Du fait de l’immixtion de l’archevêque de Libreville et d’un usage intempestif de la répression par les forces de sécurité, les obsèques du secrétaire exécutif de l’Union nationale ont failli tourner en affrontements. Elles ont, en tout cas, pris une tournure surréaliste.
Les obsèques d’André Mba Obame étaient-elles condamnées à se solder par des blessés et des émeutes ? S’étant tenues, trois jours durant, sans incident majeur, pouvaient-elles se poursuivre sur cette lancée ? Le déroulement des événements le laisse penser. Mais, du fait de l’immixtion intempestive de l’archevêque de Libreville et de l’usage irrationnel des gaz lacrymogènes par les forces de l’ordre, on a frôlé le pire. Entre les considérations mystico-ésotériques suggérées par les initiatives à l’emporte-pièce de Mgr Basile Mvé Engone et l’incapacité des gendarmes et policiers à maintenir l’ordre sans user de la violence, le final de la partie librevilloise de ces obsèques a sérieusement été entaché. Exagération ? Lecture orientée et partiale ? Sans doute pas. Comment ne pas s’interroger sur le sens et la portée de l’intrusion de l’archevêque de Libreville ? Comment ne pas s’offusquer des tirs de gaz lacrymogènes sur une foule qui avait, trois jours durant, fait la démonstration de sa discipline et de son sens de l’ordre ?
En s’invitant dans les manifestations et en ayant pris la responsabilité d’organiser une rencontre entre le président de la République et certains membres de la famille, sans concertation préalable, Mgr Basile Mvé Engone a donné aux débats une tournure mystico-occulte, ouvrant la porte à l’irrationnel et à toutes sortes de fantasmes et déductions. A cette bourde monumentale est venue s’ajouter une ultime faute : l’usage de gaz lacrymogènes contre une foule qui ne menaçait nullement l’ordre public et dans un environnement assez particulier. Suspicion, allusion aux pratiques magiques, frustration, volonté d’en découdre finalement… Si rien n’a dérapé, tout semblait être fait pour. Si la foule est restée digne, l’archevêque de Libreville a créé un climat surréaliste alors que les forces de l’ordre ont finalement donné l’impression de chercher, au dernier moment, la confrontation à tout prix.
Lien magie noire/politique
Pouvait-il en être autrement ? Depuis toujours, les liens entre occultisme, magie noire, sorcellerie, sociétés secrètes et politique nourrissent tous les fantasmes au Gabon. Pour de nombreux compatriotes ce lien est une évidence et une nécessité. En choisissant d’agir dans le dos de la famille biologique et même du parti politique dont André Mba Obame était un des principaux dirigeants, l’archevêque de Libreville a donné du grain à moudre aux tenants de la thèse d’un inévitable lien entre irrationnel et politique. Maladroite, inutile, inappropriée, cette initiative a été contre-productive. Dans ce contexte, les forces de l’ordre auraient dû faire preuve de tenue et de retenue. Au lieu d’user des instruments de répression sans raison valable, elles auraient dû désigner un médiateur.
A Mgr Basile Mvé Engone, il faut rappeler cette maxime de Benoît XVI : «La nature profonde de l’Église s’exprime dans une triple tâche : annonce de la parole de Dieu, célébration des sacrements et service de la charité». A aucun moment il ne lui confère un quelconque rôle politique. Si on lui reconnaît un rôle moral ou un statut d’autorité morale, l’Eglise doit toujours agir dans l’intérêt de Dieu et des plus faibles, de ceux qui ont besoin de charité. Aux forces de l’ordre, il convient de redire que le maintien de l’ordre est différent de la répression, que leur statut ne leur donne nullement le droit de violenter, bastonner, blesser les citoyens sans raison aucune, qu’elles ne sont pas au service d’un camp ou d’un pouvoir mais de la République et de la nation. En dépit des raisons évoquées pour justifier les comportements inopportuns de l’archevêque de Libreville et des forces de l’ordre, il est une réalité : leurs attitudes respectives ont failli transformer les obsèques d’André Mba Obame en émeutes.
Sentiment d’invulnérabilité et impunité
Bien entendu, chacun s’en défendra, essaiera de légitimer ses actes, au risque de réécrire l’histoire immédiate. Mais, tout cela ne fera pas oublier certaines réalités : Mgr Basile Mvé Engone aurait dû se concerter avec l’ensemble des familles, biologique et politique, au lieu de se livrer à la pêche à la ligne, les forces de l’ordre se sentent investies d’une mission de répression et pas de maintien de l’ordre. Pis : dans l’un ou l’autre cas, il y a un sentiment d’invulnérabilité, d’impunité, qui laisse libre cours à toutes les initiatives, y compris les plus farfelues et les plus dangereuses pour notre vivre ensemble. Tant que le Vatican ne sévira pas, tant que le commandement des forces de défense ne tiendra pas pour personnellement responsables les agents coupables d’écarts ou d’usage non justifié de la force, toutes les dérives seront permises. Déjà, des échauffourées auraient eu lieu, de façon sporadique et furtive, dans certains quartiers où la foule, frustrée d’avoir injustement été gazée, a laissé éclater sa colère. Chacun peut imaginer où on en serait si la foule avait choisi d’affronter les forces de l’ordre dans l’enceinte du fret de l’aéroport Léon Mba, qui plus est à proximité d’une station-service.
Dans les comportements de l’archevêque de Libreville et même des forces de l’ordre, il y a une conception hérétique, une interprétation erronée de certains principes. S’il est communément admis que «tout pouvoir vient de Dieu», cela ne signifie nullement que l’Eglise est au service du pouvoir temporel. Loin d’être absolue, l’autorité politique, confiée par Dieu, est limitée par des obligations morales, tempérée par les dix commandements. Pour le chrétien, le responsable politique est au service de Dieu lorsqu’il sait mettre un frein au pouvoir dont il dispose. Dans la même veine, les forces de l’ordre ne sont au service du pouvoir politique que dans les limites prescrites par la loi. Mieux : leur intervention doit s’inscrire dans le strict maintien de l’ordre public et de l’intérêt général. Que dire, dans ce cas, de gendarmes qui interviennent en zone urbaine ? Que penser de forces de deuxième ou troisième catégorie qui font du maintien de l’ordre ? Comment interpréter le fait que les grands mouvements de foule liés aux obsèques d’André Mba Obame n’aient pas suscité la mobilisation des sapeurs-pompiers ? Il reste encore du chemin à faire….