Entre promesses de changement et menaces, le 5 novembre courant, le ministre la Communication a tenté d’apparaître comme le «Mister Clean», l’homme au détergent, du secteur, sur la matinale de Radio Gabon.
Vous êtes en charge d’un secteur que d’aucuns disent vacillant. Quelle est votre vision ?
Je n’inventerai pas une vision. Il y en a déjà une : celle du chef de l’Etat, sous la conduite du chef du gouvernement. La communication est un axe fondamental pour la vie en société, le développement économique et social de notre pays. Même si au sein de l’opinion, il peut apparaître que le ministère de la Communication soit un département à problèmes, comme on dit, c’est un ministère que moi je vois comme un axe essentiel dans l’articulation de l’action des pouvoirs publics. Cette action mérite d’être connue, relayée, de rencontrer son public, de rencontrer un auditoire qui, aujourd’hui, est un consommateur sélectif. Nous avons des auditoires qui ne sont plus les mêmes qu’il y a 30 ans : ils ont évolué avec des habitudes de consommation des produits de communication qui ont évolué également. Il s’agit donc de se situer, à la fois, dans la modernité qu’impose notre temps mais également dans une dynamique qui nous replonge dans ce que nous sommes profondément, c’est-à-dire Gabonais, Africains, Bantou. C’est donc une vision qui est ancrée, à la fois dans une nécessaire modernité des axes et outils de communication, une modernité dans la façon de rendre l’information et de rencontrer ce public, mais également une prise en compte de ce qui fait le Gabon et le Gabonais. Il s’agit donc de retrouver sur l’espace public et les médias publics le Gabon dans sa diversité, mais aussi le Gabon dans sa volonté de se développer et de se mouvoir dans un espace de plus en plus concurrentiel et où, en réalité, nous avons tous une place à prendre.
Lors de vos rencontres avec les représentants des médias publics, vous évoquiez la question de la nécessaire diversité dans l’information. Pourtant l’opinion se plaint du privilège accordé à un seul camp dans ces médias. Comment comptez-vous aborder la question ?
Notre pays a fait des choix. Notre pays a choisi, en 1990, le multipartisme, la démocratie. Notre pays a également fait le choix d’un développement durable, axé sur des piliers qui ont été identifiés. Notre pays est ouvert à la diversité culturelle. Il est ouvert à ceux qui viennent nous rejoindre et qui viennent apporter leur force de travail. Ces différentes diversités doivent se retrouver sur les médias publics, les radios et les télévisions. A partir du moment où notre pays a accepté de s’ouvrir à la démocratie, et que l’Etat reconnait l’exercice des libertés publiques à travers la création de partis politiques, de syndicats, d’ONG et d’associations, tous ces éléments qui font partie du corps social gabonais doivent être représentés au niveau des médias publics et on doit refléter cette diversité. Bien entendu, dans le respect de la règle, de l’ordre public et des lois de notre pays. A partir du moment où l’Etat reconnaît l’existence d’un parti politique, celui-ci mène des activités normalement sur le territoire national, ces activités doivent trouver un écho sur les médias publics parce que ce sont des médias qui concernent l’ensemble des Gabonais. Evidemment, il y a des règles qui sont établies : le temps d’antenne est établi selon un décret que nous allons prendre.
En période ordinaire, il faut que tout soit reflété, mais en tenant compte du poids politique des uns et des autres, et sachant que la parole présidentielle et celle du gouvernement n’est pas comptabilisée. On rentre donc dans la question de l’équité. Si nous devions le faire aujourd’hui, on tiendrait compte du poids politique du Parti démocratique gabonais et de ses alliés, dans les deux chambres du Parlement, au niveau des collectivités locales, comme on tiendrait également compte du poids de l’opposition parlementaire et au niveau des collectivités locales, de sorte que si vous avez dix minutes d’antenne consacrées à la question politique, ça ne saurait être dix minutes consacrées au Parti démocratique gabonais, dont je suis membre. Ça sera dix minutes avec sept à huit minutes pour le parti au pouvoir, parce que c’est son poids politique, et il y aura deux à trois minutes pour les autres formations politiques légalement reconnues, qui exercent sur le territoire et qui ont en leur sein des compatriotes gabonais, parce que c’est l’argent public qui fait fonctionner les médias publics et qu’ils sont aussi contributeurs des impôts, qu’ils font fructifier cet argent public. Il est donc fondamental que la diversité politique, culturelle et sociale se trouve sur ces médias. En revanche, celui qui, dans sa prise de position, franchit les limites de la loi, celui qui va dans l’invective, l’injure, la délation et la calomnie n’a pas sa place dans les médias publics. C’est aussi clair que ça. Le débat contradictoire est un débat du respect de la différence et de la loi.
Venons-en aux conditions de travail des agents des médias publics. Savez-vous que ceux de Radio Gabon et de Gabon Télévision ne possèdent pas de véhicules pour exercer ? Que la plupart des éléments diffusés aux éditions d’information sont montés hors de leurs structures ? Quelle solution apporterez-vous ?
