Ancien baron du régime, il se lance à la conquête de la magistrature suprême, bien décidé à en découdre avec Ali Bongo Ondimba. Mais si tout indique qu’il sera le principal challenger du chef de l’État, le chemin qui mène au palais est encore long et semé d’embûches.
Nous sommes à Florence, en Italie, le 16 décembre 2015. Une trentaine d’invités triés sur le volet assistent, dans la quiétude de la cité toscane, aux noces de Franck Ping et de Marie-Paule Mboussou. Dans l’assistance, certains remarquent l’absence de Lucie Mboussou, belle-mère de la mariée et présidente du Sénat gabonais. Mais pouvait-elle apparaître sur les photos de famille aux côtés de Jean Ping, le père du marié, qui, ancien dignitaire du régime, a basculé dans l’opposition pour briguer la présidence ?
Absente également, Pascaline Bongo. La sœur du chef de l’État fut pourtant la compagne de Jean Ping ; elle est aussi la mère de deux de ses enfants – pas celle de Franck, mais les deux furent très liés. Elle fut son pygmalion en affaires. Un proche de la famille assure qu’elle n’a pas été invitée. C’est ainsi au Gabon : les liens familiaux pâtissent des clivages politiques.
Sitôt achevée la trêve toscane, la politique a repris ses droits. Le 15 janvier, l’ancien président de la Commission de l’Union africaine (UA) s’est fait désigner candidat du Front uni de l’opposition pour l’alternance (Fuopa), une coalition regroupant 27 partis. Depuis qu’il a claqué la porte du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) en février 2014, Ping trépigne tel un boxeur pressé d’en découdre. Il va pourtant devoir attendre encore huit mois avant d’affronter dans les urnes le président sortant, Ali Bongo Ondimba.
Aux côtés d’Omar Bongo Ondimba
À 73 ans, Jean Ping surprend son monde par son activisme débordant (il vient d’achever une tournée dans les neuf provinces du pays) et par sa pugnacité. Dans la galaxie de l’opposition gabonaise, ceux qui l’avaient sous-estimé, se gaussant en privé de ses ambitions, répétant qu’il ne devait sa brillante carrière qu’à ses liens avec la famille présidentielle, s’en mordent les doigts. Même chose pour ceux qui croyaient que le fait qu’il n’ait pas derrière lui de gros parti (sa candidature a été portée par l’Union pour le progrès et la liberté de Pierre Amoughe Mba, auquel Ping s’est allié sur le tard) serait un handicap insurmontable. Aujourd’hui, Ping a pris une longueur d’avance : Casimir Oyé Mba, de l’Union nationale (UN), n’a pas encore affiché ses intentions, et l’ex-Premier ministre Raymond Ndong Sima non plus.
Ping sait ce qu’il veut. Il commence chacun de ses discours par des « Je suis venu me présenter à vous » qui en disent long. Il sait que les électeurs le connaissent mal, qu’il lui faut compenser le fait qu’il a effectué une partie de sa carrière à l’étranger et que, bien qu’élu député de l’Ogooué-Maritime, sa province d’origine, en 1996 et en 2001, il s’est encore peu confronté au verdict des urnes. Lors de ses meetings, il a soin de raconter l’histoire de son père, ce migrant chinois venu de Wenzhou qui s’arrêta par hasard au Gabon sur le chemin de l’Europe, épousa une Nkomie (du sous-groupe des Myénés ruraux), avant de racheter une boulangerie fournissant l’armée française puis de faire fortune dans l’exploitation forestière.
De retour au Gabon, en 1984, il prend la tête du cabinet du président Omar Bongo Ondimba
Le jeune Ping grandit à Port-Gentil, puis s’inscrit au lycée Félix-Éboué à Libreville. Casimir Oyé Mba, scolarisé au collège Bessieux, se souvient de l’avoir rencontré pendant ces années-là sur les terrains de football. C’est aussi à cette époque que Ping fait la connaissance de Michel Essonghe et de Jean-Pierre Lemboumba, qui deviendront, des années plus tard, de proches conseillers des Bongo père et fils.
Encouragé par son père, Ping poursuit ses études à la Sorbonne, à Paris, puis entame une carrière à l’Unesco. De retour au Gabon, en 1984, il prend la tête du cabinet du président Omar Bongo Ondimba. Le voici lancé en politique. Il est même à deux doigts de passer à l’opposition – à la demande expresse du chef de l’État ! En 2005, le demi-frère de Ping, l’irréductible Pierre-Louis Agondjo Okawé, décède. Bongo propose alors à celui qu’il surnomme Mao de lui succéder à la tête du Parti gabonais du progrès (PGP). L’intéressé goûte peu cette mission d’infiltration et décline poliment. L’opposition attendra.
Sa nouvelle vie d’opposant
Le basculement aura lieu des années plus tard. En 2012, Ping échoue à se faire réélire à la tête de la Commission de l’UA. Il est convaincu que son propre pays lui a savonné la planche. Le clash avec Ali Bongo Ondimba est inévitable. La suite est connue. Ping profitera d’une réunion de l’opposition, début 2014, pour annoncer son ralliement.
