Tribune. En 1992, Francis Fukuyama avait marqué l’opinion publique internationale en prédisant la «fin de l’histoire». Selon cet auteur, inspiré par la chute de l’empire soviétique et le triomphalisme du modèle libéral occidental, le monde s’acheminait vers un équilibre de prospérité durable, portée par la démocratie occidentale et l’économie de marché. Dans cette société apaisée que Fukuyama entrevoyait, le monde ne serait plus convulsé par de grands conflits idéologiques et la compétition de marché remplacerait progressivement les conflits armés.
Un peu plus de 20 ans après cette prophétie, le scénario de l’histoire semble avoir pris un sérieux chemin de traverse. Nos sociétés s’installent durablement dans un climat de défiance, nourri par des inégalités socio-économiques qui ont pris une ampleur sans précédent, partout dans le monde. Des Etats, socles de notre Modernité, s’effondrent sous les coups de butoir de fanatiques qui se réclament d’une conception du monde d’un autre âge. Le monde développé s’installe dans une longue période de doute, nourrie par une croissance atone, des remises en questions culturelles, une défiance vis-à-vis du reste du monde. Les pays en développement doivent de leur côté résoudre l’équation d’une croissance forte mais inclusive, d’un développement qui ne se fasse pas au détriment de l’environnement, d’un projet protecteur des populations locales qui ne se nourrisse pas du réflexe instinctif du repli sur soi et du rejet de l’étranger.
Si au début des années 1990 des personnes comme M. Fukuyama semblaient pleine de certitudes, le doute prédomine désormais partout. Dans l’équilibre précaire de notre époque, des dynamiques puissantes viennent encore rajouter des incertitudes quant à notre avenir. La technologie bouleverse ainsi des modèles économiques et des comportements sociaux que l’on croyait inébranlables. Uber, Google, Facebook, Alibaba ont révolutionné des industries entières et sont devenus des géants en moins de cinq ans, qui génèrent plus d’argent en une année que la plupart des pays africains. M-Pesa au Kenya a permis à des millions de personnes non bancarisées d’accéder à des transactions financières basiques. Plus de 50% du PIB Kenyan transite aujourd’hui via la technologie du mobile money, qui n’existait pas il y a dix ans seulement. Dans mon pays, au Gabon, l’usage du téléphone portable s’est ancré dans le quotidien de la population et en a profondément modifié le comportement. En 2009, aucun Gabonais n’avait accès à internet sur son téléphone portable. En 2015, plus de la moitié de notre population (920 000 sur une population d’1,8 million d’habitants) a souscrit un abonnement à l’internet mobile.
Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, que la crédibilité des hommes politiques et des leaders soit régulièrement remise en cause. Il est difficile de donner du sens au monde fluctuant dans lequel nous vivons. Il n’est pas aisé de planifier dans des économies complexes où plusieurs facteurs vous échappent. Pourtant, et à juste titre, les populations attendent de leurs leaders qu’ils leur montrent le chemin, qu’ils les rassurent sur le sens de nos actions, qu’ils incarnent des valeurs positives. Au Gabon comme ailleurs, nous faisons face à ce défi. Au Gabon plus qu’ailleurs, nous savons les risques que nous courrons à faillir à notre mission. L’Afrique centrale a vu le poison Boko Haram se propager. Un de ses Etats, la Centrafrique, s’est littéralement délité, entraînant des tragédies humaines et des migrations de population qui ont impacté toute la sous-région. Nous sommes conscients de la dynamique démographique de l’Afrique centrale, parmi les plus élevées au monde, et de ce qu’elle implique en termes sociaux, économiques, politiques et culturels. Si aujourd’hui nous ne trouvons pas d’emplois à nos jeunes et ne leur offrons pas les possibilités de prospérer, nous courrons au désastre que d’autres pays ont déjà vécu.
C’est dans ce contexte de mutations profondes et d’incertitudes qu’il nous est apparu nécessaire d’affirmer des convictions fortes et d’incarner une action déterminée. En 2009, le candidat Ali Bongo Ondimba a tenu un discours de vérité aux Gabonais : notre modèle rentier n’était pas viable et ne nous permettrait pas de prospérer durablement. Son projet politique, «l’Avenir en confiance», proposait une nouvelle perspective : celle d’une société de production, qui transforme localement ses ressources et offrent des débouchés aux nationaux. Un plan stratégique et opérationnel est venu concrétiser cette ambition. Le Plan Stratégique Gabon Emergent, dont j’assure la coordination, met en musique des réformes et des projets d’investissements publics, privés, qui tous concourent à la transformation structurelle de notre économie. Cette transformation a un objectif : assurer une prospérité durable aux citoyens gabonais. Dit autrement, le PSGE vise une croissance inclusive et durable.
Notre économie reposait sur l’extraction du pétrole, qui employait peu de nationaux, et dont les bénéfices n’étaient pas réinvestis sur place. Aujourd’hui, l’agriculture, l’industrie minière, l’économie numérique, les BTP, s’imposent comme les nouveaux moteurs de notre croissance. L’économie gabonaise créait en moyenne 3 500 emplois sur la période 2000 à 2009. Entre 2010 et 2015, 12 000 emplois ont été créés en moyenne chaque année. C’est un saut quantitatif non négligeable, mais c’est encore insuffisant pour intégrer tous nos demandeurs d’emplois. Nos jeunes ne bénéficiaient pas toujours des formations adaptées aux demandes des employeurs. Notre système éducatif forme principalement des administrateurs, quand nos entreprises souhaitent embaucher des techniciens. Nous avons créé l’Institut du Pétrole et du Gaz à Port-Gentil. L’Ecole des Mines et de la Métallurgie de Moanda ainsi que l’Ecole du Bois de Booué vont ouvrir leurs portes en 2016 et former nos jeunes aux compétences indispensables dans notre nouvelle économie productive.
Il n’y a sans doute pas de formule miracle pour la croissance inclusive. Il y a toutefois un engagement ferme à maintenir au Gabon une société qui donne des repères, qui offre les conditions indispensables à la dignité humaine, qui ouvre les opportunités à tous ceux qui souhaitent y prospérer. A cet effet, le Gabon entend mener son propre chemin, et n’a pas peur d’afficher des objectifs inédits. Ainsi, le PSGE prévoit de tripler le PIB national d’ici à 2025, sans augmenter l’empreinte carbone de nos activités. Aucune économie n’a atteint un tel objectif dans sa phase de développement. Nous n’avons pas peur de relever ce défi et d’apporter notre contribution à l’histoire du monde. Fort heureusement, l’histoire n’est pas finie, et le Gabon entend en écrire de nouvelles pages. Œuvrer à la croissance inclusive et à la soutenabilité environnementale de notre mode de vie sera au cœur des enjeux de notre siècle. Le Plan Stratégique Gabon Emergent est une tentative singulière et ambitieuse de répondre à cet enjeu.
Yves Fernand Manfoumbi coordonnateur général du bureau du Plan Stratégique Gabon Emergent