Les acteurs politiques nationaux gagneraient à mieux analyser les initiatives du représentant spécial du secrétaire général des nations-unies en Afrique centrale. Seule action à même de restaurer la confiance mutuelle, la réforme de la Cour constitutionnelle apparait comme une nécessité, une garantie pour la paix sociale.
Abdoulaye Bathily se démène par monts et par vaux. Il veut faire entendre raison à la classe politique nationale. Il veut l’amener à prévenir un éventuel conflit par la négociation. Forcément, son analyse de la situation n’est pas partagée par l’ensemble des composantes. Mais son ressenti est celui du plus grand nombre. Sa suggestion fait écho à celles d’autres partenaires et même de personnalités politiques nationales. C’est dire si sa démarche fait sens, si elle correspond à la situation dans laquelle se trouve notre pays. Autrement dit, son initiative de diplomatie préventive est une tentative d’altérer le cours actuel de l’histoire, une action pour conjurer une menace, une offensive en faveur des valeurs démocratiques. La classe politique aurait certainement tort de ne pas l’analyser avec froideur et recul, de ne pas se positionner en toute lucidité, au regard des intérêts du plus grand nombre.
Leader d’un parti politique au Sénégal entre 1984 et 2013, le responsable du bureau régional des Nations unies pour l’Afrique centrale (Unoca) a été plusieurs fois député et ministre sous Abdou Diouf et Macky Sall. C’est un militant de la démocratie convaincu, un historien et universitaire respecté. S’il s’exprime ou indique une voie, c’est en connaissance de cause. Emprisonné à deux reprises et contraint au service militaire de par le passé, cet homme à l’argumentaire pertinent et au sens de l’humour certain connait, dans leurs moindres coins et recoins, la lutte politique et le combat pour le respect de la Constitution et des institutions. Toujours, il se réfère au passé. Souvent, il met en perspective le présent. Constamment, il défend des valeurs. Incessamment, il revendique des principes. Indéfiniment, il songe au progrès économique et social de l’Afrique, loin des calculs profito-situationnistes et des intérêts individuels. S’il se mobilise aujourd’hui pour un dialogue inclusif entre forces sociales gabonaises, il ne faut y voir ni une posture alarmiste, ni un piège à cons. Son analyse est simple et lucide, étayée par une expérience personnelle riche des combats livrés en faveur de l’alternance et du raffermissement de la démocratie.
Réalisme
On peut certes se demander de quels moyens de pression il dispose. On peut raviver le souvenir de l’échec cuisant de la mission menée en 2011 par son prédécesseur, Abou Moussa, avec l’appui d’une mission technique venue de New-York et conduite par Sammy Kum Buo, directeur de la division Afrique au secrétariat général des Nations-unies. On peut souligner l’absence de traitement politique des raisons ayant conduit André Mba Obame à se proclamer président de la République et à former un gouvernement alternatif. On a même le droit de mettre en relief la quasi-permanence des mesures de rétorsion prise alors par le gouvernement Biyoghé Mba et des situations iniques qu’elles créèrent. Mais on doit admettre que le contenu du livre de Pierre Péan «Nouvelles affaires africaines – Mensonges et pillages au Gabon» est venu conforter une certaine opinion dans ses doutes sur l’éligibilité du président de la République, accentuant sa défiance vis-à-vis des institutions et portant les passions à un degré d’incandescence critique. On doit aussi concéder au représentant spécial du secrétaire général des Nations-Unies pour l’Afrique centrale la paternité de son initiative et lui reconnaître un certain réalisme dans l’analyse de la situation. «La Cour constitutionnelle joue un rôle très important au Gabon, pour la stabilité des institutions. C’est le juge des élections. Et tout le monde sait que quand les élections approchent dans un pays, il y a des menaces de conflits», a-t-il récemment expliqué au sortir d’une audience avec la présidente de cette institution.
La rencontre Mborantsuo/Bathily est lourde de sens. Elle traduit la prise en compte du rôle politique voire politicien joué par la Cour constitutionnelle, bien au-delà de ses prérogatives juridiques et institutionnelles reconnues par la loi fondamentale. Imagine-t-on Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel français, consulté en vue de la mise en place d’un «dialogue politique inclusif» ? Même au plus fort des manifestations pour la défense de la liberté d’expression, valeur fondatrice de la civilisation des Lumières et de la République française, personne n’en a entendu parler. C’est dire si la Cour constitutionnelle va au-delà, bien au-delà, de ses prérogatives. Ce constat, Abdoulaye Bathily l’a dressé tout seul.
