Maturité démocratique, rôle de la société civile, lutte contre la corruption, autant de thèmes qui ont marqué la table ronde inaugurale du Forum citoyen au Gabon intitulée « Elus, citoyens : qui décide ? »
L’Afrique face au défi de la gouvernance et de la démocratie
L’ambiance est détendue et joviale à l’ouverture du premier débat au stade de l’Amitié de Libreville. Trois ans après avoir vibré lors de la finale de la CAN 2012, Zambie-Côte d’Ivoire, le lieu abrite pendant deux jours la première édition à l’étranger des Forums Libération. Les participants se pressent pour assister à la table ronde inaugurale sur les enjeux du processus démocratique en Afrique. Près de l’entrée, les vendeuses ambulantes ont pris place et font chauffer les premiers maïs grillés. Dans la salle, les discussions animées commencent. Rapidement, elles se focalisent sur le cas du Gabon, pays hôte de l’événement. Membres du gouvernement gabonais, acteurs de la société civile et une femme, Chantal Uwimana, directrice Afrique de l’ONG Transparency International, première à prendre la parole. Elle énumère les priorités pour la démocratie sur le continent : l’éducation, la santé, l’emploi, et l’existence d’un gouvernement honnête et responsable.
Démocratie et alternance
Marc Ona Essangui, militant multicarte, secrétaire exécutif de l’organisation Brainforest, invite les Africains à prendre leur destin en main et à se placer au cœur du processus de décision. Son slogan, pas de démocratie ni de développement sans alternance. Son discours fait échos aux prochaines élections présidentielles gabonaises qui se tiendront en 2016, alors que la famille Bongo est au pouvoir depuis 1967. Même son de cloche auprès de Georges M’Paga, président du réseau des organisations libres de la société civile pour la bonne gouvernance au Gabon. «Le scrutin de 2016 est capital pour l’avenir démocratique du pays et les Gabonais comptent énormément sur ce processus politique». Ce dernier dénonce une confiscation de la souveraineté populaire par le biais d’élections non représentatives de la diversité et de la neutralité.
Les membres du gouvernement insistent quant à eux sur la vitalité du processus démocratique mis en place depuis 1990, avec la liberté de choix et de vote. «Le système n’est pas bloqué parce que la même famille est depuis 50 ans au pouvoir. Et si c’est le choix du peuple ?», tranche Alain-Claude Billie Bi Nzé, ministre de la communication et porte-parole du gouvernement gabonais. S’en suit une énumération des outils démocratiques qui fonctionnent au Gabon : l’élection du Conseil constitutionnel, les mécanismes électoraux mis en place pour de la transparence, l’existence de syndicats et d’ONG indépendantes. Les instances sont en place, l’enjeu serait donc de mieux les utiliser. Jean Valentin Leyama, directeur de cabinet adjoint du Président de la République gabonaise, estime qu’il existe un partage du pouvoir, mais le système demeure binaire entre majorité d’un côté, opposition de l’autre. «Aujourd’hui c’est le camp de la majorité, mais cela peut changer», estime-t-il.
Quel rôle pour la société civile ?
Les membres de la société civile ont exprimé le besoin de pouvoir pénétrer davantage le champ politique clos et endogène, peu ouvert aux citoyens. Pour l’activiste Marc Ona Essangui, le dialogue n’est pas assez inclusif et se limite aux enjeux politiques. Il réclame le déploiement de la société civile dans un cadre juridique. Chantal Uwimana, de Transparency International, appelle à une «conscientisation des citoyens en dehors des périodes électorales. La démocratique se joue le plus entre les élections, c’est là où les citoyens peuvent s’exprimer librement et contrôler les élus». Elle rappelle également que le Gabon a signé mais pas encore ratifié la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance, un élément de plus vers la vitalité démocratique.
Enfin, les membres de la société civile ont rappelé leur exclusion des instances de régulation de la corruption, alors que le Gabon se classe 94esur 174 dans le classement Transparency de l’indice de perception de la corruption. Son «score» est de 37% (en dessous de 50, la perception de la corruption est jugée importante). Sur ce thème, la conclusion s’est faite par le ministre de la communication Gabonais, qui a rappelé l’ensemble des mécanismes mis en place pour lutter contre la corruption, tels que le nouveau code de procédure pénal et l’existence de meilleurs outils pour les enquêteurs (la création d’un parquet financier). Enfin, il a déploré, «l’opacité de l’organisation de la société civile, qui donne des leçons alors qu’elle n’est pas exemplaire en termes de transparence».
L’audience, enthousiasmée par la vivacité des débats, n’a pas manqué de réagir, alternant entre huées et applaudissements. Nombreux sont ceux qui ont souhaité avoir la parole à la fin des débats, de façon parfois même survoltée. Certains, une fois le micro entre les mains, n’ont pas hésité à prendre à partie les membres du gouvernement présent sur l’estrade, les apostrophant sur le taux de chômage grandissant ou encore le manque de liberté de la presse. Alors qu’un membre du public dressait à son tour un bilan plutôt prolifique de l’action gouvernementale, la foule n’a pas hésité à manifester sa désapprobation, amenant l’homme à se rasseoir. Tous les ingrédients d’un débat franc et pluriel. Le débat s’est poursuivi jusqu’aux portes de la rédaction à Paris. Une dizaine de personnes de l’association Réagir ont manifesté en parallèle du Forum.
Margot Chevance
(mis à jour le 10 octobre 2015 à 03:31)