Dénonçant les conditions d’arrestation, de détention et le caractère expéditif du procès des vendeuses de l’ancienne Gare routière, la présidente du Front des indignés revient sur les 21 jours d’humiliation subis par ces dames. Evoquant également le cas du jeune commerçant qui s’est immolé par le feu, elle invite l’Etat à prendre ses responsabilités et tient, dès à présent, la police pour responsable de ce qui pourrait advenir. A la fin des fins, elle invite la population à marcher du rond-point de la Démocratie à l’Assemblée nationale, afin de crier sa colère à la face de la Représentation nationale.
Gabonreview : Pourquoi, les commerçantes de l’ancienne Gare routière ont elles manifesté ?
Aminata Ondo Mendogo : Le problème des commerçantes au Gabon ne date pas d’aujourd’hui. Vous vous souviendrez des commerçantes de la commune d’Owendo qui, l’année dernière, avaient vu leurs marchandises brûlées à 3h du matin. Elles étaient chez elles en train de dormir et la police, sur instruction de la mairie, avait mis le feu à leurs marchandises. Elles avaient tout perdu jusqu’à l’argent. Et ces femmes étaient restées presque 24 heures en cellule au commissariat parce qu’elles avaient manifesté violemment le lendemain, au point que la police en avait arrêtées certaines.
Pourquoi ces femmes de la Gare routière? Il faut simplement faire l’historique. La Gare routière est un endroit qui a été octroyé à ces femmes depuis l’an 2000. Ces femmes sont là parce qu’il n’y a pas assez de marchés à Libreville. Les marchés à Libreville sont construits par les opérateurs économiques. Les mairies ne construisent pas les marchés, qui naissent de la volonté des femmes parce qu’il n’y a pas des endroits déjà octroyés dans chaque arrondissement pour qu’elles puissent vendre convenablement. Lorsque le marché a brûlé en 2000, c’est le maire lui-même qui avait demandé à ces mamans de se mettre à cet endroit. Lorsque le marché a été reconstruit, les opérateurs économiques ont fixé le prix de location des box très haut, exigeant de 3 à 15 millions de caution.
Des femmes qui vendent la tomate, la banane et le piment ne pourront jamais accéder à ces box. Voilà pourquoi, elles sont toujours là. Elles s’acquittent des tickets de la mairie tous les jours pour une valeur de 1 000 francs. Elles payent 500 francs aux sociétés qui nettoient les marchés. Or, nous voici maintenant avec la police. On aimerait comprendre la nature du contrat qui lie la police à la mairie. Cette police-là au lieu de dégager les trottoirs, fait dans le racket et impose à chaque commerçante de donner 200 000 francs pour avoir le droit de mettre sa table ou sa brouette à l’endroit où ces femmes exercent depuis l’an 2000. Pour vendre chaque jour, il faut leur verser 3 000 francs par personne pour ce qu’ils appellent le droit d’arrangement, afin qu’ils ne détruisent pas votre marchandise et ne viennent pas vous violenter.
Ça devenait compliqué pour ces femmes de voir à chaque fois leurs marchandises brûlées, piétinées, détruites par la police parce qu’elles refusent de payer les 3 000 francs. Les policiers le font tous les jours, à ciel ouvert, dans l’impunité. Il n’y a pas que la Gare routière qui est victime de ces rackets. Dans tous les marchés de Libreville, les policiers passent, ramassent les marchandises des commerçants, emmènent ça au commissariat central. Pour délivrer la marchandise, il faut donner 15 à 20 000 francs. Sinon, ils récupèrent la marchandise, la mangent ou la brûlent. C’est ça qui a conduit à la regrettable scène de notre jeune frère étudiant en 3è année de sociologie à l’Université Omar Bongo, qui a tenté de se suicider, de s’immoler par le feu. Ce jeune compatriote est aujourd’hui entre la vie et la mort.
Soit ! Mais ces commerçantes étaient-elles obligées de se dénuder?
Mais oui. Nous sommes des êtres humains. Peut-être que c’est cet acte qui choque. Mais qu’est-ce qui peut être plus choquant que le fait de voir notre police racketter au quotidien, détruire la marchandise, bastonner des paisibles citoyens? Ces femmes ne se sont pas complètement dénudées. Regardez bien dans les journaux : ces femmes étaient en sous-vêtements. C’est un acte de courage, parce qu’on ne peut pas manquer de respect aux femmes, aux mères de famille qui se débrouillent chaque jour pour nourrir leurs enfants, pour sortir de la précarité. C’est inacceptable ! Si ces femmes se sont dénudées, c’est parce que la police a bien voulu les mener à bout. Ce sont eux qui ont poussé ces femmes à se dénuder et c’était un moyen pour elles de marquer leur ras-le-bol.
