Il y a un an, à cette période de l’année, les services du ministère du budget lançaient la distribution des titres de paiements des rappels aux fonctionnaires pour la plupart jusque-là incrédules. Si tous les fonctionnaires concernés n’ont pas été servis à cette occasion, nombreux sont cependant ceux qui l’ont été. Il faut, en cette période anniversaire, se souvenir avec plaisir de ce moment exceptionnel et féliciter tous les services et tous ceux qui ont permis l’aboutissement de cette opération.
Au cœur du mécontentement des fonctionnaires
Depuis de nombreuses années, le fonctionnement de plusieurs services et, plus largement, la gouvernance de l’Etat avait montré d’importants manquements et cédé à des dérives regrettables. Différentes institutions internationales telles que le Programme des Nations Unies pour le Développement ou la Banque Africaine de Développement avaient ainsi relevé entre autre une mauvaise gestion des ressources publiques et notamment humaines.
Au titre des conséquences de cette gestion malheureuse des ressources humaines, l’accumulation des retards dans l’évolution des situations administratives des fonctionnaires et son corollaire l’accumulation d’arriérés de soldes ont été deux des plus grands facteurs du découragement et du mécontentement croissants des agents de l’Etat.
Ces dérives n’ont pas été inversées au lendemain des élections présidentielles anticipées de 2009. Elles ont persisté et, dans certains cas, ont même eu tendance à s’aggraver au même titre que les difficultés de circulation à Libreville n’ont fait qu’empirer, que les délestages en eau et en électricité se sont accrus etc. Les sources de mécontentement dans l’Administration ont eu tendance à se multiplier et leur persistance a créé les conditions de la radicalisation.
La formation d’un front protestataire
Dans ce contexte, la formation de coalitions syndicales au début de l’année 2012 est apparue comme une stratégie de fédération adoptée par les partenaires sociaux en vue de la création d’un large front protestataire destiné à appuyer leurs revendications au premier rang desquelles figuraient les niveaux de rémunérations et le blocage des situations administratives de l’immense majorité des agents publics.
L’un des effets pervers de ce blocage était qu’il conduisait à des demandes de revalorisation du SMIG. Les partenaires sociaux réclamaient désormais la régularisation des situations administratives et le paiement des retards conséquents d’une part ; la revalorisation du SMIG ainsi que celle du point d’indice et plus largement l’adoption d’une nouvelle grille salariale d’autre part.
La revalorisation du SMIG n’était pas supportable pour plusieurs petites activités du secteur privé ou alors, les plaçait devant le choix de fermer leurs activités en raison de l’augmentation de leurs coûts salariaux ou de s’inscrire dans l’illégalité. De façon plus générale, elle lançait une course au revenu sans garantie d’augmentation du pouvoir d’achat. Il convenait de régler la première partie du problème qui d’ailleurs mettait l’Etat-Employeur à mal vis à vis de ses salariés.
Il n’était pas acceptable que l’Etat, puissance publique chargée de l’exécution des lois, condamnât d’un coté les employeurs pour leurs fautes de gestion notamment sociale et que dans le même temps il s’affranchît lui-même de ses obligations à l’égard de ses employés.
Circonscrire le problème au secteur public
C’est pourquoi, dès mon arrivée à la primature, tenant compte de l’objectif qui m’était assigner de stimuler la croissance, il m’est apparu crucial d’en réunir les conditions non seulement en circonscrivant le problème des rémunérations dans la sphère publique où il était posé mais également en l’attaquant à la racine par la régularisation des situations administratives et le paiement conséquent des arriérés de soldes ainsi accumulés.
L’Administration, principal support de l’Etat pour la conception et la mise en œuvre des politiques publiques, était gravement malade. C’est pour ne l’avoir pas compris que toutes les initiatives passées ont tourné à l’échec. C’est pourquoi il était aussi capital qu’urgent d’attaquer le premier objet du ressentiment général non pas de façon cosmétique, mais bien en profondeur de sorte que toutes les couches sociales de tous les secteurs publics de toutes les provinces se sentent concernées.