S’agissant des conditions de travail, je n’ai pas attendu d’être ministre de la Communication pour m’intéresser à ce secteur. Les fonctions que j’ai occupées auprès du chef de l’Etat m’ont amené à avoir un regard plus que particulier sur le domaine de la communication. J’ai, moi-même, un parcours qui m’a amené dans plusieurs salles de rédaction. C’est donc un monde que je côtoie et que je connais depuis de longues années. Les conditions de travail sont difficiles et sont à améliorer. Mais, en même temps, nous devons nous dire la vérité : l’outil de travail est à préserver. Lorsqu’on me dit qu’on fait des montages au quartier, cela pose deux problèmes : soit l’Etat n’a pas, au sein de vos différentes structures, investi suffisamment, soit l’investissement a été fait mais n’a pas été entretenu. Mais nous savons aussi ce qui se passe. Au sein de vos maisons, se sont développées des boutiques, où chacun fait sa petite popote, où chacun tient son échoppe, et préfère donc mettre en panne l’outil public pour orienter vers l’outil privé du quartier, parce que c’est au quartier qu’on ira chercher de quoi arrondir les fins de mois. Ces pratiques, nous allons y mettre un terme. Il est nécessaire de réinvestir dans l’outil public, de réinvestir dans les moyens de production, de reportage et nous allons également faire en sorte que l’argent public soit dépensé à bon escient, et que l’outil de production soit la première chose à sauvegarder par l’agent. Nous discuterons en toute transparence avec les syndicats, les comités de direction, parce qu’il sera hors de question que l’argent public soit utilisé à des fins privées ou qu’il soit mal utilisé.
Le fait est que ces reproches faits à l’endroit des responsables de la télévision et de la radio doivent également tenir compte de l’existence des salles de rédaction au sein des institutions telles l’Assemblée nationale, la Primature ou le Sénat. Des salles dont le travail altère souvent le fonctionnement normal des chaînes publiques…
Lorsque j’ai rencontré les agents des médias publics et privés, j’ai été très clair : il faut sanctuariser la rédaction. Elle doit être le moteur de production de l’information, des éditions d’information et des émissions. Cela veut dire que sur les antennes de Radio Gabon, Gabon Télévision et dans les colonnes de Gabon Matin, ne peut paraître ou diffusé que ce qui a été discuté en conférence de rédaction, ce qui a fait l’objet de choix éditoriaux, d’angles de traitement. En revanche, nous sommes des outils du service public. Il est donc fort probable que dans la journée il y ait des urgences dans tel ou tel département ministériel qui n’aient pas été prévues en conférence de rédaction.
La question des salles de rédaction au sein des institutions et de certains départements ministériels a une histoire. C’est une histoire qui est liée à deux facteurs principaux : le premier est l’incapacité de nos structures publiques à couvrir un certain nombre d’activités par manque de moyens, d’outils ou de personnels. Et les institutions, dans un besoin de communication, ont naturellement investi dans l’acquisition d’outils, ce qui n’est pas normal. Il y avait donc là une question à régler. Si nous parvenons à rééquiper nos médias publics, à faire en sorte que les agents puissent travailler dans les meilleures conditions, nous allons insister pour que cette pratique cesse. Mais d’ici-là, en tant qu’autorité de tutelle, vous n’avez pas à diffuser des éléments qui n’ont pas fait l’objet d’un regard de la rédaction. Radio Gabon et Gabon Télévision ne sont pas des diffuseurs ce sont des outils publics, qui possèdent des rédactions autonomes. Et si les conseillers en communication dans des départements ministériels ont des éléments de leurs ministères à faire passer, c’est la veille qu’ils doivent en informer. Et sur un plan esthétique, trouvez-vous normal que sur une chaîne publique nous ayons des logos qui arrivent de différentes institutions? Ça ne peut plus continuer ! Et même lorsqu’ils auront fait leurs reportages, nous ferons en sorte qu’à la diffusion, ces logos n’apparaissent plus, et qu’on cite l’auteur de l’article ou d’un reportage. De même, si vous aviez l’impression de subir des pressions politiques, le président de la République, dans la vision qu’il a du développement du Gabon, n’entend pas intervenir sur ce genre de questions. Vous devez agir en toute liberté, mais dans le respect de vos cahiers des charges, établis par l’Etat. Aussi vous ne devez pas, vous-mêmes, solliciter des pressions de différentes natures.
Depuis quelques années, on annonce des réformes dans le secteur de l’audiovisuel. Où est-on ?