Entre leur interpellation à la Gare routière et leur débarquement au commissariat, qu’est-ce qui s’est passé pour que ces mamans se retrouvent finalement toutes nues?
Comment se sont-elles retrouvées nues ? Mais simplement parce qu’ils ont tellement frappé ces femmes avec des matraques électriques qu’elles sont allées se cacher sous les camions. Ils sont allés les retirer sous ces véhicules pour continuer à les bastonner jusqu’à les déshabiller : en tirant leurs sous-vêtements, ils ont fini par les mettre nues. Ils ont tellement été fiers de l’acte qu’ils ont posé, qu’ils ont eux-mêmes filmé la scène depuis la Gare routière jusqu’au commissariat et balancé sur les réseaux sociaux. En fait, ils avaient l’intention de les humilier.
Combien de temps ont-elles mis en cellule et dans quelles conditions ont-elles vécu leur détention ?
Elles ont fait une semaine à la cellule du commissariat et deux semaines à la prison centrale. Elles sont passées par le jugement à la barre : la délibération a eu lieu le 29 octobre dernier. Ce même jour, ils devaient les libérer, mais malheureusement, ils les ont gardées jusqu’au 2 novembre 2015. Au commissariat central, les policiers ont demandé aux détenus de les violer. Heureusement, les enfants ont refusé de poser cet acte en demandant que les policiers eux-mêmes le fassent. Pendant six jours, elles n’ont pas été alimentées en eau. Et on ne leur permettait pas d’aller aux toilettes : elles devaient uriner dans des bouteilles d’eau coupées et cela devant les enfants détenus. Elles ont sérieusement été humiliées.
Qu’est-ce qui justifie leur libération?
Il faut dire que c’est grâce à la mobilisation de la société civile. Nous-mêmes, nous croyons en la justice, parce que le mot justice vient de Dieu. Ce qui est juste c’est ce qui est visible. Car on ne comprenait pas les raisons pour lesquelles on pouvait garder ces mamans en prison. Elles n’ont pas tué, n’ont pas volé. Ce sont de paisibles citoyennes. Ce sont des mères de famille, qui veulent vendre tranquillement. Vous avez vu à travers la toile, les réactions de la société civile, du Front des indignés, des partis politiques choqués par ces images, qui demandaient la libération de ces dames ? On ne peut pas mettre des gens en prison parce qu’ils veulent lutter contre la pauvreté, contre le chômage.
Qu’est-ce qui vous indigne le plus dans cette affaire?
Nous sommes dans un pays de droit. Le racket aujourd’hui n’interpelle pas seulement les commerçantes. Le racket aujourd’hui interpelle tous les citoyens. Nous sommes tous rackettés au quotidien, les taximen, dans nos milieux professionnels, dans la rue lors des contrôles. Nos policiers violent librement les droits de l’homme. En mettant nos mamans nues, ils ont violé expressément l’article 1 de notre Constitution qui dit ceci : «Nul ne peut être humilié, maltraité ou torturé même lorsqu’il est en état d’arrestation ou d’emprisonnement»
Et pour finir ?
J’invite tous les Gabonais, tous ceux qui ont été choqués par cette vidéo, tous ceux qui sont touchés par le sort de ces mamans, aujourd’hui assises à la maison, à venir à la marche pacifique de protestation qui se fera ce vendredi 6 novembre du rond-point de la Démocratie au Palais Léon Mba à partir de 8h. Nous voulons que nos députés, que nous envoyons à l’Assemblée nationale, nous écoutent et comprennent qu’il y a des gens qui souffrent et que ces gens-là ne devraient pas être exclus de la société. Nous allons également nous mobiliser pour faire appel de la décision parce qu’il faut casser la condamnation. Nous ne pouvons pas accepter que nos mamans restent trois mois condamnées avec sursis. Durant ces trois mois, il faut qu’elles exercent librement leur commerce. Il faut qu’elles nourrissent leurs enfants, qu’ils aillent à l’école. Il faut qu’ils puissent se soigner. Au Gabon lorsque tu n’as pas d’argent tu es mort, tu ne peux rien faire !!! Nous avons une autre préoccupation qui celle de ce jeune qui est entre la vie et la mort : nous rendons la police responsable de cette situation. Nous demandons que ce jeune étudiant, qui a des parents pauvres et qui se débrouille en vendant après ses cours, puisse être rapidement évacué parce que son état de santé est très alarmant. Il faut que l’État, le ministère de l’Intérieur, la police, prennent ce problème au sérieux parce que s’il décède, les forces de police nationale endosseront la mort de cet enfant. Il faut que le racket cesse.