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Comment dépenser 86 millions en billets d’avion ? La recette de Pascaline Bongo

pascaline-bongo-beverly-hillsLocations de jet Gulfstream ou Falcon, privatisation d’Airbus A 319 ou de Boeing 757, réservation de tickets commerciaux sur les grandes lignes… La société suisse Travcon AG, dans le canton de Saint-Gall, dispose de la panoplie complète de l’avionneur d’affaires. Travcon pensait avoir tiré le gros lot en ayant pour cliente, entre 2008 et 2010, l’une des familles les plus dépensières d’Afrique : les Bongo. Mais elle a découvert à ses dépens, comme d’autres sociétés d’ailleurs, que ces grands dépensiers peuvent aussi être de très mauvais payeurs.

Des voyages personnels facturés à la présidence

Selon des documents consultés par Le Monde Afrique, 86 millions de dollars ont été facturés par la société suisse à la famille Bongo, qui préside au destin du Gabon depuis 1967. Précision de taille : la note a été adressée à Pascaline Mferri Bongo Ondimba, à la présidence de la République.

Conseillère et directrice de cabinet de son père, le président Omar Bongo, décédé en 2009, Pascaline Bongo tenait aussi le rôle de grande argentière, tant du pays que de la famille. De fait, une grande partie des voyages organisés pour elle par Travcon AG ne semblent pas avoir d’aspect officiel ou diplomatique.

Le 10 août 2008, par exemple, une confirmation de commande décrit une longue escapade en groupe et par étapes. Le Gulfstream G555 décolle de Los Angeles, fait escale à Orlando puis sur la côte d’Azur, à Nice, d’où il repart pour Libreville, la capitale du Gabon, et Paris avant de ramener ses passagers à Los Angeles. Coût du trajet : 632 930 dollars (près de 584 300 euros).

Dans la cabine au confort fastueux, on trouve Pascaline Bongo, des membres de la famille et un invité de marque, Jermaine Jackson, frère aîné du roi de la pop Michael Jackson. Dans l’un de ses albums des années 1990, Jermaine cite d’ailleurs Pascaline Bongo dans les remerciements.

Le 3 décembre 2008, Pascaline Bongo utilise un autre Gulfstream, G 550 cette fois, pour un périple aérien avec un autre groupe de Libreville à Washington, puis Accomack (en Virginie), avant de passer par Orlando, Miami, Francfort et Paris. De retour à Libreville, la facture s’élève cette fois à 518 750 dollars (478 900 euros).

Des figures aujourd’hui identifiées comme faisant partie de l’opposition ont bénéficié de ces voyages. Ainsi de Jean Ping, ancien ministre des affaires étrangères d’Omar Bongo et ancien compagnon de Pascaline Bongo, qui a bénéficié d’un voyage entre Addis-Abeba et Le Bourget (près de Paris) en Falcon 2000 LX. La facture datée du 10 novembre 2008 affiche un montant de 142 570 dollars (131 600 euros).

Plus raisonnable, le 16 avril 2009, un A 319 transporte les enfants Bongo-Ping et leurs amis. En tout, les quinze passagers font un simple aller-retour entre Los Angeles et Las Vegas, facturé 60 630 dollars (près de 55 900 euros). Ce ballet aérien connaît un dernier entrechat le 15 septembre 2009 pour un Paris – Los Angeles – Libreville à 394 710 dollars (près de 364 300 euros).

Ces frais aériens pourraient n’être qu’une indication supplémentaire du train de vie de la famille Bongo, à la tête d’un Etat pétrolier dont la population reste l’une des plus pauvres au monde. En vérité, les factures de Travcon AG vont donner lieu à une guerre ouverte.

Le 31 juillet 2013, Me François Meyer, avocat parisien de Pascaline Bongo et passager occasionnel de ces vols (son numéro de téléphone est même indiqué dans l’une des factures), écrit une étrange lettre à Travcon, sur papier à en-tête de la présidence du Gabon. « Conformément à mes derniers mails, je vous confirme que le gouvernement gabonais doit encore à Travcon AG la somme de 8 356 097 dollars américains », écrit-il. Or, malgré une relance auprès de la présidence gabonaise le 15 août 2013, cette créance ne sera jamais honorée par la présidence d’Ali Bongo. Sollicité par Le Monde Afrique, Me Meyer n’a pas souhaité répondre.

« De quel droit Me Meyer, non mandaté et ayant profité de ces voyages, s’engage-t-il au nom de l’Etat ?, fulmine un proche de la présidence d’Ali Bongo. Cette époque où la famille confondait la caisse de l’Etat et sa cassette personnelle est révolue ». Il faut dire qu’entre la date du dernier voyage et la lettre de Me Meyer, la donne politico-familiale à Libreville a changé. Ali a succédé à son père en 2009, à l’issue d’un scrutin controversé et Pascaline n’est plus dans les petits papiers de son frère et président.

Un avion d’Etat immobilisé sur le tarmac d’Orly

Arguant de cette reconnaissance de dette, la société Travcon AG a confirmé au Monde Afrique avoir mandaté avocat et huissiers à Paris pour faire honorer sa créance. Le 25 février 2015, la société suisse a obtenu du tribunal d’Ivry la saisie conservatoire d’un avion gabonais sur le tarmac d’Orly. Le Boeing 777-236, immatriculé TR-KPR, venu en France procéder à des révisions, est immobilisé depuis lors.

« C’est une violation du droit international, s’étrangle un membre du cabinet présidentiel d’Ali Bongo, dépêché en France pour suivre le dossier. C’est caractéristique du mépris que nous montre la France ». Le Gabon, par l’entremise de son avocat Me Claude Dumont-Beghi, a fait appel de l’ordonnance de saisie devant le tribunal d’instance d’Ivry. Une société suisse, un Etat africain, un avion d’Etat et des impayés qui entremêlent loisirs de la fille d’un chef d’Etat décédé et des intérêts commerciaux, diplomatiques et politiques : l’audience du 24 mars dernier n’était pas banale.

Selon l’Etat gabonais, la saisie de l’avion viole à la fois les conventions internationales de l’ONU – qui selon ses arguments étendent l’immunité diplomatique aux biens de l’Etat –, les conventions de l’aviation internationale et la loi sur les transports français qui écarte les « aéronefs étrangers affectés à un service d’Etat » de saisie conservatoire. Acheté avant sa mort par Omar Bongo, l’avion est en effet devenu un aéronef d’Etat, selon la terminologie officielle, affecté à l’état-major de la présidence.

Surtout, les avocats de l’Etat ont insisté sur l’identité du titulaire de la créance, « un tiers, Mme Pascaline Bongo Ondimba ». Avant même le délibéré du tribunal d’Ivry, prévu pour début avril, le dossier « marque une rupture avec les pratiques du passé », estime l’envoyé spécial en France d’Ali Bongo pour cette affaire, qui souhaite améliorer la réputation du pouvoir de Libreville.

L’affaire participe aussi à la détérioration des relations entre le président Ali et sa sœur, qui se disputent de plus en plus ouvertement le leadership de la famille. En ligne de mire des deux légataires universels d’Omar Bongo (qui a reconnu 51 autres enfants), le partage de son héritage, estimé à plusieurs milliards d’euros et toujours pas soldé à ce jour. Et surtout, la présidentielle de 2016, où Ali devrait affronter un candidat unique de l’opposition. Laquelle compte dans ses rangs plusieurs anciens voyageurs de Travcon.

Xavier Monnier
contributeur Le Monde Afrique
LE MONDE Le 31.03.2015 à 14h26 • Mis à jour le 01.04.2015 à 14h31

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