Le Mouvement gabonais pour Ali Bongo Ondimba est l’expression la plus caricaturale de l’incapacité de l’actuelle majorité à se renouveler.
Le week-end dernier, le Mouvement gabonais pour Ali Bongo Ondimba (Mogabo) battait les estrades de France. De toute évidence, il entendait y sensibiliser la communauté gabonaise. Y est-il parvenu ? On ne le sait pas. On est en revanche convaincu d’une chose : ce mouvement est la preuve de l’incapacité de la majorité de se renouveler. Il est l’illustration de l’inaptitude des dirigeants actuels de se départir des vieilles recettes éculées. Il est la manifestation de leur impuissance à offrir une respiration intellectuelle à la vie publique nationale. Usant et abusant des prérogatives institutionnelles de ses membres – l’utilisation de l’appareil d’Etat à des fins privées et politiciennes est toujours de saison –, le Mogabo se pose en avocat du bilan du président de la République et en poisson-pilote de la majorité. Mais il en faudra plus pour rallier les foules à la cause de son champion. Aujourd’hui, d’aucuns y voient une simple initiative opportuniste de plus.
Et pourtant, l’option prise par Pacôme Moubelet-Boubeya et ses comparses semble limpide, claire comme l’eau de roche. De leur point de vue, il s’agit d’aller à la conquête des masses, de les sensibiliser sur le bilan et les perspectives des politiques publiques actuelles. Rien de bien original au regard des parcours, zigzags idéologiques et aller-retour de ces politiques connus de tous. Pas grand-chose de bien novateur au vu des trajectoires de ces hauts fonctionnaires néanmoins estampillés PDG. N’empêche, on est en droit d’attendre mieux. Voire d’exiger davantage. Comme il a prétention à aller au-delà du cadre partisan, en tant qu’il dit avoir vocation à combler les lacunes du PDG, attendu qu’il ambitionne d’explorer de nouvelles terres, ouvrir de nouveaux horizons, le Mogabo aurait dû éviter le piège du culte de la personnalité. Il aurait pu choisir une dénomination moins personnalisée, plus théorique et conceptuelle. Il avait, par exemple, la possibilité de se doter d’une appellation faisant référence à un objectif et une date.
S’adapter aux réalités du moment
Certes, la culture politique de ses principaux membres est toute dédiée à la gloire d’un homme. Certes, la tradition PDG consacre la primauté des personnes sur les idées et les institutions. Mais l’adhésion des populations au discours politique dépend aussi de la capacité des acteurs à scruter l’horizon, à fonder leurs propos sur des préceptes et à défendre des positions juridiquement vérifiées, économiquement viables et sociologiquement acceptables. Agir ensemble, Avenir en confiance, Plan stratégique Gabon émergent, Gabon vert, Gabon industriel, Gabon des services, Paix-développement-partage, Gabon bleu, Stratégie d’investissement humain, Graine : une partie de l’opinion en est encore à essayer de comprendre comment tous ces concepts, notions, projets et programmes s’imbriquent ou s’articulent. Une frange de la population se demande toujours à quoi cela renvoie dans son quotidien. Une autre interroge indéfiniment la portée et le réalisme de cette vulgate. Le Mogabo aurait pu choisir une dénomination et des axes de travail plus en phase avec cette demande-là. Etait-ce envisageable dans le contexte actuel ? Etait-ce possible au regard de sa composition ?
Assurément, le Mogabo doit changer de méthode. Il est tenu d’en finir avec les rencontres bling-bling au confluent du meeting et de la causerie. La preuve de son utilité et sa crédibilité en dépendent. Autrement, il demeurera ce succédané du PDG, qu’il affirme ne pas être sans convaincre grand monde. Les différentes branches du secteur privé, notamment les forestiers et agents d’import-export, les organisations syndicales, la société civile dans toute sa diversité, les acteurs non étatiques et plus largement les corps intermédiaires devraient constituer sa cible première. Est-il en capacité de faire face à ce type d’auditoire ? En a-t-il seulement les ressources intellectuelles et politiques ? Sans remettre en cause les cursus académiques des uns et des autres, ces questions restent posées. «La politique c’est la conduite des affaires publiques pour le profit des particuliers», enseigne Philippe Bouvard. Les membres du Mogabo ont-ils suffisamment réfléchi aux voies et moyens de mettre la chose publique au service d’intérêts particuliers autres que les leurs ? Il est permis d’en douter. Pour l’heure, ce mouvement apparaît comme l’évidente manifestation de l’incapacité de la majorité à revoir son logiciel, à s’adapter aux réalités du moment et à en cerner les contingences. Depuis 1967, le PDG organise des causeries dans des salles, devant des publics hétéroclites. Depuis 1990, il s’empresse d’aller au contact de la communauté gabonaise de France, dont l’influence et le poids électoral réel semblent surestimés.