S’il doit sa nouvelle vie d’opposant à un échec, tout indique qu’il sera le principal challenger du président sortant lors de la prochaine élection. C’est déjà une revanche à l’égard de ceux qui ont toujours prétendu que lui, l’enfant gâté de la politique gabonaise, manquait de courage. « J’ai risqué ma vie à plusieurs reprises dans des missions de médiation au Congo, en Centrafrique. Je ne suis pas ce que certains croient », se vante-t-il. Mais la partie est loin d’être gagnée. Sur les 27 partis du Fuopa, onze ont boycotté le vote. « Personne n’imagine que la coalition n’aura qu’un seul candidat », admet Ping. Ainsi, l’UN de Zacharie Myboto, qui n’a pas fait mystère de son soutien à une éventuelle candidature de son gendre, Paul-Marie Gondjout, ne se sent pas tenue par le résultat d’un vote auquel elle n’a pas pris part.
Il n’empêche. Les soutiens de Ping donnent de la voix et assurent que leur candidat a plus d’un atout. Ils ne s’attardent pas sur sa fortune personnelle (Ping possède des biens immobiliers à Libreville et à Paris, dont un appartement à deux pas des Champs-Élysées), qui lui permet pourtant de faire campagne, mais insistent sur son carnet d’adresses, tissé tout au long de son passage aux Affaires étrangères (en 1994, puis de 1999 à 2008) et à l’UA (de 2008 à 2012). Peut-il le mettre au service de son ambition ?
Ses réseaux
La réalité est plus complexe. Ping a des relations contrastées avec les chefs d’État d’une sous-région dans laquelle on n’imagine pas être élu sans soutiens. En Guinée équatoriale, Obiang Nguema Mbasogo a longtemps considéré qu’il était de ceux qui ont empêché le règlement amiable du conflit territorial portant sur l’île de Mbanié (aujourd’hui porté devant la Cour internationale de justice de La Haye). Les rapports entre les deux hommes se sont depuis normalisés, à l’occasion des sommets de l’UA notamment, mais ils sont loin d’être chaleureux.
Avec le Camerounais Paul Biya, peu assidu à Addis-Abeba, les rapports sont encore plus distants. Leurs derniers entretiens formels remontent à l’époque de Bongo père. Fin 2007, Ping fut envoyé à Yaoundé avec Ali, alors ministre de la Défense, pour demander à Biya de remplacer l’ambassadeur du Cameroun à Libreville (les câbles incendiaires du diplomate menaçaient de brouiller les deux pays) – ce qui fut fait. Un peu plus tard, il fut de nouveau dépêché à Yaoundé, avec François Engongah Owono, pour porter un message de Mouammar Kadhafi à Paul Biya au sujet d’un ressortissant libyen arrêté par les services camerounais.
S’agissant du Tchad, les contacts pourraient passer par son fils, Franck, qui a ses entrées à N’Djamena en tant que consul honoraire du Tchad au Gabon. Pareil pour le Congo : lors de la noce florentine évoquée plus haut, Denis Christel Sassou Nguesso, fils du chef de l’État congolais, était le témoin de la mariée. Il est aussi l’époux de Danièle, la sœur cadette de Marie-Paule Mboussou.
En France, ses réseaux, essentiellement de droite, sont moins actifs depuis l’élection de François Hollande. Elle est loin l’époque où il pouvait compter sur son ami Bruno Joubert, l’ancien « Monsieur Afrique » de Nicolas Sarkozy de 2007 à 2009. Il a néanmoins conservé une certaine proximité avec Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères, et avec Jean-Marc Simon, ex-ambassadeur de France au Gabon.
Les affaires qui pourraient l’embarrasser
Volontiers séducteur, affable et très urbain, Ping a longtemps déployé ses talents de diplomate, mais, depuis qu’il est entré en politique, il a renoncé à manier la langue de bois. Son incapacité à résister au piège des formules douteuses lui a même coûté des points de crédibilité. L’on se souvient de l’avoir vu tancer, sur une chaîne panafricaine, la « légion étrangère » qui entourerait le chef de l’État. Depuis, ses partisans tremblent quand il parle à la presse. Ne s’est-il pas aliéné le quotidien privé Échos du Nord (opposition), qui le poursuit de sa vindicte depuis qu’il a prétendu que son patron était cornaqué par Chantal Myboto, la fille d’un des patrons de l’UN ? Heureusement pour lui, il peut compter sur TV+, la chaîne à capitaux privés mise à son service par Franck Nguéma, le neveu de feu André Mba Obame.
Ses partisans tentent de mettre en avant l’image lisse d’un « Monsieur Propre ». Mais c’est compter sans l’affaire Belinga : l’histoire a beau être ancienne, elle pourrait se révéler gênante. Elle remonte à 2007, lorsque le gouvernement voulait profiter de la bonne tenue des cours mondiaux du fer pour exploiter l’important gisement de Belinga, situé dans l’Ogooué-Ivindo. Ping est chargé de négocier avec les Chinois. Le contrat est finalement signé avec la China Machinery Engineering Corporation (Cmec), mais il est rapidement plombé par l’activisme des ONG environnementales : la construction des ouvrages connexes (une voie ferrée, un port et un barrage hydroélectrique) ne va jamais démarrer.
Pointé du doigt, Ping se défend d’avoir introduit une société incapable de respecter ses engagements. En 2012, le gouvernement résilie le contrat et s’engage à rembourser les frais relatifs aux travaux et études réalisés, soit 17 milliards de F CFA (environ 26 millions d’euros). La faute à Ping, selon Flavien Enongoue, conseiller du président, qui demande à l’opposant « frappé d’amnésie sur son passé » d’assumer cet échec. Pas sûr que le candidat déclaré à la présidence y soit prêt.
Georges Dougueli