La Fonction Publique était malade du statut de ses agents obligés, depuis de nombreuses années, de monnayer la gestion de leurs situations administratives. Situation surréaliste qui réduisait l’immense majorité des fonctionnaires à négocier l’actualisation de leurs droits avec une petite partie de leurs collègues, lesquels s’étaient de fait appropriés les prérogatives des services publics qui leur étaient confiés. Etait ainsi né et prospérait au vu et au su de tous, un marché juteux de production des différents actes administratifs.
Enfin, la Fonction Publique était malade de la prééminence de la politique sur la performance technique. Aucun fonctionnaire ou presque ne croyait et ne croit d’ailleurs plus à une évolution normale de sa carrière. La politique seule semble détenir le sésame de la réussite sociale et de l’épanouissement des individus. Exit la compétence, le rendement et l’impartialité ; place au militantisme.
Une réponse sur le fond appliquée à une des racines du mal
Pour mettre un terme à cette dérive et organiser une inversion de cette tendance, il était capital et préalable à toute autre action de rétablir les agents publics dans leurs droits et dans leur dignité en :
1. régularisant leurs situations administratives ;
2. payant les arriérés de rémunération nés des retards dans l’évolution de leurs situations administratives ;
3. ramenant la promotion au mérite.
Une opportunité unique
Le paiement des rappels aurait dû favoriser l’amorce d’un programme immobilier national de grande envergure. Dans la plupart des cas, les agents publics intéressés à acquérir des logements avaient toutes les peines du monde à réunir les apports que les banques, disposées à les financer, leur exigeaient.
L’épargne forcée constituée du fait des retards dans la régularisation des situations administratives offrait alors l’opportunité de lever cette contrainte. Elle permettait finalement :
1. de constituer un des moteurs endogènes de la croissance en amorçant une pompe durable dans le secteur du Bâtiment et des Travaux Publics associé à l’industrie naissante du bois ;
2. d’améliorer à l’occasion, le cadre de vie du plus grand nombre ;
3. de satisfaire une large aspiration populaire à accéder à la propriété.
Une bonne coordination entre le paiement de ces rappels, des propositions de logements et le système bancaire aurait dû alors permettre d’amorcer un programme immobilier calé sur les revenus de ces agents publics qui constituent une bonne partie de la classe moyenne nationale.
Hélas, cette coordination n’a pas été au rendez-vous et une occasion exceptionnelle a été manquée. La mise en œuvre du paiement des rappels au ministère du budget s’est faite en l’absence de toute coordination tant avec le ministère en charge de l’habitat qu’avec la société nationale immobilière ou les promoteurs immobiliers.
Ce fut une occasion manquée mais en cette période anniversaire, il faut se souvenir de l’effort collectif de ceux et de celles qui ont œuvré à créer l’immense joie qui a marqué le passage de 2013 à 2014.
Beaucoup ont fait un très bon usage de ce qu’ils ont reçu en se mariant, en achetant des terrains, en se construisant eux-mêmes leurs maisons, en achetant un moyen de transport ou tout simplement en résolvant un problème qui les étranglait. Tant mieux. Ils sont encore un certain nombre à attendre. Il faudra bien, demain, aller au bout de la correction de ces injustices administratives pour apaiser les tensions présentes et pour retrouver le chemin de l’efficacité de l’Administration, bras séculier de l’Etat et gage de l’impartialité.
Les drames que nous déplorons maintenant, dans un pays déjà si faiblement peuplé, survenus à la suite d’affrontements entre gabonais résultent d’une radicalisation qui aurait pu et aurait dû être évitée si des solutions sur le fond des revendications avaient été privilégiées, si l’intérêt général avait été une exigence mieux partagée et si le dialogue était resté le phare qui éclaire notre route.
Puisse 2015 s’inscrire sous de meilleurs auspices.
A tous, bonne année.
RNS