L’année 2014 a marqué un regain à la fois des contestations du régime d’Ali Bongo et de la violente répression qui s’est abattue sur les militants gabonais, dans l’indifférence française.
Rappel préalable
En 2009, Ali Bongo, alors ministre de la Défense, succède à son père Omar Bongo au pouvoir depuis 1967, ceci grâce à un coup d’État électoral soutenu par la France. Alors que la Constitution ne le limitait pas sur le nombre de ses futurs mandats, Ali Bongo décide tout de même de la modifier fin 2010 afin de consolider son pouvoir, notamment en conditionnant l’éligibilité à la présidence de la République à une année de résidence préalable au Gabon (disqualifiant ainsi les opposants en exil). Ayant l’année suivante interdit le principal parti d’opposition –l’Union Nationale– et mis en place une Assemblée nationale à sa couleur (114 des 120 députés sont membres du PDG, le parti au pouvoir), Ali Bongo souhaite visiblement continuer à piller les richesses du pays, avec l’aide de multinationales très bien implantées..
Les contestations ont pris de l’ampleur tout au long de l’année 2014, laissant espérer un changement de régime dans un futur proche. Dès les premiers mois, des mouvements sociaux sont apparus dans différents secteurs, notamment du côté des enseignants et des étudiants au sein des deux universités du pays, à Libreville et Franceville. Plus étonnant, des secteurs qui étaient jusqu’alors épargnés par ce type de mouvements sociaux se sont mis à bouger, comme les douanes à partir de février. Au mois de décembre, on pouvait comptabiliser près de 18 administrations publiques en grève. Ces mouvements s’expliquent en grande partie par le fait que le régime d’Ali Bongo redistribue encore moins qu’à l’époque de son père les très abondantes richesses de ce petit pays d’un million et demi d’habitants.
Contestation croissante
Un autre secteur et non des moindres en grève depuis début décembre est celui du pétrole, coupant ainsi la principale ressource financière du pays. Le puissant syndicat du pétrole, l’ONEP (environ 4000 membres sur les 5000 salariés que compte ce secteur) réclame notamment la fin des prélèvements (et le remboursement) de la CNAMGS : une sorte de sécurité sociale sur le papier qui ne sert de fait à rien pour les salariés du secteur, mais permettrait, du fait de sa totale opacité, à des membres du pouvoir mafieux de remplir encore plus leurs comptes bancaires.
Alors que les revendications syndicales portaient au départ principalement sur des revendications sectorielles, le fait que les syndicats du secteur public se soient réunis pour la première fois au sein d’une grande coalition, le MOSAAP (Mouvement Syndical des Agents de l’Administration Publique) , et que cette dernière organisation travaille de plus en plus avec l’ONEP donne une autre dimension à ces contestations.
S’ajoutent à ces mouvements de plus en plus de défections d’anciens hauts responsables au sein de l’ancien parti unique (PDG), tels que l’ancien président de l’Union Africaine Jean Ping ou encore Jean Eyeghé Ndong (dernier Premier ministre d’Omar Bongo), qui se sont réunis avec d’autres opposants historiques comme Zacharie Myboto (président de l’Union Nationale, interdite) au sein du Front de l’opposition pour l’alternance (Fopa). Ces défections, bien qu’opportunistes, déstabilisent encore un peu plus le régime Bongo-PDG.
Violente répression
Alors que sur la fin du règne d’Omar Bongo, les redistributions clientélistes ciblées avaient pris le dessus parmi les techniques utilisées pour casser les mouvements sociaux, la dictature de son fils marque un retour à l’intimidation et à la répression généralisée. Tandis que de nombreux étudiants de l’université sont incarcérés (certains depuis plus de 6 mois sans qu’aucun procès n’ait eu lieu) et que d’autres sont torturés dans les geôles du B2 (le service de contre-ingérence militaire du régime), de nombreux leaders syndicalistes et du Fopa font état de pressions et de menaces sur leur vie. Les journalistes indépendants ne sont pas épargnés : sans parler des nombreuses censures qu’ils subissent de la part du CNC (le Conseil National de la Communication, mais qui est plutôt le Conseil National de la Censure), certains passent aussi quelques nuits dans les geôles du pouvoir, ou encore sont dans l’obligation de s’exiler en passant par le Cameroun (la France complice refusant des visas pour s’exfiltrer) comme ce fut le cas pour Jonas Moulenda, directeur de rédaction du journal Fait Divers (qui travaille notamment sur les commanditaires des crimes rituels, une pratique nichée au coeur du pouvoir).
De même, lors d’une grande manifestation qui a eu lieu le 20 décembre à Libreville, les militaires ont tiré sur la foule, faisant un à six morts selon les sources. Plusieurs dizaines de personnes sont portées disparues (en détention ou dont le corps aurait été récupéré par l’armée), en plus des arrestations assumées par le pouvoir. L’opposition a annoncé le 22 décembre son intention de saisir la Cour Pénale Internationale mais la France, qui maintient une coopération sécuritaire basée sur le renseignement, l’aide logistique directe (359 000 € en 2011) et une vingtaine de coopérants dépêchés dans l’armée gabonaise [1], n’a pas réagi à ces violences : va-t-elle continuer à soutenir ce régime assassin jusqu’au bout, tel qu’elle l’a fait au Burkina Faso ?
[1] Avis de Philippe Vitel au nom de la Commission défense de l’Assemblée nationale, 30 mars 2011