Analyse de Bertrand Badie, professeur des universités à Sciences-Po, spécialiste des relations internationales.
Comment caractériser la diplomatie française actuelle ?
Bertrand Badie Depuis les trois dernières présidences, la diplomatie française cherche ses marques. Ce qui a fait la politique étrangère de la Ve République, à partir des orientations du général de Gaulle, ne fonctionne pratiquement plus. La France a connu une sortie assez peu contrôlée de la bipolarité, un retour assez paradoxal dans l’atlantisme et une difficulté croissante à garder une politique active à l’égard du Sud, notamment en direction du monde arabe, sans compter les innombrables embûches rencontrées par sa politique africaine et la difficulté de sortir de la Françafrique. La présidence de Jacques Chirac a fait office de transition, celles de Nicolas Sarkozy et de François Hollande sont venues amplifier ce mouvement de retrait par rapport aux principes de la Ve République. La France se trouve de ce fait confrontée aujourd’hui à plusieurs problèmes, notamment le recentrage atlantiste de la diplomatie française qui a rendu difficile le partenariat avec la Russie, avec les puissances émergentes et avec un grand nombre de pays du Sud. D’où une perte d’écoute assez sensible et une capacité moindre d’agir, malgré les efforts déployés et un fort désir de visibilité.
François Hollande ne s’inspire ni de la tradition gaullo-mitterrandienne, et de son souci d’indépendance, ni d’une vision néoconservatrice des relations internationales. Sa stratégie est-elle lisible ?
Bertrand Badie La lisibilité est affectée par trois phénomènes. D’abord par cette hésitation constante entre les références anciennes au gaullo-mitterrandisme et un néoconservatisme « soft » à partir de la présidence de Nicolas Sarkozy. Ensuite, cette position hybride est d’autant plus difficile à tenir qu’elle repose sur une politique d’intervention elle-même fragilisée, au moment où les États-Unis renoncent à l’interventionnisme. Or, la France n’a pas les moyens d’intervenir seule. Enfin, les gouvernements français qui se sont succédé ont le plus grand mal à inscrire ce type d’action dans un projet politique global et cohérent.
La France a-t-elle encore les moyens d’impulser une diplomatie originale ?
Bertrand Badie C’est sans doute la contradiction majeure. La superpuissance américaine ne peut plus nourrir l’ambition de transformer le système international comme elle l’avait cru et espéré pendant très longtemps. A fortiori, la France, qui n’a pas les capacités militaires d’intervenir comme elle l’entendrait, ne peut imposer seule un modèle de gouvernance globale. Ce modèle passe inévitablement par le multilatéralisme, et donc l’accord des cinq puissances du Conseil de sécurité des Nations unies. Or, le défaut français de partenariat fort avec les autres membres permanents du Conseil de sécurité est une source d’affaiblissement. La France, comme puissance moyenne, a besoin de passer par le multilatéralisme : elle est trop grande pour ne rien faire et trop petite pour agir isolément. Or, le multilatéralisme reste le parent pauvre de toute politique étrangère aujourd’hui. Penser régler le conflit israélo-palestinien ou les conflits syrien et irakien à partir d’interventions unilatérales ou de coalitions restreintes, sans concertation au sein des Nations unies, conduit inévitablement à l’échec. Nous avons besoin d’un retour au multilatéralisme comme d’une vraie prise en compte des acteurs locaux laissés pour compte par les interventions des différentes puissances.