En marge de sa participation à la marche contre les attentats récemment perpétrés en France, Ali Bongo Ondimba a accordé une interview à la chaîne Télésud. Il y explique l’objet de sa présence, parle du dialogue au Gabon et de la prochaine présidentielle.
La France vient de traverser une douloureuse épreuve. Des attaques terroristes d’une rare violence sur le sol français. En réaction des marches ont été organisées un peu partout en France. A Paris, vous étiez aux côtés de nombreux dirigeants européens, mais également africains pour afficher votre soutien à la France, mais également aux familles des victimes. C’était important pour vous d’être là ?
Ali Bongo Ondimba : C’était primordial que, nous, les chefs d’Etat et de gouvernement puissions afficher une unité face à la haine, à l’intolérance, à la barbarie. Notre message est très clair : nous sommes aussi déterminés. Nous, amoureux de la liberté et de la démocratie, sommes aussi déterminés à défendre nos valeurs et à refuser ce message de haine, ce message d’intolérance, surtout l’utilisation, du prétexte religieux pour perpétrer des actes que rien ne peut justifier. Nous refusons cela et notre réponse est claire : nous étions tous ensemble, venant de différentes parties du monde, différentes religions, différentes races pour avoir le même message : Non !
En tant que musulman, on imagine que vous êtes extrêmement touché par cet acte d’extrémisme.
C’est-à-dire que, nous avons aussi, avant de répondre à votre question, voulu témoigner pour le peuple français, pour le gouvernement français notre solidarité. Car, lorsqu’un ami a des problèmes, il faut être là. Lorsqu’un peuple ami a des difficultés, traverse une épreuve, il faut être là. Et là c’était aussi notre façon de remercier la France d’être à nos côtés, parce qu’un bon nombre de nos pays traverse aussi des difficultés et la France, elle, est là. Donc, lorsqu’elle est touchée, nous devons aussi être là.
En tant que musulman, il est évident que c’est le sentiment d’horreur en tant qu’être humain pour ce qui s’est passé. Mais en plus que cela puisse être commis par des musulmans. C’est très loin des valeurs auxquelles nous croyons. Très loin de la religion que nous connaissons. Et là, se pose un problème pour nous musulmans, à savoir : comment travailler ensemble pour changer l’image de cette belle religion, qui est une religion d’amour, de tolérance et qui est ternie, qui est trahie par certaines personnes qui prétendent être des musulmans. Mais avoir ce comportement n’est pas musulman. Nous allons devoir, entre nous musulmans nous asseoir et réfléchir sérieusement. Comment peut-on arriver à un tel comportement de haine ? Est-ce que c’est l’ignorance vraiment de la religion? Est-ce que c’est la manière dont elle est enseignée ? Ce sont un certain nombre de questions que nous devons nous poser et pour lesquelles nous devons absolument trouver des réponses.
Craignez-vous aujourd’hui, comme d’autres, une stigmatisation des musulmans aujourd’hui, après ces événements ?
Oui. Mais là aussi, ça serait une réaction au premier degré à laquelle je pense qu’il ne faudrait pas que nous arrivions. Là encore, il ne s’agit pas d’une religion. Il s’agit d’êtres humains qui utilisent la religion. Lisez le Coran, vous voyez la vie du prophète. On est loin, très loin de ce genre de comportements. Dans l’enseignement islamique, ce n’est pas ce qui est enseigné, c’est l’amour et nous sommes tous de religions issues du même moule. Que ce soit le judaïsme, le christianisme et l’islam, dans aucune de ces religions, il n’est enseigné la haine. Au contraire c’est la tolérance vis-à-vis des uns et des autres. C’est que nous avons voulu montrer aujourd’hui. La stigmatisation ne serait pas une bonne chose. Là il faudrait bien faire la différence entre les êtres humains, qui utilisent la religion pour des comportements qui n’ont rien à voir avec cette même religion qu’ils disent embrasser et professer. C’est justement à nous de travailler des uns vis-à-vis des autres pour qu’il y ait beaucoup plus de dialogue, beaucoup plus de connaissances des uns vis-à-vis des autres. Nous musulmans, nous devons peut-être faire des efforts pour être à mesure de mieux faire partager nos valeurs et que l’ignorance est dangereuse. Ne pas connaître les valeurs de votre voisin, ce n’est pas une bonne chose. Il faut qu’on se parle, il faut qu’on dialogue et que nous continuions à défendre ces mêmes valeurs et le vivre ensemble de toutes les communautés.
