Attitude de désolation). Au vu des indices sur la corruption, la pauvreté, l’inflation, la cherté de la vie, le manque d’infrastructures de base, etc., on ne peut pas dire que le Gabon soit bien géré. Ce serait même insultant pour ces populations qui croulent sous le poids de la misère dans un pays pourtant très riche. Notre pays dispose d’énormes ressources, mais l’utilisation qui en est faite par nos dirigeants se passe de tout commentaire. C’est pourquoi, lorsque des livres comme celui de Pierre Péan sortent, certains essaient de nous distraire avec des questions subalternes comme celle relative au parcours scolaire des gens, alors que l’essentiel se trouve ailleurs. Il faut que l’on sache par qui et comment est organisé le pillage de nos richesses communes. Selon certaines données, notre production pétrolière, oscille entre 10 et 13 millions de tonnes, ce qui n’est pas mauvais en soi, mais que fait-on de cette énorme manne financière ? Il y a des questions fondamentales auxquelles les dirigeants du pays devront répondre un jour, car on ne peut pas passer par pertes et profits tous ces scandales qui s’accumulent d’année en année. Le Gabon est notre bien commun, et ceux qui sont chargés de le gérer doivent rendre des comptes à tous les copropriétaires que nous sommes.
Il y a actuellement un débat sur les origines d’Ali Bongo. Pour vous qui êtes de Bongoville…
(Réponse directe). Là vous vous adressez à la mauvaise personne, car ce n’est pas une affaire qui concerne Bongoville ou même le Haut-Ogooué. C’est à sa mère qu’il faut poser la question de sa filiation et de ses origines (sourire en coin). Vous savez, chez nous on dit qu’il n’y a que la mère qui connaisse le vrai père de son enfant. Mais, si je peux me permettre une comparaison. Il y a quelques années, le président américain Barack Obama avait fait l’objet, de la part de ses adversaires politiques, d’insinuations similaires à propos de son lieu de naissance. Lui, il n’a pas eu besoin de remuer terre et ciel, d’organiser des débats télévisés ou autres conférences de presse alambiqués. Il a tout simplement produit l’original de son acte de naissance et cela a définitivement éteint la polémique. En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara avait dû, lui aussi, faire face à ce genre de débat sur ses origines. Il a réglé la question en présentant ses papiers.
Oui ou non, Ali Bongo est-il un enfant adopté ?
Oui, si….
Si, quoi?
Ali Bongo devrait mettre à la disposition du peuple gabonais l’original de son acte de naissance. Mieux, puisque Patience Dabany vit, faire un test ADN pour prouver la filiation de mère à fils. Dans le cas contraire, il faudra alors s’assurer que le peuple gabonais n’a pas été abusé sur l’identité réelle de l’actuel président. Et là, c’est aux compatriotes, qui avaient la charge de contrôler l’identité des candidats à la présidence de la République, de prendre leurs responsabilités, à défaut d’assumer, (à vie) devant l’histoire, cette haute trahison. J’ai profondément honte de constater qu’un chef de l’Etat soit aussi «trouble» quant à ses origines. Chaque peuple a son identité. Or, si le Gabon est gouverné par un nigérian, alors-là, nos enfants ne nous le pardonneront jamais.
Si Omar Bongo était encore vivant, seriez-vous dans l’opposition ?
C’est une question difficile, d’autant plus que sous Omar Bongo, j’occupais des fonctions qui m’obligeaient à beaucoup de réserve. On ne va donc pas réécrire l’Histoire, car ce qui est important, de mon point de vue, c’est qu’aujourd’hui, être opposant, c’est une démarche à la fois patriotique, progressiste et démocratique. Le Gabon est en péril. Progressiste, patriote, démocrate, je l’ai toujours été, même du vivant d’Omar Bongo. Après, le reste est une question de circonstances qui peuvent être personnelles ou collectives. Il arrive que les deux se confondent. Dans des circonstances normales, nous n’avons pas tous vocation à faire de la politique, mais quand on voit que la nation est en train d’être détruite, on ne peut pas rester dans son coin et attendre que d’autres s’engagent. Du vivant d’Omar Bongo, si j’avais observé le même péril pour mon pays, j’aurais sans doute exprimé ouvertement ma différence.
Comment voyez-vous l’avenir du Haut-Ogooué sans les Bongo au pouvoir ?
Je suis membre-fondateur de l’Association des Altogovéens pour l’Alternance. Ce simple fait devrait être une indication : le Gabon a besoin urgemment d’une alternance politique et démocratique. Donc, l’avenir du Haut-Ogooué, avec ou sans les Bongo au pouvoir n’est pas un problème en soi, étant donné que cette province gabonaise n’est la propriété de personne. Il est vrai que la politique du PDG a pris le Haut-Ogooué en otage, mais cela n’est qu’une péripétie qui va se régler très rapidement. Je n’ai aucun doute là-dessus. Le Haut-Ogooué est une province comme toutes les autres. Il a son histoire, qui ne doit pas être confondue avec celle d’une famille. Cette province a reçu plusieurs peuples et groupes ethniques qui se côtoient, se parlent, vivent en bonne intelligence et ce, malgré le fait que le pouvoir politique de la famille Bongo l’ait transformée en base électorale captive. De tout temps, les intellectuels et acteurs politiques du Haut-Ogooué, à l’image d’Eugène Amogho, ont lutté avec les autres et n’ont jamais été pour un seul parti.
Si vous deviez, pour conclure, adresser un message à vos frères et sœurs du Haut-Ogooué se trouvant un peu partout au Gabon, quel serait-il ?
Il faut que les ressortissants du Haut-Ogooué aient conscience que nous sommes tous des Gabonais. Notre province d’origine a reçu plusieurs compatriotes issus de tous les coins du pays, certains sont mêmes, à mes yeux, d’authentiques Altogovéens. Maintenant, il faut que le Haut-Ogooué sorte de l’emprise du pouvoir Bongo/PDG : «émergent» ou «rénové», le PDG reste le PDG ! Les peuples du Haut-Ogooué doivent s’émanciper et s’affranchir d’une sombre et humiliante servitude qui n’a que trop duré. Il faut que les Altogovéens refusent d’assumer la responsabilité de la gestion du Gabon par la famille Bongo et leurs amis. Il ne faut pas que l’on nous demande, à l’heure du changement qui est inéluctable, pourquoi êtes-vous toujours comme ça, pourquoi ne vous êtes-vous pas émancipés ?
J’invite donc mes frères et sœurs du Haut-Ogooué à travailler pour l’alternance politique sans laquelle le Gabon ne pourra pas se développer. Je pense que l’alternance, telle qu’elle est en train de se mettre en place avec toutes les forces politiques de l’opposition qui veulent arriver à une candidature unique, est une chance pour notre province et pour notre pays. Cela fera en sorte que la politique soit mise au service du bien commun, pas au service du bien d’une famille ou d’une poignée d’initiés. Mes chers sœurs et frères Altogovéens, de quel drame avez-vous encore besoin pour comprendre qu’Ali Bongo est un cruel qui n’est heureux qu’à travers le prisme de la misère du Gabonais, de son humiliation, de sa privation au festin national au profit de ses amis étrangers.
Pour terminer, je voudrais que les Altogovéens observent bien ce qui se passe dans d’autres pays africains, notamment au Burkina Faso. Lorsqu’un modèle a échoué, il faut le laisser partir avec son échec !
Zogo Laroma. Avec l’aimable autorisation de l’hebdomadaire « L’Aube ».