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Jean Ping : « Le Gabon est une dictature pure et simple entre les mains d’une famille, d’un clan »

Ancien président de la commission de l’Union africaine et ancien ministre, Jean Ping, 73 ans, est candidat à l’élection présidentielle gabonaise. Le sortant, Ali Bongo, a annoncé lundi 29 février qu’il briguera un deuxième mandat.

Au Gabon, l’élection présidentielle, prévue pour l’automne 2016, se joue à un seul tour. Face au président sortant, Ali Bongo Ondimba, n’est-il pas suicidaire pour l’opposition de présenter plusieurs candidats ?

C’est la raison pour laquelle j’essaie d’unir l’opposition. Mais dans quel pays l’opposition s’unit-elle spontanément ? Ça n’existe pas. Ceci dit, nous allons battre Ali Bongo. Dire que nous allons accéder au pouvoir c’est autre chose, mais nous allons le battre.

Vous craignez une fraude électorale ?

En 2009, il a été battu mais il a proclamé sa victoire. Depuis la conférence nationale (de 1990), l’opposition a toujours gagné, même quand j’étais de l’autre côté, sauf en 2005.

Mais cette fois-ci, la fraude est massive. Le pouvoir inscrit sur les listes électorales des Congolais vivant à la frontière. Il prend des Maliens et leur donne la nationalité gabonaise…

Vous en avez la preuve ?

Bien sûr. Nous avons les cartes d’inscription. La plupart des pays africains font ça, peut-être pas à cette échelle industrielle.

Il y a deux genres de fraude, celles commises en aval du vote et celles en amont. On connaît ça un peu partout en Afrique. Vous votez et les résultats sont trafiqués pour inverser les résultats. Ici, au Gabon, la fraude a été instaurée en amont, lors de l’inscription sur les listes électorales.

Pourquoi ne pas porter ces dossiers devant les autorités compétentes ?

Quelles autorités compétentes ou indépendantes ? Elles sont toutes avec le pouvoir. La Cour constitutionnelle, les tribunaux, le Sénat… Toutes.

Comment prouverez-vous que vous avez gagné, si tel est le cas ?

Nous faisons tout pour contrer la fraude.

Pourquoi ne pas demander un audit de la liste électorale ?

Nous le demandons en permanence mais le pouvoir refuse ! Nous avons demandé aux Nations unies, à l’Union européenne, aux Etats-Unis de nous aider à instaurer la transparence. Ils ont accepté. Ali a refusé en disant que c’est une ingérence dans les affaires intérieures du pays. On ne peut rien faire contre. Mais nous continuons d’appeler l’Union européenne de nous aider.

Dans une telle impasse, vous attendez-vous à ce que la rue décide plutôt que les urnes ?

Les Gabonais sont pacifiques. Nous n’avons jamais connu de guerre d’indépendance, de guerre civile ou contre un autre Etat. Mais la rue gronde. Le Gabon est comme le Titanic, il se dirige contre un iceberg et pendant ce temps-là, l’orchestre joue ! Et cet iceberg, si rien n’est fait, c’est la guerre civile. C’est une expression forte. Personne ne peut souhaiter à son propre peuple une guerre civile. Mais on ne peut pas dire que ce qui se passe dans d’autres pays ne peut arriver au Gabon.

Le Gabon n’est pourtant pas une dictature…

Si le Gabon n’est pas une dictature alors il n’y en a nulle part ! Le Gabon est une dictature pure et simple entre les mains d’une famille, d’un clan qui dirige le pays depuis cinquante ans.

Dictature à laquelle vous avez alors participé activement en tant que ministre, à différents portefeuilles, de 1990 à 2008, durant la présidence de votre ex-beau-père Omar Bongo de 1967 à 2009 ?

Bien sûr ! Absolument ! J’y ai participé mais j’ai demandé pardon.

N’est-ce pas un handicap politique pour vous d’avoir fait partie de ce clan que vous dénoncez maintenant ?

Qu’a fait Macky Sall (président du Sénégal) ? Il n’y a aucune différence entre nous. Macky Sall a été le premier ministre du président Abdoulaye Wade (2000-2012). Je n’ai jamais été premier ministre d’Omar Bongo. Macky Sall a démissionné quand il a constaté que Wade voulait mettre son fils à sa place à la présidence. Il a protesté, il est parti. Au Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré (président élu en 2015) a été premier ministre, chef de l’Assemblée, chef du parti de Blaise Compaoré… puis il a décidé de partir. Où voyez-vous la différence avec moi ?