Les tenants de la doxa gouvernementale, les concepteurs de la vérité officielle, les idéologues de la pensée unique crieront au travestissement de la réalité. Ils invoqueront le «fonctionnement régulier des services» et se livreront à des interprétations spécieuses des lois pour défendre le statu quo et refuser toute remise en cause. Mais, sauf à faire passer tous les Gabonais pour de fins connaisseurs des lois et réduire des personnalités aussi éminentes que Pierre Mamboundou, Paul Mba Abessole, Casimir Oyé Mba, André Mba Obame au rang de demeurés ou d’ignorants, on ne peut justifier que les décisions de la Cour constitutionnelles soient systématiquement courues d’avance, prédites et annoncées par le citoyen lambda et contestées par les requérants. «La Cour constitutionnelle c’est le bureau politique du PDG», ironisait, en son temps, Pierre-Louis Agondjo Okawé, éminent avocat s’il y en eut. Or, cette juridiction est présente tout au long du processus électoral. En aval, en amont et même pendant, elle joue un rôle déterminant, sortant ainsi de sa fonction juridique pour revêtir des atours administratifs et politiques.
Identifier les causes, sous-causes et faiblesses
Pour trouver des solutions à un problème, il faut d’abord en identifier les causes et sous-causes. Pour conjurer une menace, il faut préalablement en connaitre les faiblesses. Longtemps maquillée par des textes taillés sur mesure, la Cour constitutionnelle pouvait se présenter sous les traits d’un juge. Dans une époque de bouillonnement des idées, il revient à l’esprit que ses constituants se sont longtemps nommés «conseillers membres», que les garanties de son indépendance et de son impartialité ne sont nullement prouvées. Bien au contraire, le mode de désignation de ses membres, la durée de leur mandat et leur capacité à interpréter les textes selon leurs intérêts du moment laissent songeur.
La société gabonaise a intérêt à un compromis historique permettant une refonte concertée de la Cour constitutionnelle. Au-delà, il faut songer à la remise à plat de toutes les institutions. L’opposition entre «ceux qui ne respectent pas les lois et les institutions» et les «adeptes du passage en force» est fondée sur les conséquences, sur l’écume des choses. Elle est artificiellement entretenue et repose essentiellement sur la volonté de pérenniser des avantages. En réalité, l’attitude des premiers est la conséquence du comportement des seconds. Pis, les deux factions contribuent à la détérioration du climat socio-politique. Dans une telle situation, il y a urgence à procéder à l’aufhebung, selon le concept du philosophe allemand Hegel. Autrement dit, il faut parvenir à une synthèse conciliatrice. Sans réaffirmer ou nier leur capacité à transformer le réel, il faut les éliminer simultanément pour les dépasser.
Cette nécessité-là, Abdoulaye Bathily l’a intériorisée. Pour lui, l’heure est à l’élévation des esprits, au dépassement des ego et petits calculs d’épiciers. En toute diplomatie et avec perspicacité, il essaie d’expliquer qu’il est des moments de la vie d’une nation où les acteurs doivent aller au-delà d’eux-mêmes, quitte à se faire violence. Personne ne peut décemment se faire le chantre d’un système où les élections débouchent systématiquement sur des violences, où les scrutins se transforment en parties de dames à «qui perd, gagne» voire en tiercés où l’on peut gagner dans le désordre. Des personnalités dont l’engagement ou les choix idéologiques ne sont un secret pour personne ont embouché la trompette du dialogue. Pourquoi d’autres feraient-elles de la résistance ? Sans concertation, c’est-à-dire hors de ce savant mélange de compétition et de coopération, ce pays est inexorablement condamné à sombrer dans l’atonie, le désespoir et le chaos. Réformer nos institutions ? Il en va de l’intérêt de la justice, du Parlement, de l’administration, des syndicats, des organisations de la société civile et donc de notre classe politique. Mais, cette vérité ne peut être admise qu’à la condition de se projeter dans un futur lointain, de songer à la place de chacun dans l’histoire, la vraie, la grande, celle qui s’écrit avec grand H.