Ce lundi 14 septembre, le président gabonais Ali Bongo s’est rendu à l’Elysée pour un entretien officiel avec François Hollande. Son directeur de cabinet, Maixent Accrombessi, est pour sa part resté à Libreville. Lors de sa dernière venue en août, il avait fini son séjour en garde à vue dans les locaux de la police judiciaire à Nanterre, lundi 3 août. Le choc fut brutal pour cet homme habitué au faste des palaces et des restaurants étoilés du 8e arrondissement.
Rapidement relâché après que la présidence gabonaise eut transmis une lettre aux autorités françaises, faisant valoir son immunité diplomatique, Maixent Accrombessi est, depuis, un sujet de tensions entre Paris et Libreville.
L’affaire Accrombessi a provoqué un petit incident diplomatique entre le Gabon et la France, lundi 14 septembre, à l’occasion de la visite en France du président Ali Bongo. A l’issue de son entretien avec François Hollande, le président gabonais n’a pas caché sa colère à l’égard du traitement réservé à son directeur de cabinet : « Nous disons que l’on a voulu humilier le Gabon », a-t-il déclaré sur le perron de l’Elysée.
Depuis le 7 août, une information judiciaire est ouverte à l’encontre du bras droit d’Ali Bongo pour « corruption active et passive d’agents étrangers, abus de bien social, blanchiment, recel, faux et usage de faux » dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte en juillet 2007 sur des faits remontant à 2005. L’instruction a été confiée au juge Roger Le Loire, qui dirige aussi l’enquête dite des « biens mal acquis » visant plusieurs dirigeants africains – dont le père et prédécesseur de l’actuel président du Gabon – ayant une fâcheuse tendance à s’enrichir personnellement sur le dos de leur pays. Un chiffon rouge pour Libreville.
Homme d’influence et maître vaudou
Si la garde à vue de Maixent Accrombessi a provoqué autant de remous, c’est aussi parce qu’il n’est pas qu’un simple directeur de cabinet. Il est l’homme auquel on prête tous les pouvoirs : intermédiaire économique incontournable, grand ordonnateur de l’agenda présidentiel, homme d’influence auprès des « services », maître vaudou, membre revendiqué de la franc-maçonnerie.
C’est à Paris que cet homme d’affaires originaire d’Abomey au Bénin s’immisce dans les arcanes de la politique gabonaise. « J’ai rencontré Omar Bongo lors d’une réunion maçonnique à Paris dans les années 1990, il m’a présenté son fils », a confié au Monde M. Accrombessi, lors d’entretiens accordés en février puis en avril à Paris. Selon ses dires, le doyen des chefs d’Etat africains, au pouvoir de 1967 jusqu’à sa mort en 2009, lui présente alors son fils, le ministre de la défense Ali Bongo, formé dans les meilleures écoles françaises, où il a rencontré Philippe Belin, futur patron du groupe familial Marck, spécialisé dans la vente d’uniformes militaires et de matériel antiémeutes. C’est ce groupe qui est aujourd’hui dans le collimateur de la justice française. M. Belin est lui aussi visé par l’information judiciaire.
Au début des années 2000, Maixent Accrombessi est un homme d’affaires ambitieux, un des conseillers du ministre de la défense Ali Bongo avec qui il s’est lié d’amitié, et un intriguant qui pratique des rites vaudou issus de son pays d’origine dont il use pour effrayer ou rassurer. « L’esprit ne se matérialise pas, commente-t-il. Je suis de culture ésotérique, c’est ainsi. »
Entre business et politique
Entre mystique, business et politique, l’homme jouit d’un entregent et le fait savoir. Il possède la nationalité gabonaise depuis 1996, dit-il, et dispose aussi de passeports béninois et français. « C’est un Africain authentique, un nationaliste et un stratège politique hors pair », dit de lui l’avocat parisien Robert Bourgi. C’est aussi un homme qui sait diversifier ses affaires hors du continent. Il gère des appartements luxueux à travers de sociétés basées à Chypre et à Panama. Le nom de sa femme, Evelyne Diatta, ex-directrice de la communication de la première dame du Gabon, apparaît dans plusieurs sociétés civiles immobilières en France.