Lorsque nous parlons de réformes, il faut expliquer à nos compatriotes et à ceux qui travaillent au sein des chaînes publiques que la réforme est une décision, mais elle ne s’opère pas sur un claquement de doigts. C’est une démarche. Les premiers actes ont été pris. La loi et les décrets ont été adoptés. Il s’agit maintenant d’aller plus loin, en dotant les médias publics de statuts qui correspondent à la volonté des réformes qui ont été édictées par l’Etat. Ces réformes sont à la fois axées sur la structure, l’organisation et le statut des personnels. Et sur la question du statut des personnels, nous allons nous activer à faire en sorte que d’ici à la fin de l’année, si le gouvernement y consent, nous procédions aux différents basculements, et que Radio Gabon, Gabon Télévision, AGP arrivent à procéder à des choix. Nous avons, aujourd’hui, des situations ubuesques, qui ne sont pas acceptables : Gabon Matin qui n’est plus en kiosque parce qu’il vit essentiellement de la subvention publique. Il a aujourd’hui un personnel trop important par rapport à la subvention que l’Etat alloue : 95 personnes pour une rédaction qui peut fonctionner avec 30 ou 40 personnes. Il faudra faire des choix. De même pour Radio Gabon. Lorsqu’on a un média qui compte 300 à 350 agents, et qu’en réalité cette radio publique fonctionne avec environ une centaine d’agents, parce qu’il y en a 200 qui sont payés par l’Etat mais qui ne travaillent pas, il faut mettre un terme à ça. On est fonctionnaire, on est agent de l’Etat, et si on n’est plus en capacité de travailler, on le dit. Or, l’excuse c’est : «On n’a pas de travail.» Nous allons vérifier et nous ferons en sorte que les rédactions soient fournies en personnels. Mais, dans le même temps, nous suspendrons les salaires de ceux qui ne peuvent pas travailler. L’anarchie, le désordre, c’est fini !
Et pour le problème d’Africa N°1 ?
S’agissant d’Africa N°1, cette radio n’est pas exactement un média du service public. C’est encore une SA (société anonyme, ndlr), avec 52% qui appartiennent à des privés, 13% à d’autres privés gabonais et 35% appartenant à l’Etat. Cependant, c’est un outil important sur lequel il y a des décisions à prendre. Africa N°1, au fil des années, a accumulé des pertes, qui sont évaluées aujourd’hui à 22 milliards. Doit-on continuer avec ça, ou devons-nous prendre des mesures, en proposant au gouvernement des solutions en temps opportun ?
La presse privée adopte depuis quelques temps un ton plutôt acerbe à l’endroit des autorités publiques. Ce qui participe du débat contradictoire auquel vous appelez. Comment comprendre votre récente réaction à l’encontre du journal La Loupe ?
Je ne voudrais pas faire de la publicité à cet hebdomadaire qui, de mon point de vue, ne mérite même plus de paraître, parce que c’est du caniveau, parce que ça n’a pas de nom ce qui s’y fait, parce que ça rappelle les pires heures de l’extrême droite, ça rappelle la peste brune. La critique par les médias est normale, et cela doit se faire. On l’appelle généralement le 4e pouvoir, parce qu’un article de presse a vocation à traiter puis à donner une information, et à permettre à ceux qui lisent de se faire une opinion et de décider. Les médias sont des faiseurs d’opinion. Lorsque les médias sont devenus des armes de guerre, des armes de destruction, des armes qui ne portent plus l’information mais la calomnie, la diffamation, l’appel au meurtre, comme ça été le cas pour ce journal, nous ferons en sorte que ce type de journaux ne paraissent plus au Gabon. Après, il y a ce que chacun doit faire. Au ministère de la Communication, nous sommes en charge de la réglementation. Nous allons vérifier que les gens qui écrivent dans ce journal existent véritablement. J’ai regardé l’ours, ce sont des noms d’emprunt. J’ai regardé les articles, ce sont des pseudonymes. Or, la loi est claire : le pseudonyme doit désormais être déposé au CNC (Conseil national de la communication, ndlr). Ça doit s’arrêter.
S’agissant de l’article de La Loupe, qui indexe une communauté sur la base de la pratique religieuse, qui affirme que les Gabonais vont disparaître d’ici 2025, qui demande à ce qu’on règle cela au calibre 12, ça c’est Radio mille collines. C’est des journaux de la pire espèce, de ce qui a conduit aux génocides, aux guerres ethniques et communautaires. Je m’étonne d’ailleurs du silence de la corporation face à ce genre de choses. Vous avez mis en place des outils d’autorégulation : l’Ogam (Observatoire gabonais des médias, ndlr) et compagnie, qui gardent un silence coupable. Vous savez qu’aujourd’hui, on joue sur de la dynamite : on ne sait pas d’où l’étincelle peut partir. Avec ce genre d’article, quelqu’un peut devenir fou et prendre son calibre 12, parce que ça a été écrit. Ce n’est pas possible ! De même, l’imprimeur qui voit de tels articles et les imprime est coupable. Le distributeur qui les distribue est coupable. Qu’on nous parle de liberté de la presse ou de liberté d’opinion, ces libertés sont garanties par la Constitution, qui précise : «sous respect de l’ordre public». L’ordre public, ici, est menacé. L’équilibre de la société, la vie en communauté est menacée. On ne peut stigmatiser quelqu’un sur la seule base de sa pratique religieuse. Que ce soit pour La Loupe, L’Aube ou tous les autres, il n’y aura pas, de notre part, d’indulgence.
Source : interview réalisée par Hass Nziengui et Kennie Kanga pour Radio Gabon