L’un des rares à pouvoir lui rendre visite durant son exil sanitaire, Jean Gaspard Ntoutoume Ayi a toujours été perçu comme un «indécrottable partisan» d’André Mba Obame, mais aussi comme l’un des jeunes loups de l’avant-garde intellectuelle de l’Union nationale. Méthodique, se référant à son PC portable pour certaines citations relatives à son devoir de mémoire, il répond aux questions de Gabonreview sur l’homme politique disparu, ses obsèques et l’avenir de la famille politique de celui-ci.
Gabonreview : Vous avez fait partie du premier cercle de l’équipe de campagne Mba Obame en 2009. Vous êtes resté à ses côtés jusqu’à sa mort, vu que vous étiez l’un des rares à pouvoir lui rendre visite durant son exil sanitaire. Quelle est votre appréciation de l’homme et de son combat politique ?
Jean Gaspard Ntoutoume Ayi : «Ceux qui savent se taisent» aurait dit Lao-Tseu. André Mba Obame a toujours été d’une très grande pudeur sur sa personne. Aussi permettrez-vous de continuer à respecter cette pudeur qui le caractérisait en vous épargnant, aussi admirative soit-elle, une appréciation personnelle de ce grand homme.
Comment porter une appréciation sur un combat politique aussi dense, aussi intense, aussi présent, que l’on partage et auquel on se sent autant lié ? Il faudrait un peu de temps, donc du recul pour cela. Par ailleurs, du fait de la proximité avec l’homme, donc du peu de distance qui existerait, il serait compréhensible qu’il soit fait reproche de subjectivité et pourquoi pas d’émotivité. Dans le même temps, la nature et la portée du combat politique d’André Mba Obame ne sont un secret pour personne. Il revient donc à chacun de l’exprimer en fonction de sa sensibilité.
Les générations futures se souviendront d’un homme qui, à partir de 2009, a renoncé au confort que lui procurait depuis 25 ans sa position au sein du pouvoir pour faire corps avec les aspirations profondes de ses concitoyens et faire naître une espérance certaine. André Mba Obame est celui qui a dit ces mots simples aux Gabonais qui les ont retenus : «Vous avez des droits» ; «le Gabon est votre pays». Ce sont ces mots, leur appropriation par le peuple Gabonais, qui expliquent le mieux le combat politique d’André Mba Obame.
D’aussi près que vous l’avez connu et des anecdotes que vous avez pu recueillir, quels peuvent être, selon vous, les raisons profondes de sa rupture avec Ali Bongo, son ami de 30 ans ?
Aussi surprenant que cela puisse paraître, de ce passé là André Mba Obame ne parlait jamais, y compris en privé ou en confidence.
En 2009, il y a eu une élection présidentielle anticipée qui faisait suite au décès d’Omar Bongo Ondimba. Cette élection était ouverte à toutes les Gabonaises et tous les Gabonais qui souhaitaient se présenter aux suffrages de leurs compatriotes. André Mba Obame s’est présenté à cette élection avec une offre politique, différente de celle du PDG auquel il appartenait et en dehors de cette formation politique. Sa victoire à cette élection est désormais indiscutable. La pertinence de son offre politique a été reconnue aussi bien par le peuple souverain qui l’a élu à cette occasion que par des organisations aussi qualifiées que la CPG (Confédération patronale gabonaise) qui l’avait auditionné avec le succès dont chacun se souvient.
Pour comprendre de ce qui s’est produit en 2009, il conviendrait de plonger dans l’histoire politique personnelle d’André Mba Obame. Il faudrait d’abord se souvenir que de 1981 à 1984, André Mba Obame était l’un des principaux animateurs du Morena (Mouvement de redressement national) en exil en France. C’est avec le concours du Parti socialiste français que son retour au Gabon fut négocié et organisé. Ce retour avait pour objectif d’œuvrer à la démocratisation du Gabon. Afin d’y parvenir, André Mba Obame a accepté de travailler au cabinet d’Omar Bongo Ondimba à partir de 1984. Les résultats de cette collaboration sont connus : la libération des prisonniers politiques du Morena en 1985 et le retour au multipartisme en 1990. De 1990 à 2009, alors que plus rien ne l’obligeait à continuer à travailler avec Omar Bongo, il est resté par loyauté et probablement aussi par affection fidèle à celui-ci. En 2009, après le décès d’Omar Bongo Ondimba, tout montre qu’André Mba Obame s’est réconcilié avec l’idéologue du Morena qu’il avait été au début des années 1980 pour proposer au pays une offre politique alternative.
