En annonçant son intention de partager une partie de la succession de son père avec ses compatriotes, le président Ali Bongo Ondimba a surpris tout le monde, opposition et cohéritiers. Difficile, en effet, de critiquer un tel geste… Retour sur une déclaration politique aussi audacieuse que controversée.
«Débat royal : pour ou contre que le Roi donne une partie de son kolo [« argent »] et de ses kamas [« maisons »] aux jeunes du Bongoland [Gabon] ? » placardait Pahé, le caricaturiste bien en cour au Palais du bord de mer, sur son mur Facebook le 18 août.
La veille, en direct à la télévision à l’occasion de la Fête nationale, le président Ali Bongo Ondimba (ABO) avait annoncé qu’il cédait une partie de son héritage et trois demeures du patrimoine paternel à l’État. Pour la jeunesse du Gabon, une université sera fondée, et pour le rayonnement du pays, Paris accueillera deux nouveaux bâtiments culturels et diplomatiques gabonais.
Le discours a autant frappé par sa forme – l’allocution traditionnelle étant habituellement préenregistrée et diffusée la veille de la fête – que par sa généreuse conclusion quand, de révélations sensibles en déclarations tapageuses, les Gabonais assistent depuis des mois à la bataille acharnée que se livrent les 53 héritiers reconnus pour le partage du patrimoine laissé par le président Omar Bongo Ondimba (OBO), mort en 2009.
Ce n’est qu’un coup de communication, en aucun cas une démarche crédible de restitution des biens des Gabonais »
Le don d’Ali
« Ali Bongo cède son héritage », annonçait un peu vite le quotidien économique français Les Échos le 20 août. L’écho, en effet, d’une perception répandue à Libreville où L’Union, le grand quotidien proche du pouvoir, titrait lui-même la veille : « Ali Bongo Ondimba cède sa part d’héritage à la jeunesse ! » avant de nuancer dans le texte.
Car si ABO affirme que sa « part d’héritage sera partagée avec toute la jeunesse gabonaise », il précise ensuite que le don sera constitué « des revenus tirés de la part d’héritage qui [lui] revient ». Concrètement, une fondation pour la jeunesse et l’éducation sera créée et financée par les intérêts, dividendes et autres bénéfices générés par le capital reçu qui, lui, restera dans les coffres d’ABO.
« Cette fondation s’inscrit dans la durée et cette formule lui apportera des revenus réguliers », confirme le porte-parole du président, Alain-Claude Bilié Bi Nzé, en ajoutant que « si la succession fait apparaître des revenus pétroliers ou des dividendes de multinationales, ils y seront bien sûr intégrés ». Comment les chiffrer ? « Nous ne sommes pas encore en mesure de donner une estimation de la succession et il serait hasardeux d’annoncer un montant, mais la création de la fondation ne dépend pas de cette échéance et pourrait avoir lieu dans les jours à venir », répond Bilié Bi Nzé.
Les cadeaux des enfants d’OBO
Outre ce don d’Ali, le président annonçait aussi, « au nom des enfants d’OBO », offrir à l’État une villa et son vaste parc à Libreville, où une université de pointe sera construite, et deux hôtels parisiens qui « seront affectés à un usage diplomatique et culturel ».
Alors que s’éternise le conflit entre les ayants droit sur le partage de l’héritage, ce legs aurait-il été approuvé par les 52 autres héritiers ? Contacté, Me Éric Moutet, avocat d’Onaida Bongo, fille d’Omar, le réfute pour sa cliente : « Si cela avait été le cas, j’en aurais été clairement informé ! » D’autres envisageraient des suites judiciaires. « Aucun des héritiers n’a été mis au courant, confie une source proche du président. Il s’agit aussi d’exercer une forme de pression sur eux, avec ce pari : mis devant le fait accompli, qui osera s’y opposer ? »
À Paris, les médias français s’empressent de souligner que, dans le cadre de l’affaire des « biens mal acquis », les deux hôtels particuliers de la capitale – dont l’un, rue de La Baume, a été acheté en 2007 pour 18,875 millions d’euros – sont sous la surveillance de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), « sans être pour l’instant placés sous hypothèque judiciaire, pour autant que je sache », concède l’avocat d’une ONG plaignante.
Une opération séduction ?
