Alors que l’opinion avait cru que la manifestation serait reportée en raison du décès de l’ancienne présidente du Sénat, le Parti démocratique gabonais (PDG) et ses alliés de la majorité l’ont plutôt maintenue. Ils ont, pour cela, bâti une stratégie visant à rameuter le maximum de monde : 2.500 à 10.000 f par marcheur, et location de taxis-bus pour le transport des marcheurs, notamment des jeunes.
De haut en bas : Rabatteurs avec listes et portefeuilles en bandoulière ; discussion pour le «per diem» ; lycéens à moitié en uniformes et t-shirts jetés par les mécontents. © Gabonreview et infoskinguele
De haut en bas : Rabatteurs avec listes et portefeuilles en bandoulière ; discussion pour le «per diem» ; lycéens à moitié en uniformes et t-shirts jetés par les mécontents. © Gabonreview et infoskinguele
Jean-Baptiste Mombo, du quartier Venez-Voir, dit avoir reçu 150.000 francs CFA pour amener 50 jeunes à la marche dite pour la paix, soit 3.000 francs par marcheur. Isidore Mbazaboua, militant CLR du quartier Derrière le Centre social d’Akébé, reconnaît avoir obtenu 300.000 francs pour amener 60 jeunes à la marche, soit 5.000 f par marcheur. Un autre jeune du quartier Pont d’Akébé, membre de l’Union pour la Démocratie et l’Intégration sociale (UDIS), lui, dit avoir remis à chaque jeune acceptant d’aller marcher la somme de 10.000 francs et il a pu en rassembler 85. Ses papiers écrits à la main, avec les noms des jeunes, en faisaient foi.
La veille de la marche, la réunion préparatoire tenue au siège du Conseil économique et social, aura été houleuse au sujet de ce qu’on nomme per diem. Chaque rabatteur avait droit à 26 tee-shirts et à 2.500 francs par marcheur recruté, en sus des 30.000 francs pour lui-même et 20.000 francs à encaisser au terme de la manifestation. «Du jamais vu au PDG où le minimum a toujours été de 10.000 francs par tête de pipe», pestait une encadreuse de groupe d’animation.
Malgré la disette financière, les partis membres de la «majorité républicaine et sociale pour l’Emergence» n’ont pas lésiné sur les moyens pour amener les jeunes à la marche du samedi 11 avril. Plusieurs dizaines de millions de francs pour fabriquer les tee-shirts et polos, d’autres millions pour louer les taxis-bus. Résultat des courses : payées et transportées, près de 8.000 personnes, essentiellement des jeunes des quartiers défavorisés, ont pris part à la manifestation. Fait notable, des élèves ont été sortis des salles de classe pour participer à cette manifestation. Nombreux d’entre eux, à titre d’exemple, avaient encore le pantalon rouge bordeaux du Lycée d’Oloumi ou la jupe bleu ciel d’un établissement secondaire situé à Plein Ciel sur la voie express. Quelques-uns d’entre eux ont attesté avoir reçu 2.500 francs.
La marche fut grandiose ! Une fête triomphale qui s’est terminée sous les fenêtres de la résidence des Rogombé, près du carrefour Rio, alors que cette famille vient d’être frappée par deux lourdes pertes : d’abord le décès de Jacques, le patriarche, puis celui, le 10 avril, de Rose Francine, ancienne présidente de la République par intérim (Juin-Octobre 2009). Près de 8.000 personnes pour soutenir Ali Bongo et plaider pour la paix.
Point donc de spontanéité. Le PDG et ses alliés, notamment le RPG de Paul Mba Abessole, le CLR de Jean-Boniface Assélé, le BDC de Guy-Christian Mavioga, l’Union pour la Démocratie et l’Intégration sociale (UDIS) d’Hervé Patrick Opiangah, et d’autres encore, ont préféré déployer de colossaux moyens financiers pour amener les jeunes à la marche. Ces espèces sonnantes et trébuchantes ont donné le sentiment à des observateurs que le parti au pouvoir et ses alliés ont du mal à mobiliser si les moyens ne sont pas proposés à des manifestants. D’autres observateurs ont estimé que ce déploiement de finances montrait à souhait que, pour organiser de telles manifestations, les partisans d’Ali Bongo sont obligés d’aller recruter des «supporters» occasionnels peu convaincus de l’action du chef de l’Etat, mais beaucoup plus portés sur les revenus pécuniaires résiduels qu’ils peuvent engranger. Déçus par le «gain distribué», nombreux de ces figurants ont jeté leur tee-shirts par la suite et des disputes ont été notés au sujet du partage des per diem. Et, si l’on sait ce qu’a gagné un marcheur, on ne sait pas vraiment combien ont touché les «encadreurs» tout aussi occasionnels ; la tarification annoncée au siège du Conseil économique et social ayant varié par la suite selon qu’on travaillait pour tel ou tel parti.
La fête était belle, sauf qu’elle avait quelque chose d’indécent : elle se déroulait alors que la famille Rogombé pleurait «Anti», «la mère de la République».