Avez-vous une anecdote, une citation, un fait marquant que vous souhaitez porter à l’attention du grand public, pour une meilleure appréhension ou compréhension de l’homme politique disparu ?
Que celles et ceux qui souhaitent comprendre la candidature d’André Mba Obame en 2009 aillent relire le discours prononcé par Omar Bongo Ondimba le 1er décembre 2007 et qui est resté dans toutes les mémoires comme son testament politique.
On vous a vu, le jour du départ final de la dépouille mortuaire d’André Mba Obame, sur le toit du corbillard. Craigniez-vous ou croyiez-vous, vous aussi, à toutes ces rumeurs de tentative de profanation du corps de Mba Obame. Autrement, comment justifier que vous ayez fermement veillé à la protection du cercueil concerné ?
Une enquête d’opinion conduite il y a quelques années était parvenue à la conclusion que 94% des Gabonais étaient des croyants. Les funérailles d’André Mba Obame ont permis de réaliser à quel point l’irrationnel pouvait rendre difficile la gestion d’une situation et conduire à une crise. Ces rumeurs ont rencontré un environnement culturel tellement favorable qu’il importait peu qu’elles fussent ou non fondées. C’est une difficulté à laquelle celles et ceux qui avaient la responsabilité de la gestion des funérailles d’AMO ont été confrontés. Il conviendrait que sociologues et psychologues analysent froidement ce qui s’est produit à Libreville du 28 avril au 1er mai 2015 autour et à l’occasion des funérailles d’André Mba Obame.
Mais, au-delà du bien fondé ou non des rumeurs, c’est la détermination avec laquelle le peuple Gabonais a tenu à préserver l’intégrité d’André Mba Obame qui impressionne, force le respect et l’admiration. Avec constance, trois jours durant, des femmes et des hommes ont par milliers veillé sur lui, au mépris de leur propre condition.
L’objectif ce vendredi 1er mai 2015 était de rendre effectif ce départ. Monter sur le toit de ce véhicule pour aider à accéder au tarmac s’est dès lors révélé nécessaire. Mais si à ce moment précis et en cet endroit, les forces de sécurité avait fait leur travail, ce risque personnel n’aurait pas été nécessaire. On peut raisonnablement s’interroger sur l’incapacité de la force publique à assurer en toute sécurité l’accès sur le tarmac de ce corbillard 72 heures durant et au bout de 3 tentatives. C’est malheureusement ce qui se produit lorsque les femmes et les hommes qui ont la responsabilité de la sécurité publique ne reçoivent que des missions de répression au point de ne plus être en capacité d’assurer la sécurité.
Mba Obame parti, comment son héritage politique, si tel est qu’il existe, pourrait être capitalisé pour offrir aux Gabonais l’idéal qu’il chérissait ? Et par qui cet héritage peut-il être capitalisé ?
A ce stade, il semble mieux indiqué de relire ensemble André Mba Obame qui, le 15 novembre 2009 s’adressait à la classe politique gabonaise en ces termes : «La dictature n’est pas un horizon que nous pouvons nous permettre d’offrir à nos compatriotes et à notre pays. Je lance un appel à tous et à chacun. Allons au-delà de nous même. Avec humilité et détermination, acceptons de nous mettre résolument au service de notre pays pour offrir à chaque Gabonaise et à chaque Gabonais l’avenir auquel il aspire véritablement.
A tous ceux qui se sont vu imposer un choix qu’ils ne partagent pas et sont aujourd’hui compromis contre leur volonté, je leur envoie le message suivant : Il n’est pas trop tard !