Vous êtes Charlie aujourd’hui aussi?
Qui ne l’est pas aujourd’hui ? Qui ne l’est pas ? Et là ça été un moment extraordinaire de voire toutes ces populations qui étaient au rendez-vous. Cet accueil qui nous a été réservé et la chaleur, le message pour dire ensemble que nous n’avons pas peur et que nous sommes déterminés à avancer. C’était vraiment une journée exceptionnelle.
Pour vous, est-ce la liberté d’expression qui a été bafouée ces derniers jours ou on ne peut pas rire de tout ?
Ce n’est pas ce genre d’actes qui va faire en sorte de freiner la liberté d’expression. Ils ont au contraire atteint l’effet inverse qui n’était pas certainement recherché. Parce que quand vous commettez un acte comme celui-là, les gens vont se poser des questions. Pourquoi ont-ils commis cela, pour quelle raison ? Donc, on va encore beaucoup plus parler de Charlie, on va encore beaucoup plus parler de liberté d’expression, de démocratie. Et, c’est un peu cette réponse là aujourd’hui que nous voulons mettre en avant pour dire non. Il ne faut donc pas bâillonner. En plus, si vous avez un problème avec ce qui est écrit, il faut aussi suivre les lois du pays. Les lois du pays font que si on se sent diffamé, on va devant les tribunaux et on a des arguments, on ne tue pas. Voilà aussi le message. Il faut mettre la vie humaine au-delà de toutes les autres considérations. Aujourd’hui on ne tue pas pour un simple désagrément. On ne tue pas parce qu’on n’est pas d’accord les uns avec les autres. Ce n’est pas ça aujourd’hui. Ce n’est pas ce que nous recherchons. Nos valeurs ne sont pas celles-là. La France est un pays démocratique qui fait en sorte que chacun puisse avoir la possibilité notamment de s’exprimer, mais aussi de contester par les voies légales. Donc, si on se sent diffamé, on va en justice.
Vous l’avez dit, cette menace terroriste va au-delà des frontières françaises. Comprenez-vous aujourd’hui ceux qui reprochent aux dirigeants africains d’être là, de participer à cette manifestation au vue de la situation sécuritaire en Afrique. Je pense par exemple à Boko Haram au Nigéria, aux Chebab en Somalie et à Aqmi également?
Je crois que ce qu’il faut surtout retenir, c’est que nous sommes ensemble pour un même combat. Qu’en face, que ce soit Boko Haram, Aqmi, Al Quaida, … l’ennemi est le même. C’est l’ennemi de la démocratie, de l’amour, de la tolérance. Il doit donc être combattu. Nous Africains, nous connaissons aussi ces problèmes. Certains de nos pays sont directement soumis à la même violence, au quotidien. C’était donc important pour nous d’être aujourd’hui pour témoigner de cela. Nous aussi, nous pouvons être aux côtés d’un ami, d’un peuple ami qui souffre. Ça aussi, on ne peut pas nous le reprocher.
Quarante–quatre chefs d’Etat et de gouvernement présents aujourd’hui à Paris. Avez-vous eu l’occasion de parler de cette menace terroriste avec vos homologues ?
Oui bien sûr ! C’était vraiment le sujet du jour lorsqu’on s’est d’abord retrouvé au palais d’Elysée avant de nous déporter vers le lieu de la manifestation. Nous avons discuté de cela et de la détermination qui devrait être la nôtre au-delà de la manifestation. Car, il ne serait pas une bonne chose de s’arrêter aujourd’hui. Notre détermination, elle doit se maintenir. Elle doit aussi être forte aujourd’hui que demain.