Le Mogabo supplée le PDG, Ali Bongo remplace le Gabon
On aurait aimé voir et entendre autre chose : au lieu de dépenser des fortunes pour rencontrer une communauté essentiellement composée d’étudiants sur les bords de la Seine, on aurait souhaité que le Mogabo devise avec les associations d’étudiants des universités nationales, où les années académiques se succèdent et se ressemblent. Au lieu d’aller évoquer les effets et impacts de l’interdiction d’exporter les bois en grumes devant des diplomates et les abreuver de choses abstraites sur les changements climatiques, il aurait été plus porteur d’en parler avec l’Union des forestiers industriels du Gabon (Ufiga) et les ONG environnementales nationales. Au lieu d’aller se livrer au procès des 42 ans de règne d’Omar Bongo Ondimba hors du pays, il aurait été plus judicieux d’en débattre avec le bureau de la Fondation Omar Bongo Ondimba. Au lieu d’aller parler de la Coupe d’Afrique des nations 2017 à plus de 6 000 kilomètres de Libreville, il aurait été plus courageux d’en analyser le coût d’opportunité face aux entrepreneurs locaux.
On aurait aimé voir Pacôme Moubelet-Boubeya et Alain-Claude Billié-by-Nzé expliquer aux bureaux du groupe «Etudiant-conscient» et de la Ligue estudiantine des droits de l’homme les tenants et aboutissants de la politique d’enseignement supérieur. On aurait apprécié leurs efforts pour ramener Nicolas Ondo, Duphy Minto’o, Ballack Obame, Lionel Engonga et Anatole N’nang à plus de sérénité et leur redonner confiance en l’avenir. Est-ce possible quand l’un est ministre de l’Enseignement supérieur et l’autre ancien leader étudiant ? Est-ce opportun quand l’un est accusé de faire la sourde oreille à toutes les revendications et l’autre de choses dont la véracité n’a jamais été attestée ? On aurait pris plaisir à voir Noël Nelson Messone convaincre Franck Chambrier de la nécessité de passer d’exploitant forestier à industriel du bois ou édifier Marc Ona Essangui sur les raisons du sur-place des négociations sur les accords de partenariat volontaire avec l’Union européenne ? Est-ce imaginable quand l’un est un diplomate supposé être au fait du piétinement de ce processus et les autres des négociateurs ? On aurait trouvé enrichissant de voir Denise Mekamn’e rallier Pascaline Mferri Bongo à l’idée qu’Ali Bongo est plus assidu à la tâche qu’Omar Bongo Ondimba. Est-ce plausible quand l’une fut ministre de celui qu’elle présente comme un «roi fainéant» et l’autre la fille du mis en cause et surtout la sœur aînée de celui au nom de qui la première s’exprime ? On aurait pris plaisir à voir Blaise Louembe expliquer à Francis Evouna, Jean-Baptiste Bikalou et Henri-Claude Oyima en quoi la Can 2012 a bénéficié à leurs entreprises et surtout en quoi l’édition 2017 peut être bénéfique pour eux et pour l’ensemble de la société.
Dans ce contexte, peut-on et doit-on parler d’erreur de casting ? D’emploi malaisé depuis qu’Ali Bongo en avait fait une excuse aux errances de ses gouvernements, ce groupe nominal revêt tout son sens en l’espèce. Au-delà des acteurs, le scénario doit être réécrit à coup sûr. Déjà l’opinion s’interroge : la majorité est-elle définitivement incapable de sortir des sentiers battus ? N’y a-t-il pas, dans l’entourage d’Ali Bongo, des personnalités aux parcours personnels, professionnels, intellectuels et politiques plus consensuels ? Au-delà de la langue de bois politicienne, n’y a-t-il pas des personnalités capables de soutenir un débat contradictoire sur des bases techniques et scientifiques ? Est-ce innover que de confier la responsabilité de tracer des perspectives aux personnalités chargées de porter la parole officielle et de défendre tout et son contraire ? Est-ce républicain que d’amener des ministres à user de leurs prérogatives républicaines pour défendre un potentiel candidat ? On avait entendu parler du parti-Etat. Certains le connaissaient même. D’autres ont vécu sous son joug. Sommes-nous en train d’expérimenter le président-Etat ? Si la composition du Mogabo n’est pas revue, si cette entité ne met pas en avant d’autres personnalités, si elle persiste dans la voie actuelle, on pourra alors dire qu’elle a définitivement suppléé le PDG. Pis : on sera fondé à affirmer qu’Ali Bongo a remplacé le Gabon dans sa vision du monde. Si pour certains, il en a toujours été ainsi, pour d’autres on va de Charybde en Scylla. Une chose est au moins sûre : le Mogabo n’enrichit ni le débat ni la pratique politique. Pour ainsi dire, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Tout ça pour ça !!!