Bien que nombre de chefs d’État francophones s’y côtoient, les Loges africaines apparaissent toujours comme un lieu de pouvoir occulte et semblent impuissantes à désamorcer les conflits qui déchirent le continent. Zoom sur le Gabon.
Dans les temples ou lors des Rehfram, l’érudition de Charles Mba est appréciée. Cet expert-comptable formé à Rennes, en France, fut ministre délégué auprès du ministre gabonais des Finances avant d’effectuer un mandat de sénateur qui a pris fin en 2014. Initié au Grand Orient de France en Bretagne, à 25 ans (il en a 61), Mba est l’un des maçons gabonais les plus gradés. Il a été associé à des missions de médiation lors de la guerre civile au Congo et entre les parties belligérantes ivoiriennes. À ce sujet, il récuse le terme de « diplomatie secrète », préférant lui accoler l’adjectif « non officielle », car, estime-t-il, le secret est la source de tous les fantasmes.
« Quand une crise survient, on a souvent des maçons dans les camps qui s’opposent, explique-t-il. On peut réunir dans une pièce les différentes parties à plusieurs reprises sans obtenir pour autant qu’elles se donnent l’accolade. On leur explique alors qu’ils sont des frères et qu’en tant que maçons ils se doivent d’agir conformément aux valeurs auxquelles ils croient. Parfois, on parvient à rapprocher les camps opposés, et c’est heureux. »
Loges gabonaises ébranlées
La disparition d’Omar Bongo Ondimba en 2009 a provoqué une onde de choc qui s’est propagée dans les Loges gabonaises, composées de 1 500 initiés. Conséquence : les frères gabonais se mêlent moins de jouer les médiateurs dans les conflits qui ont cours à travers le continent. Ils ont eux-mêmes d’autres soucis.
Les deux obédiences, à savoir la Grande Loge du Gabon et la Grande Loge symbolique, n’ont pas été épargnées par le séisme de la transition. Reprochant à ses frères de prendre parti pour Ali Bongo Ondimba – qui a finalement été élevé au grade de grand maître des deux Loges – le défunt André Mba Obame a déserté le temple, qu’il fréquentait déjà fort peu. Il était de ceux qui ne supportaient pas l’autorité de certains frères, qui avaient certes un grade supérieur à lui au sein de la loge mais qui étaient, dans la vie civile, sous sa botte de tout-puissant ministre de l’Intérieur.
Les jeunes frères avaient quasiment tous choisi de soutenir Ali et sont aujourd’hui au cœur de l’appareil d’État, à l’instar de Serge Mickoto
Les tentatives de rapprochement ont échoué. Mais le processus électoral n’a pas dégénéré, en partie grâce à la médiation des « vieux » frères, notamment Albert Alewina Chavihot (actuel grand maître d’honneur de la Grande Loge du Gabon) et l’époux de la présidente de transition – feu Rose Francine Rogombé, elle aussi maçonne -, Jacques Rogombé, décédé depuis. Quant aux jeunes frères, ils avaient quasiment tous choisi de soutenir Ali et sont aujourd’hui au cœur de l’appareil d’État, à l’instar de Serge Mickoto, patron du Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS), qui est aussi le grand trésorier de la Grande Loge du Gabon, de Jean-François Ndongou, alors ministre de l’Intérieur et député grand hospitalier (chargé d’aider les frères qui sont dans le besoin) au sein de la Loge ou de Pierre Reteno Ndiaye, directeur général de la Société gabonaise de raffinage (Sogara) et grand maître provincial de la Loge continentale…
La maçonnerie à l’origine des conférences nationales
Dans les années 1990, le Gabon fut aussi l’un des pays qui accepta la tenue d’une conférence nationale, idée tout droit sortie des laboratoires de la maçonnerie africaine. Pendant ces années chaudes, bien des drames ont été évités grâce à la présence des « frères de lumière », tant au sein du pouvoir que de l’opposition.
Ainsi, lorsqu’un membre du Rassemblement national des bûcherons, dirigé à l’époque par le père Paul Mba Abessole, propose d’attaquer les temples maçonniques du pays, que l’opposition accuse de tous les maux, Pierre-André Kombila, bûcheron et maçon, s’interpose : « Vous voulez incendier les temples ? Alors vous devrez commencer par me brûler moi. » La proposition suffit à décourager les assaillants.
François SoudanGeorges Dougueli