A la suite du gouvernement, et de notre confrère L’Union, la justice tente de présenter l’ancien président de la Commission de l’Union africaine comme un ennemi des droits individuels. Sauf que, pour défendre cette idée, il aurait fallu laisser la justice faire toute la lumière sur cette affaire en toute sérénité et se poser la question de l’ordre public voire de la sécurité autour des hautes personnalités. Peut-on convaincre quand la justice donne l’impression de courir derrière la presse ?
«Ping tombe le masque», titrait, le 14 janvier dernier, le quotidien L’Union. Convoquant le nécessaire respect des droits individuels, notre confrère entendait s’élever contre les photos de présumés vandales circulant sur les réseaux sociaux. On y voit de jeunes gens ligotés, torses nus, dans l’enceinte de la résidence de l’ancien président de la Commission de l’Union africaine où ils auraient été pris en flagrant délit de vandalisme (lire par ailleurs Griffin Ondo Nzuey (https://gabonreview.com/blog/le-domicile-de-jean-ping-vandalise/). De prime abord, l’initiative du principal quotidien du pays, réputé pro-gouvernemental si ce n’est proche voire désormais inféodé à la présidence de la République, peut paraître louable. Mais à y regarder de près, on décèle une basse manœuvre, une tentative de récupération politicienne ou d’orientation de la justice. Doit-on et peut-on se servir de drames humains à des fins politiciennes ? Doit-on et peut-on faire une lecture incomplète de faits pour tenter d’abuser l’opinion ?
Bien entendu, il sera toujours salutaire de protester contre tout acte attentatoire aux droits humains, contre leur négation. Il sera toujours sain et nécessaire de réclamer leur respect. La question est d’importance : elle est au cœur de la citoyenneté, de la démocratie et de la prise en mains par les peuples de leurs destinées. A bon droit, chacun a le devoir de s’interroger sur les conséquences de leur non-respect, notamment aux plans juridique, institutionnel, culturel, économique et social. Mais, il faut se garder d’une lecture partielle et finalement partiale.
Ping et le vigilantisme
En l’espèce, on ne peut s’indigner de traitements infligés à de présumés vandales sans se fonder sur une enquête menée par la justice, sans se poser la question de l’ordre public voire de la sécurité autour des hautes personnalités. Bref, on ne peut défendre les droits de l’Homme en occultant des zones d’ombre. Dérive professionnelle, cette faute consistant à collecter et diffuser l’information sans tenir compte des éléments de contexte essentiels à sa compréhension. Vérité qui éclaire, vérité qui éblouit, vérité qui aveugle ou vérité qui ouvre les yeux ? A chacun selon son idée de l’information d’intérêt public, c’est-à-dire celle dont l’opinion doit nécessairement avoir connaissance.
Nonobstant, cette exigence de rigueur, Jean Ping est désormais dépeint sous les traits d’un dictateur en puissance, un adversaire résolu voire un ennemi des droits individuels. Donnant le sentiment de reprendre à son compte la version de notre confrère L’Union, la justice tente d’en faire un tenant du vigilantisme sans pour autant clarifier le rôle supposé de certains compatriotes nommément cités et les raisons de la présence de la gendarmerie ou de la police en ces lieux (lire par ailleurs l’article de Désiré Clitandre Dzonteu). Or, le vigilantisme se nourrit toujours des défaillances de l’Etat au plan sécuritaire. Il s’analyse généralement sous l’angle plus large de la compétition politique entre le pouvoir central et des communautés marginalisées, ostracisées ou présentées comme vouées à la disparition. On l’a vu en Afrique du Sud durant la lutte contre l’apartheid, au Nigéria avec l’émergence des groupes d’autodéfense prétendant suppléer les carences de la force publique. Dans l’un ou l’autre des cas, il traduit une forme de méfiance voire un déficit de confiance vis-à-vis des institutions en charge de l’ordre public.
Les diatribes dont Jean Ping est l’objet, sont-elles de nature à l’inciter à faire confiance au dispositif judiciaire et sécuritaire ? Pourquoi l’accuser d’avoir «séquestré» un agent des renseignements sans évoquer la question de sa propre sécurité à lui ? Est-il judicieux de parler de la sécurité de la communauté française, en la présentant comme une tâche confiée à un individu esseulé, à une heure indue, sans mentionner celle des leaders nationaux ? Les accusations ou interprétations marquées pourraient avoir pollué l’enquête judiciaire. Dans l’opinion, il subsistera toujours des doutes. Et, les précisions futures seront toujours considérées comme des contrefeux. Rien de plus ni de moins.
Enquête dans la transparence
Au-delà des éventuelles atteintes aux droits individuels par Jean Ping, la triple question des raisons de la présence de ces jeunes gens à cet endroit, de la sécurité des hommes publiques et de la confiance dans les institutions restera pendante. L’opinion glosera toujours sur les méthodes et desseins de la majorité si ce n’est de certains proches du président de la République. Elle cancanera nécessairement sur l’intégrité physique des leaders de l’opposition. Elle se livrera forcément à toutes les interprétations sur leurs rapports avec les garants de l’ordre public, notamment les magistrats.
La grandiloquence conceptuelle de la presse est une bombe à retardement et à fragmentation. Le bon sens aurait commandé de laisser la justice mener son enquête dans la transparence et conformément aux procédures en vigueur. Loin de toute bien-pensance ambiante, les journalistes auraient dû éviter de livrer des versions divergentes et à l’avenant de leurs sensibilités politiques respectives. Ils auraient été mieux inspirés de s’accorder sur les faits. Au-delà, il eut été préférable de laisser le procureur de la République se saisir de cette affaire en toute sérénité et hors de toute pression. L’apparition de Sidonie Flore Ouwé après les articles de presse, notamment la version de notre confrère L’Union, pourrait bien déchaîner les passions et ouvrir la porte à la suspicion. On en vient à se demander si les promoteurs de la stratégie mise en œuvre par la majorité croient vraiment en l’universalité des droits de l’Homme et en l’indépendance de la justice. Pour l’heure, ils n’ont nullement rendu service à l’autorité judiciaire, plus que jamais perçue comme un instrument au service de l’exécutif et de la caste dominante.