Il n’est pas trop tard pour faire le choix que vous impose votre conscience et que les intérêts personnels du moment contrarient. En conscience, vous savez quelle est la Voie. Et vous savez que vous vous en détournez. Vous savez ce que le peuple dans les villes et dans les villages vous demande et je sais que vous êtes d’accord avec le peuple.
Ma détermination à accompagner le peuple gabonais dans cette noble mission de libérer notre pays est entière et vous la connaissez. Je lance un appel sincère et patriotique à tous ceux qui veulent continuer à lutter pour cette juste cause, afin qu’ensemble, je dis bien ensemble nous libérions notre pays de l’imposture politique, de l’amateurisme administratif, de l’injustice sociale, du tribalisme qui sert aujourd’hui de fond de commerce à ce pouvoir qui ne connait que l’arrogance, l’intimidation et la brutalité»
Moins de trois mois après cette déclaration naissait l’Union nationale. Le principal héritage politique qu’André Mba Obame laisse au peuple Gabonais est l’Union nationale. Plus qu’un Parti politique, cette formation politique, perçue par le peuple gabonais comme un mouvement de libération nationale, exprime et concentre le projet politique d’AMO, son ambition pour le Gabon. Parce que l’intérêt du Gabon leur apparaissait bien plus important que leurs destins individuels, Zacharie Myboto, Casimir Oye Mba, Jean Eyeghe Ndong, Pierre Claver Nzeng, Paulette Missambo, Jean Ntoutoume Ngoua, Jean-Pierre Rougou, Gérard Ella Nguema et André Mba Obame sont allés au-delà de ce qui pouvait les séparer pour privilégier l’unité au service du pays. Avec la détermination et la force de conviction qui caractérisent les Hommes d’État, ils ont offert au pays cet espace politique ouvert à toutes les Gabonaises et tous les Gabonais qui œuvrent, avec le souci d’associer toutes les intelligences et toutes les volontés, pour le changement et l’alternance politique au Gabon. La première démarche des femmes et des hommes, jeunes et moins jeunes, qui voudraient voir se réaliser le projet politique d’André Mba Obame devrait être de répondre à cet appel, de rejoindre et de faire triompher l’Union Nationale au service du Gabon et du peuple gabonais.
En l’absence d’AMO, quel va être le positionnement et l’avenir politique de ceux qui figuraient dans son premier cercle et qu’on pourrait, au sein de l’Union nationale, appeler «groupe Amo» ?
Même si l’expression «vous qui êtes derrière Mba Obame» à parfois été entendu de ceux qui avaient peine à dissimuler leur aversion à son égard, André Mba Obame n’était ni un Gourou, ni un chef de clan. Dans sa relation aux autres, il respectait plus que tout la liberté de chacun. C’est donc en toute liberté que les compagnons d’André Mba Obame vont poursuivre, comme jusqu’à présent, leur engagement politique au service de leur pays. Chacun le fera en fonction de sa disposition, mais ils seront tous fidèles à cet héritage qu’André Mba Obame laisse au Gabon et auquel il serait juste qu’ils soient tous associés.
Dans son combat politique pour le Gabon, André Mba Obame n’a pas été seul. Des femmes et des hommes ont comme lui renoncé à des positions sociales confortables pour une ambition à leurs yeux plus grande, parce que plus noble : se consacrer à leur pays et à leurs concitoyens. Ils continuent à en payer le prix fort, pourtant leur détermination demeure. Ces femmes et ses hommes resteront à jamais habités de ce dernier discours public prononcé par André Mba Obame le 15 juin 2013 à la Cathédrale Sainte-Marie : «En ce lieu de la Fraternité et de l’Esperance, je voudrais avoir à l’endroit de tous et de chacun ces trois mots simples et pourtant essentiels. Trois mots sans lesquels rien n’est possible et avec lesquels tout est possible.
La confiance d’abord, la loyauté ensuite, le courage enfin (…) J’ai un idéal, la démocratie dans un Gabon pour tous. Une exigence, la justice dans un Etat de droit. Et rien de cela n’est négociable. Rien.»
