La quatrième fois aura peut-être été la bonne : après une série de tensions avec les autorités de transition au Burkina Faso, les hommes du régiment de sécurité présidentiel (RSP) ont sauté le pas et fait irruption mercredi 16 septembre en plein conseil des ministres, à Ouagadougou, arrêtant le premier ministre, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, le président des autorités de transition, Michel Kafando, et deux ministres.
A un peu plus de trois semaines d’élections qui doivent avoir lieu le 11 octobre, le Burkina entre dans une crise possiblement grave. Ces élections doivent théoriquement fermer la parenthèse d’une période de transition instaurée avec la chute, en octobre 2014, du président Blaise Compaoré, qui avait été chassé du pouvoir par la rue alors qu’il tentait de briguer un nouveau mandat. Il n’y avait pas eu de bain de sang.
A présent, plus rien de tout cela n’est certain, dans un climat où des forces loyales à l’ex-président sont en opposition avec les associations de la société civile, soulagées du départ de Blaise Compaoré et de son régime, ou de responsables politiques opposés à toute forme de « restauration ».
Y a-t-il un coup d’Etat au Burkina Faso ?
Cela en a l’apparence, dans la mesure où les militaires du RSP, un régiment d’élite, sont des fidèles de l’ex-président, qui vit aujourd’hui en exil entre plusieurs pays, notamment la Côte d’Ivoire et le Maroc. Ce dernier, pour l’instant, est resté silencieux.
Les hommes du RSP viennent d’arrêter les deux têtes des autorités de transition, ce qui a des conséquences évidentes. Cependant, techniquement, les militaires n’ont pas émis de revendication, et n’ont pas fait de mouvements supplémentaires pour étendre leur contrôle de la capitale, où des rassemblements de protestation ont commencé. La possibilité de voir des négociations s’engager n’est donc pas à exclure, alors que d’autres responsables politiques qui leur sont hostiles sont toujours en liberté, comme le président du Conseil national de la transition (assemblée) Cheriff Sy, qui a confirmé dans un communiqué mercredi que des « militaires » avaient fait irruption « dans la salle du conseil des ministres à 14 h 30 et [avaie] nt pris en otage le président du Faso, Michel Kafondo, le premier ministre, Isaac Zida » ainsi que deux ministres.
Le président du Parlement de transition affirme également :
« Le devoir nous appelle car la nation burkinabè est en danger (…) Nous en appelons au devoir de solidarité des forces vives, des forces politiques, de la société civile et de la communauté internationale avec tout le peuple burkinabè pour faire échec à cette opération. »
Cette poussée de fièvre est-elle une surprise ?
Par trois fois déjà, des tensions très vives avaient éclaté entre le premier ministre et le RSP, dont il est pourtant issu. Ce lieutenant-colonel en était le numéro deux lorsque les troubles ont commencé en octobre 2014, et il était jugé à ce point fidèle à Blaise Compaoré qu’on lui avait, en quelque sorte, confié les clés du pays alors que tout menaçait de s’embraser, afin de préserver les apparences d’une transition, tout en espérant continuer à diriger le Burkina en sous-main. Cette stratégie a échoué, en raison notamment des ambitions et des convictions de Yacouba Isaac Zida.
Dans les mois qui ont suivi, des moments de tensions graves ont mis les hommes de Céleste Coulibaly, le commandant du RSP, aux prises avec leur ancien compagnon. A la fin de juin, des tirs avaient même eu lieu dans l’enceinte du camp Naaba Koom, tout proche de la présidence. Les responsables du RSP avaient demandé la démission du premier ministre, sans succès. Parallèlement, des tentatives pour dissoudre leur régiment avaient également échoué.
Y a-t-il eu un élément déclencheur ?
Lundi, la Commission de réconciliation et des réformes, chargée de présenter des réformes pour le gouvernement de transition, a proposé de démanteler cette unité de douze cents hommes, qualifiée « d’armée au sein de l’armée ».
Par ailleurs, samedi 12 septembre, six des vingt-deux candidats à l’élection présidentielle du 11 octobre avaient appris qu’ils avaient été disqualifiés par le conseil constitutionnel et ne pourraient y prendre part. Parmi eux se trouve Eddie Constance Komboïgo, candidat du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), l’ex-parti au pouvoir, fidèle à Blaise Compaoré. Ce dernier avait alors déclaré : « Le droit n’a pas été dit, c’est plutôt la politique qui a beaucoup pesé. » Cette décision avait alourdi un peu plus le climat, faisant redouter que l’approche du scrutin ne soit l’occasion de voir éclater des violences.
Jean-Philippe Rémy
Johannesburg, correspondant régional