Alors que la Tunisie vient d’élire une personnalité de 88 ans face au «jeune» Moncef Marzouki, et que le Sénégal, en l’an 2000, élisait Abdoulaye Wade, âgé de 74 ans à l’époque, au Gabon, l’âge de certains dirigeants de l’opposition est régulièrement raillé par de proches collaborateurs du chef de l’Etat et par des organes de presse qui lui sont proches. Aucun «grand ancien» n’a dénoncé ce manque d’intelligence. Surprenant !
Les principaux responsables de l’opposition sont des quinquagénaires (André Mba Obame, Jean de Dieu Moukagni Iwangou, Paul Marie Gondjout, Jean-Pierre Rougou, etc.), des sexagénaires (Jean Eyéghé Ndong, Jean-Clément Didjob Divungi di Ndinge, Luc Bengono Nsi, Pierre Amoughé Mba, etc.), mais aussi quelques septuagénaires tels que Zacharie Myboto, Casimir Oyé Mba et Jean Ping. Réunis au sein du Front de l’opposition pour l’alternance, ils demandent la mise en place d’une véritable démocratie au Gabon, au même titre que d’autres leaders tels que Jules Bourdès Ogouliguendé, 76 ans, Louis-Gaston Mayila, 68 ans, et Pierre-Claver Maganga Moussavou, 63 ans. Depuis quelques mois en effet, ils sont l’objet d’entrave à la circulation et leurs manifestations politiques sont régulièrement interdites, comme l’est leur accès aux médias publics.
«Un jour, ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit parce que je n’étais pas juif,…»
Face à la posture des leaders de l’opposition, la présidence de la République par le truchement des médias qui lui sont proches et même par des collaborateurs dont la proximité d’avec le chef de l’Etat est connue, n’opposent que l’injure, l’invective et veulent imposer un débat sur l’âge. Devant une telle réalité, il est surprenant de ne pas entendre de réaction de la part d’hommes de la trempe d’Antoine de Padoue Mboumbou Miyakou (78 ans)à, Jean-Boniface Assélé (76 ans), Jean-François Ntoutoume Emane (75 ans), Paul Mba Abessole (75 ans), Jean-Pierre Lemboumba Lepandou (75 ans), Rose Francine Rogombé (73 ans), Michel Essonghé (73 ans), Daniel Ona Ondo (70 ans), ou Guy Nzouba Ndama, 68 ans,…
Si, comme l’a récemment écrit ici Roxane Bouenguidi, les jeunes collaborateurs du président de la République, eux, sont «des habitués de la fontaine de jouvence» et resteront d’éternels jeunes, l’on peut trouver surprenant que personne parmi les «grands anciens» du Parti démocratique gabonais (PDG), personne parmi les grands anciens de la majorité présidentielle, n’a condamné ce débat nauséeux, n’a réfuté cette stigmatisation. Pas d’homme qui prenne de la hauteur, pas de son discordant, pas un mot plus haut que l’autre. Où sont donc passés les démocrates ? Le Gabon dispose-t-il vraiment d’homme d’Etat – un homme qui n’ait pas peur d’éventuelles représailles ? Le Gabon dispose-t-il de grandes consciences ? De toute évidence, l’opinion ne peut comprendre ce silence. Dans certains pays, il arrive que des responsables politiques se désolidarisent d’un propos ou d’une parole d’une personnalité de leur camp, ou même d’une position de la formation politique à laquelle ils appartiennent.
«Après 55 ans, on entre dans le club des anciens»
Alors qu’il était dans les camps de concentration, le pasteur Martin Niemöller (1892-1984) avait écrit : «Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai pas protesté, je n’étais pas juif. Quand ils sont venus chercher les catholiques, je n’ai pas protesté, je n’étais pas catholique. Puis ils sont venus me chercher et il ne restait personne pour protester». Autrement dit, le mutisme n’est pas fécond, il n’est pas de bon aloi dans certaines situations. On dit d’ailleurs chez nous, «quand on égorge le canard, le coq voit», comme dire à quand mon tour ?
Les grands anciens du PDG et de la majorité devraient réaliser à quel point ce débat basé sur le sectarisme et la stigmatisation déplaît à une grande partie de l’opinion. Et il n’est pas sûr qu’une condamnation vienne d’Ali Bongo. En 2009, par exemple, répondant, lors de la campagne électorale, à une question d’un journaliste sur son manque de réaction face au propos d’Alfred Nguia Banda interdisant à tout candidat à la présidentielle non-originaire du Haut-Ogooué de fouler le sol altogovéen, Ali Bongo avait simplement répondu : «je n’ai pas réagi non plus lorsque certaines personnes ont demandé que je ne mette pas pied dans l’Ogooué-Maritime».
Pourtant, Ali Bongo n’est plus tout à fait jeune lui non plus et n’est pas tout à fait «neuf» dans l’arène politique. Dans un mois, le 9 février précisément, selon son état-civil officiel, l’ancien ministre de la Défense nationale, qui a été nommé pour la première fois à un poste politique en 1984, aura 56 ans. D’où vient donc l’idée que c’est un jeune premier ? C’est encore Fernand Raynaud, humoriste français, qui a dit : «après 55 ans, on entre dans le club des anciens, mais on ne s’assoie pas tout de suite» !