Un peu de prospective. Sans Mba Obame, à quelle nouvelle configuration du leadership pourrait-on assister, aussi bien pour la province du Woleu-Ntem dont il était natif et où il raflait tous les suffrages, que pour l’opposition en général et l’Union nationale en particulier ?
La prospective est un exercice périlleux en politique. Ce sont les circonstances qui révèlent les leaders. Il a fallu attendre le décès d’Omar Bongo Ondimba pour qu’André Mba Obame se révèle au peuple Gabonais.
André Mba Obame est unique et irremplaçable. Par contre, l’aspiration profonde du peuple gabonais au changement impose que des hommes et des femmes se lèvent pour poursuivre sans faiblir cette lutte pour la libération du Gabon. Au milieu de ces femmes et de ces hommes, une personne saura se détacher des autres pour cristalliser l’ardent désir de changement que le peuple gabonais a une nouvelle fois manifesté au durant les funérailles d’AMO. Cette personne deviendra à son tour unique et irremplaçable.
Avez-vous une préoccupation, un aspect des choses qui vous tient à cœur et que nous n’avons pas abordé ?
Le 28 avril 2015, plus de 100 000 personnes ont accompagné André Mba Obame depuis son arrivée à l’aéroport Léon Mba jusqu’au lieu de la veillée, le stade de Nzeng-Ayong. Sous un soleil de plomb, une chaleur de plus de 30°C, ces femmes et ces hommes, de tous âges et de toutes conditions, branches de palmier à la main, chantant à pleine voix, ont marché durant plus de 5 heures sur une distance de 14 kilomètres. Les tee-shirts qu’ils portaient quasiment tous, ils se les sont offerts avec leurs maigres revenus et les ont portés avec dignité. L’eau qu’ils buvaient pour étancher leur soif, il se la procurait auprès d’autres compatriotes massés sur leur passage. Malgré les crampes, malgré la chaleur, ils continuaient de marcher : ils sont allés jusqu’au bout ! Malgré le deuil, ils étaient dignes, ils étaient fiers. Ce 28 avril 2015, le peuple gabonais a adressé à la Nation et au monde son attachement au combat politique pour lequel André Mba Obame a consenti au sacrifice suprême. Il a exprimé comme jamais son ardent désir de changement au Gabon.
Ce qui s’est produit par la suite. Notamment du mercredi 29 avril au 1er mai 2015 doit être compris comme la plus grande entreprise de défiance du peuple gabonais à l’endroit du pouvoir établi. Se servant d’André Mba Obame comme d’un bouclier, le peuple gabonais a défié le pouvoir établi et lui a crié à pleine voix sa colère et son exaspération. Au cours de ces trois jours, sans arme et sans violence, le peuple Gabonais a défié ce pouvoir qu’André Mba Obame s’est refusé à reconnaitre jusqu’à sa mort. A sa manière, en toute souveraineté, le peuple gabonais a dit au pouvoir établi et au monde sa colère devant la dictature dans laquelle il est enfermé depuis ce triste 03 septembre 2009.
Ce qui s’est produit à Libreville du 28 avril au 1er mai 2015 marquera pour longtemps l’histoire politique du Gabon. Plus que jamais, le peuple Gabonais s’est exprimé avec la fermeté qui de tous temps à caractérisé les populations révoltées. Comme jamais, le peuple gabonais s’est exprimé avec un civisme et une non-violence qui forcent le respect. Au-delà du pouvoir établi auquel il a dit avec force sa colère et son rejet de la dictature qu’il lui impose. Au-delà de l’opposition au pouvoir établi auquel il a dit son ardent désir d’alternance et de changement. C’est aussi et surtout à chaque Gabonaise et à chaque Gabonais qu’il a adressé une invitation à s’interroger sur la situation politique, économique et sociale du pays, ainsi que ses conséquences sur l’avenir commun, le vivre-ensemble. Du 28 avril au 1er mai 2015, le peuple Gabonais s’est adressé à la conscience de chacun, donc de tous. Puisse chaque Gabonaise et chaque Gabonais aller au-delà de lui-même et en tirer toutes les conséquences.