Vous êtes-vous opposé à la candidature d’Ali Bongo en 2009, après la mort de son père ?

A l’époque, j’étais président de la commission de l’Union africaine, j’avais un devoir de réserve. En revanche, je suis allé au Gabon quand le corps du président était encore là. Des bruits circulaient qu’Ali [Bongo] voulait accéder au pouvoir par un coup d’Etat. Moi, Jean Ping, je me suis opposé à ce coup d’Etat en tant que président de la commission de l’Union africaine. Je leur ai dit que s’ils le faisaient je me dresserai, moi leur compatriote, devant eux pour faire échouer ce coup d’Etat.

Vous décrivez une dictature mais vous participez tout de même au processus électoral…

Ce processus est une farce. Mais tout peut arriver. L’événement inattendu peut arriver, comme ce fut le cas en Tunisie quand la rue s’est soulevée contre [le président] Ben Ali après l’immolation d’un jeune. La veille encore, tout le monde, y compris la France, continuait d’embrasser Ben Ali. Le Gabon n’est pas un pays à part.

Nous avons choisi d’aller aux élections, c’est pour ça que nous exigeons la transparence. Quoi qu’il arrive nous irons à l’élection. Quoi qu’il arrive nous gagnerons. Mais comme d’habitude au Gabon, on truquera les résultats. C’est à partir de ce moment que les autres scénarios deviendront probables.

Est-ce que la France peut influencer l’issue du scrutin ?

La France a toujours joué un rôle depuis l’indépendance, et les Gabonais considèrent que la décision de la France a toujours été prépondérante. A tort ou à raison.

J’ai fait le tour du pays et jamais, dans aucun village, ce problème n’est passé sous silence. Une petite minorité, en colère, dit : « Pourquoi la France nous fait ça ? ». La majorité dit : « Pourquoi la France n’aide-t-elle pas le peuple gabonais ? ». Partout on dit : « Si la France ne vous soutient pas vous ne pouvez pas passer. »

Est-ce un fantasme ou la réalité ?

Le sentiment est là. Les Gabonais sont persuadés que, dans le meilleur des cas, sans la neutralité de la France, on ne peut pas réussir. Ici, on appelle ça « la main noire » !

Qu’est-ce que vous répondez aux gens qui vous disent ça ?

Je leur dis que nous faisons notre travail, c’est-à-dire essayer de convaincre la France de ne pas être un problème, de la convaincre au moins, je dis bien au moins, d’accompagner le Gabon, de ne pas voter pour nous et de ne pas bloquer le système.

Aucune élection, jusqu’à ce jour, n’a été faite sans intervention de la France. La dernière élection (d’Ali Bongo en 2009), ce sont Nicolas Sarkozy et Claude Guéant qui ont fait l’essentiel. Tout le monde le sait au Gabon. Nous cherchons à obtenir, dans le meilleur des cas pour nous, la neutralité de la France. Une neutralité qui n’a jamais existé.

Aujourd’hui encore ? Rien n’a changé ?

Nicolas Sarkozy n’est plus avec Ali Bongo. Moi, je parle à la droite tous les jours. Pourquoi croyez-vous que je suis venu ici quinze jours ? Pour passer l’hiver à Paris ? Je parle à toute la France, de droite et de gauche. J’ai rencontré [le premier secrétaire du parti socialiste Jean-Christophe] Cambadélis, lui-même, qui m’a autorisé à publier une photo de notre rencontre. J’ai parlé à beaucoup d’autres. Il y a des gens au Parti socialiste qui ne m’apprécient pas. Mais je fais mon travail comme je peux. L’une de mes convictions est qu’Ali Bongo ne défend pas les intérêts de la France. Et je pense que tout le monde en est convaincu.

Bien loin de la France, il y a aussi, proches du Gabon, des pays de la sous-région qui peuvent jouer de leur influence. Que répondez-vous à ceux qui disent que votre campagne est en partie financée par le président congolais Denis Sassou-Nguesso ?

Je n’ai jamais reçu un centime de Sassou. Pas un seul centime. A ce jour. S’il décide de le faire demain, je lui dirai merci et le crierai sur tous les toits. Je n’ai jamais reçu un centime d’aucun président de la sous-région. A ce jour.

Mais il faudrait poser la question différemment. Ali est-il soutenu par les présidents de la sous-région ? Non, tous sont contre lui. En fait, Ali est mon meilleur directeur de campagne. Tous étaient avec lui en 2009, il a réussi à faire l’unanimité contre lui, à cause de lui.

Christophe Châtelot

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