Avec Seydou Kane, son ami et associé sénégalo-malien installé à Libreville, Maixent Accrombessi a créé un entrelacs de circuits financiers offshore pour ses transactions le plus souvent délicates et la gestion de biens supposés mal acquis par le Gabon en France. A Monaco, il dispose de comptes bancaires au nom d’une de ses sociétés domiciliée au Bénin, AIKM, de même que Seydou Kane à travers sa société gabonaise de construction, CITP.
Il n’est donc pas étonnant que le groupe français Marck s’attache ses services en 2005 pour faciliter l’obtention d’un contrat de 7 millions d’euros avec le ministère gabonais de l’intérieur, alors dirigé par André Mba Obame, l’un de ses amis avant qu’il ne devienne le leader de l’opposition gabonaise « anti-Ali » après la mort d’Omar Bongo en 2009. Le groupe Marck émettra en juin 2006 six virements d’un montant total de 2 millions d’euros vers ces comptes à Monaco. Ce qui alertera les enquêteurs de l’organisme de lutte contre le blanchiment, Tracfin. Mais pour des raisons que l’entourage de M. Accrombessi présente comme politiques et diplomatiques, le dossier restera en sommeil jusqu’à cet été.
Un empire protéiforme
Progressivement Maixent Accrombessi s’est taillé un empire protéiforme dopé par sa proximité avec Ali Bongo, qui a succédé à son père en 2009 à l’issue d’un scrutin controversé. Président, Ali Bongo devient aussi grand maître de la Grande Loge du Gabon (GLG). Il prend Maixent Accrombessi comme son assistant dans les temples maçonniques puis comme directeur de cabinet, un titre réducteur pour des fonctions qui s’étendent du renseignement à la stratégie politique, de la communication à la gestion des affaires sensibles et aux dossiers judiciaires, tels que les « biens mal acquis », ou encore la gestion de l’héritage toujours disputé du patriarche Omar Bongo.
« LE GABON EST ENCORE SOUS TUTELLE DE LA FRANCE. POURQUOI LA JUSTICE FRANÇAISE NE S’INTÉRESSE-T-ELLE PAS AUX GROUPES DU CAC 40 ? »
« Avant de mourir, il m’a demandé la liste des biens dits mal acquis gabonais en France et français au Gabon. J’ai la clé du coffre », glisse-t-il, insidieux, laissant entendre qu’il dispose de moyens de pression sur la France et ses fleurons industriels, qui profitent toujours de contrats très favorables au Gabon signés du temps d’Omar Bongo. « Le Gabon est encore sous tutelle de la France. Pourquoi la justice française ne s’intéresse-t-elle pas aux groupes du CAC 40 présents au Gabon ? », s’indigne-t-il.
Mais à Libreville, c’est bien lui qui cristallise la colère, voire la haine, d’une partie de l’opposition qui fulmine, parfois avec une rhétorique xénophobe, contre ce « Béninois » à l’ascension fulgurante, le porte-drapeau de cette « légion étrangère » de conseillers présidentiels ou de ministres, comme la qualifie Jean Ping, ancien ministre d’Omar Bongo passé lui aussi à l’opposition. La mort d’André Mba Obame, le 15 avril, illustre cette rancœur. Selon la vox populi, « AMO » aurait été empoisonné par des féticheurs béninois. Dans les heures qui suivirent l’annonce de son décès, des manifestants incendiaient l’ambassade du Bénin à Libreville. Maixent Accrombessi se dit habitué, et lâche : « Ce n’est qu’un clapotis dans un lac. On me compare à Raspoutine, mais Raspoutine a fait des choses ! Et si je cristallise la haine et qu’on me traite d’étranger, c’est que je ne sers qu’Ali Bongo et que mon système de pensée est différent du leur. Sous Ali Bongo, plus de passe-droit. »
Il n’y a pas que dans l’opposition que l’homme dérange. « Ses ennuis judiciaires en France ne sont pas une mauvaise chose, se réjouit discrètement un ministre gabonais. Cela sonne peut-être comme le début du déclin. Il est impopulaire et donc devenu gênant à l’approche de la présidentielle », prévue en 2016.
Par Cyril Bensimon, Christophe Châtelot, Joan Tilouine et Simon Piel