« Posez-vous la question du calendrier politique et judiciaire », conseille-t-on du côté des associations françaises à l’origine de la procédure des « biens mal acquis ». La brève interpellation, le 3 août à Paris, du directeur du cabinet présidentiel Maixent Accrombessi dans le cadre d’une enquête pour « corruption d’agent public étranger et blanchiment » renforce à leurs yeux la suspicion.
Et à l’approche de la présidentielle de 2016, l’annonce est inévitablement perçue comme une opération de séduction à l’adresse de la nombreuse jeunesse, potentiellement votante. « Ce n’est qu’un coup de communication, en aucun cas une démarche crédible de restitution des biens des Gabonais. Il n’appartient qu’aux justices française et gabonaise d’ordonner la restitution de ces biens à l’État et ABO va un peu vite en besogne, s’indigne Georges Mpaga, porte-parole du mouvement gabonais. Ça suffit comme ça ! »
Et le cacique de l’opposition, Zacharie Myboto, accuse : « Ce sont des déclarations politiciennes fallacieuses. ABO a autant l’habitude de faire des promesses que de ne pas les tenir ! » »
Le chef de l’État devra rapidement matérialiser son élan du cœur s’il ne veut pas qu’il devienne une entrave à sa campagne
Outré à son tour, le porte-parole du président rappelle la philanthropie patriotique qui anime le discours du 17 août et interprète ces attaques comme « la réaction de gens embarrassés qui ne s’attendaient pas à une telle action, encore moins d’une telle ampleur. Nous sommes déjà dans la phase opérationnelle, bien au-delà de la communication. Quant à M. Myboto, il ne peut pas réagir autrement, étant partie prenante de la succession par sa petite-fille, Oneida, la propre fille d’Omar Bongo. On aimerait le voir capable du même geste ! ».
Selon les rares proches qui ont participé très discrètement à la mise au point du projet, ABO mûrissait sa décision depuis longtemps. « Mais il a commencé à vraiment y travailler en avril, en prévoyant déjà de l’annoncer lors de la Fête nationale, confie l’un d’eux. Beaucoup de choses doivent encore être faites pour assurer l’avenir de la jeunesse, et ce don est une réponse aux difficultés économiques que connaît le pays. C’est aussi un hommage à son père et à son amour du Gabon. » Un autre proche y ajoute « la volonté d’ABO de se démarquer de ces histoires de « biens mal acquis » et de succession qui le tourmentent depuis des années ».
Objectif : présidentielle
En vidant ainsi la boîte de Pandore ouverte par la disparition du patriarche, le locataire du Bord de mer a fait des vagues jusque dans le Gabon profond. Entre ceux qui, dans le pays, glorifient le prince prodigue et ceux qui pestent que « rendre au peuple ce qui est au peuple est la moindre des choses », l’un des héritiers Bongo estime qu’un exemple vient d’être donné, qu’il faut suivre et amplifier.
« Cela fait des années que je pousse pour que nous fassions tous ce geste-là, déclare Anicet Bongo Ondimba. Les Bongo, mais aussi les Ping et les Myboto qui sont de la famille. Et nous ne devrions garder que ce que mon père nous a, comme à tant de Gabonais, donné de son vivant. Mais ce qu’il a laissé à sa mort doit revenir à la communauté, conformément à la tradition bantoue. » Et face à « l’énervance » des ennemis politiques d’ABO, Pahé le 20 août élargissait sur Facebook le débat à l’ensemble du marigot politique : « Les opposants, anciens ou nouveaux, doivent-ils aussi ouvrir leurs paumes ou n’ont-ils rien car fauchés ? »
Le signal de départ d’une course aux dons ? En attendant si généreuse et générale abnégation, la présidentielle approche et le chef de l’État devra rapidement matérialiser son élan du cœur s’il ne veut pas qu’il devienne une entrave à sa campagne.
À CHACUN SA PART
Selon un document de la Direction générale des impôts du Gabon daté d’octobre 2014 et élaboré sur la base d’éléments transmis par Pascaline Bongo, l’actif net de la succession s’élève à 549 millions d’euros, un montant contesté, sous- ou surévalué selon les avis. Légataires universels, Ali et sa sœur Pascaline doivent s’en partager la moitié. Ce qui porterait la part d’Ali à 137,25 millions d’euros.