Otto Perez Molina est derrière les barreaux. Quelques heures après sa démission, jeudi 3 septembre, le désormais ex-président du Guatemala a été placé en détention provisoire dans une caserne militaire. Un coup de théâtre qui intervient trois jours avant les élections prévues ce dimanche 6 septembre.
Avec notre correspondant régional, Patrick John Buffe
Trois jours avant les élections de dimanche, le Guatemala a vécu ce jeudi 3 septembre une intense journée, après la démission du président Otto Perez. Impliqué dans une affaire de corruption, l’ex-chef de l’Etat passe sa première nuit en prison. Et le pays a un nouveau président : Alejandro Maldonado a prêté serment jeudi 3 septembre devant le Parlement. Celui qui était jusque-là vice-président assurera l’intérim jusqu’à la prise de fonction du futur chef de l’Etat, en janvier. Il a annoncé un remaniement complet du gouvernement.
Remaniement ministériel à la veille des élections
Deux jours seulement après la levée de son immunité, l’ex-président Otto Perez s’est retrouvé sur le banc des accusés. Durant toute la journée de jeudi, il a comparu devant un juge qui l’a mis en examen. A cette occasion, le ministère public a présenté les écoutes téléphoniques qui l’impliqueraient dans une structure criminelle d’évasion fiscale mise en place dans les services de douanes. A l’issue de cette première audience publique, l’ex-président a été envoyé en prison, afin de garantir sa comparution durant les prochains jours.
Du côté du Congrès, les parlementaires se sont réunis dans l’après-midi de jeudi. En premier lieu, pour accepter la démission d’Otto Perez. Ils ont ensuite désigné son successeur, en la personne du vice-président, Fernando Maldonado.
Lors de son discours d’investiture, le nouveau chef de l’Etat a demandé à tous les ministres et hauts fonctionnaires de présenter leur démission en vue d’un remaniement complet du gouvernement. Et cela, trois jours seulement avant les élections présidentielles.
Une décision « historique »
A l’extérieur du tribunal et sur la place de la Constitution, les Guatémaltèques se sont rassemblés dès les premières heures de la matinée pour fêter la démission du président. Un départ qu’ils réclamaient depuis avril dernier, multipliant depuis les manifestations à un rythme soutenu. « C’est historique, parce que la justice du Guatemala a rarement pu atteindre les personnes les plus puissantes du pays », se félicite Manfredo Marroquin, membre de la branche locale de Transparency international – Action citoyenne.
Le placement en détention provisoire de l’ancien président, et les poursuites engagées contre lui par la justice, constituent « un message suffisamment clair et fort pour la classe politique qui aspire à diriger ce pays ». Elle a aussi été un électrochoc pour la société civile. « Cette crise a permis de réveiller la population, qui était assez absente et endormie jusqu’à présent. Je crois que grâce à tout cela, la population a prouvé que manifester pacifiquement peut avoir des résultats positifs face à un pouvoir qui ne répond plus à ses intérêts », juge Manfredo Marroquin.
Se faisant le porte-parole de la société civile guatémaltèque, il dit attendre désormais « une classe politique plus responsable, qui répond aux intérêts du peuple. On ne veut plus de ces dirigeants qui, pendant les trente dernières années, oubliaient les demandes du peuple une fois élus et ne s’occupaient que de leurs affaires et de s’enrichir illégalement, comme l’a fait Otto Perez Molina. »
L’obstacle du « racisme structurel »
Cette « prise de conscience collective importante au Guatemala n’avait jusqu’à présent jamais été réalisée », constate pour sa part Alain Musset, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris.
Mais il pointe cependant le « racisme structurel » de la société guatémaltèque qui, selon lui, est le principal obstacle à tout changement en profondeur du pays. « La société guatémaltèque reste profondément divisée en deux : d’un côté les Métis ou les Latinos, de l’autre les Indiens. On ne se mélange pas, même dans les manifestations », rappelle le chercheur, qui pointe également le climat d’impunité qui règne dans le pays, et dit craindre que dans le dossier Otto Perez, « on aboutisse, là encore, à une impasse dans le système juridique ».