Dans une interview aux « Echos », Ali Bongo, président de la République du Gabon, revient sur la volonté de son pays d’accélérer sa diversification économique en dehors du pétrole.
L’Afrique émergente intéresse analystes et investisseurs. Vous accueillez cette semaine deux sommets, Agoa et Nyfa. Comment le Gabon peut-il continuer à faire partie du club, avec un taux de croissance tombé de 6% à sans doute 3 ou 4% cette année ?
Le marché des Etats-Unis, qui fait l’objet du traité Agoa, constitue une opportunité importante pour les pays africains, même si le Gabon en a peu bénéficié. Nous savons depuis longtemps qu’il faut accélérer notre diversification économique pour moins dépendre de la rente pétrolière, au demeurant peu créatrice d’emplois. Notre stratégie s’appuie sur trois piliers : le Gabon vert , le Gabon industriel et le Gabon des services. Pour le premier pilier, le défi est de préserver la ressource forestière, c’est pourquoi nous maintenons un taux de déforestation inférieur à 1% par an, tout en développant l’emploi dans l’industrie du bois, en misant sur la première ou la deuxième transformation, ou l’agriculture. Le volet minier s’appuie surtout sur le manganèse, dont nous sommes un des trois principaux producteurs mondiaux, nous avons inauguré récemment un complexe de transformation. Enfin, dans le volet des services, il importe de développer les infrastructures permettant d’attirer les touristes, hôtellerie, paiements par carte bancaire, téléphone. Tout cela sans oublier de réduire la pauvreté, puisque un tiers des Gabonais vit encore sous le seuil de pauvreté, c’est pourquoi j’ai décidé fin juillet une hausse moyenne de 30 % des salaires dans la fonction publique, malgré la baisse des cours du pétrole.
La chute du prix du baril combinée à celle de la production de gisements anciens, constituent un vrai défi pour un pays dépendant de l’or noir. Comment faire face ?
Nous pouvons déjà nous réjouir de ce que la croissance de l’économie hors pétrole continue d’être à deux chiffres. Pour contrecarrer le déclin de la production, nous avons commencé à réformer le code pétrolier pour attirer les spécialistes de l’exploration en offshore profond et je suis très optimiste sur les perspectives. Croyez-moi, l’aventure pétrolière du Gabon n’est pas terminée. Pour ce qui est de l’impact budgétaire à court terme, le choc est rude, même si nous avions anticipé avec prudence une chute des cours, mais pas à ce point. Nous sommes obligés de réduire le train de vie de l’Etat, en préservant l’essentiel, la construction d’infrastructures levier de développement et les dépenses sociales incontournables. Et puis, nous disposons de capacités d’emprunts, puisque le Gabon est peu endetté.
Cela va-t-il vous conduire à un collectif budgétaire ? La plupart des exportateurs de pétrole vont devoir en passer par là. On voit de nombreux chantiers d’ores et déjà à l’arrêt, comme celui du Champ Triomphal à deux pas d’ici…
Revenez dans quelques mois. Les cours ne peuvent pas baisser indéfiniment, ils remonteront, généralement les cycles baissiers durent 18 mois. Nous nous consultons entre exportateurs, j’ai été récemment en Arabie saoudite. Un baril si bas n’est de toute façon pas dans l’intérêt des pays importateurs non plus, car nous sommes les clients de certaines de vos entreprises.
Votre décision du 17 août de renoncer à votre part de l’héritage de votre père, a suscité de nombreux commentaires. Pourquoi cette décision ?
J’aurai l’occasion d’y revenir, et d’autres réponses seront apportées. Je laisse chacun à la responsabilité de ses commentaires. Puisque l’héritage n’est toujours pas réglé, cela fait six ans que nous vivions sans. C’était une décision que j’envisageais depuis longtemps, mais il me manquait des informations. Contrairement à ce que j’ai entendu ici ou là, ma décision ne consiste pas à tourner le dos à mon père ou à sa politique, puisque pour lui la jeunesse a toujours été sacrée et que, précisément je donne ma part pour qu’elle profite à l’effort de formation du pays, lequel est non négligeable, avec 12% du budget de l’Etat consacré à l’éducation.
Pourriez-vous préciser ? Vous avez évoqué le transfert à une fondation des revenus tirés de votre part d’héritage, mais pas le patrimoine lui-même, dont le périmètre reste imprécis ; vous avez cité deux hôtels particuliers à Paris et un terrain ici, mais les listes établies à partir d’enquêtes de la justice française font état de plus d’une trentaine d’appartements en France, de comptes en banques, de terrains au Gabon, d’actions…
Je n’ai parlé que de ce qui me concerne, ce qui me revient personnellement. Pour ce qui est des listes qui circulent dans la presse internationale, qui mélangent tout, des patrimoines personnels et d’autres appartenant à l’Etat, assorties de montants fantaisistes, je les conteste formellement. Mais nous aurons l’occasion de revenir là-dessus.
Votre geste ne risque-t-il pas d’ouvrir des contentieux de la part des 52 autres ayant-droit?
Souffrez que je prétende mieux connaître mes frères et sœurs que vous. Je lis ici et là des commentaires, mais que chacun gère sa famille, laissez-moi gérer la mienne. Je ne vois pas pourquoi ma décision en tant que colégataire universel déboucherait sur des recours juridiques.