On a parfois ce sentiment de fatalité face à l’ampleur que prend le terrorisme. En tant que dirigeant africain, quels sont les moyens de combattre le terrorisme ?
Les moyens, il faut se les donner. D’abord, ce qui est important, c’est combattre l’ignorance. C’est de se parler, de dialoguer. Ensuite, il faut, surtout sur le plan africain que nous fassions des efforts importants pour le développement de nos pays. Il faut donc que les populations ne soient pas réceptives à ces messages de haine. Il faut améliorer les conditions de vie des populations tout en garantissant la libre expression, mais il faut d’abord améliorer les conditions de vie des populations. Troisième aspect, il faut se défendre. Il faut donc préparer une réponse adaptée à la menace aujourd’hui, sur un plan sécuritaire. Ce sont ces éléments pour lesquels il va falloir que nous puissions travailler ensemble. Il est clair que le terrorisme ne connaît pas de frontière. Donc, tout le monde peut être un jour ou l’autre menacé et frappé. Il y a des nations qui croient aux valeurs de liberté et de démocratie et d’amour. Ils doivent aussi travailler ensemble et avoir une réponse appropriée. Je reste optimiste dans le sens où le terrorisme ne passera pas. Et malheureusement, ces personnes qui ont choisi cette voie commettent l’acte de trop, et cet acte de trop déclenche des réactions. Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les Français qui sont touchés, c’est le monde entier qui est touché. Tous les jours lorsqu’on voit les actes que commet Boko Haram ou Aqmi ou Al Quaïda ou tous ces groupes, c’est le monde entier qui est touché et c’est comme cela que nous devons réagir. Et c’est la raison pour laquelle nous serons les plus forts et nous gagnerons cette bataille.
On a l’impression que la tâche est immense ?
La tâche est difficile et surtout, nous n’allons pas résoudre ce problème en 24 heures.
Vu d’ici, on a le sentiment que le Gabon traverse une zone de turbulences. Je pense notamment aux manifestations de l’opposition. Qu’est-ce que ça vous inspire tout ça?
Dans toute démocratie, il y a des gens qui contestent, qui manifestent. Alors, pourquoi quand il y a des manifestations au Gabon, tout le monde pense que nous sommes dans des zones de turbulences. Il y a des manifestations ici tous les jours. Dans toute démocratie, il y a des manifestations tous les jours sans que ça ne remette en cause les institutions. Les institutions sont solides au Gabon, ne sont pas remises en cause. Il y a des Gabonais qui contestent. C’est leur droit de contester. Nous disons qu’ils vont pouvoir contester en respectant les lois et la Constitution de notre pays.
Le dialogue, la paix et la stabilité, vous en avez parlez lors de vos vœux à la nation en début d’année. Je vous cite : «le président de la République ne peut pas dialoguer avec des personnes qui violent délibérément les lois de la République». De qui parlez-vous monsieur le président.
D’un certain nombre d’acteurs politiques qui ont des revendications, mais dont la manière de les exprimer ne cadre pas toujours avec les lois de notre pays. Il faut respecter les lois de notre pays, il faut respecter la Constitution.
L’élection présidentielle, c’est en août 2016. Etes-vous satisfaits de votre bilan à la tête du pays ?
Je ne suis pas quelqu’un qui fait dans l’autosatisfaction. Je suis toujours dans le mouvement pour dire peut mieux faire et doit mieux faire. Donc ce qui a déjà été fait, pour moi, a déjà été fait. Ça commence déjà à être du passé. Je suis dans le présent et l’avenir. Et je peux mieux faire. Je me bats donc pour continuer à mieux faire.
L’avenir c’est 2016, vous y pensez ?
2016, c’est encore loin. Nous ne sommes qu’au premier mois, il y a encore 12 mois cette année et il y a encore pas mal d’autres mois pour que l’action que nous menons ne cesse pas au profit des populations.
Qu’est-ce qui vous empêcherait de briguer un second mandat ?
Seul Dieu sait.
Vous êtes candidat ?
Seul Dieu sait.