Il fut l’un des principaux soutiens d’Ali Bongo Ondimba en 2009. Aujourd’hui, l’ancien président de l’Assemblée nationale se retourne contre lui et a décidé de l’affronter à la présidentielle du 27 août.
Lorsque Guy Nzouba-Ndama évoque Ali Bongo Ondimba, son visage ne trahit pas la moindre émotion. Tous ceux qui l’ont rencontré en conviennent : cet ancien professeur de philosophie au verbe affûté est un animal politique à sang froid. Et pourtant, quel déchirement ! Il y a trois mois encore, il était le tout-puissant président de l’Assemblée nationale, un poids lourd de la majorité.
Après dix-neuf années au perchoir, il a démissionné et rendu sa carte du Parti démocratique gabonais (PDG). Sans faire d’éclat, mais non sans dépit. Il a ensuite annoncé sa candidature à la présidentielle du 27 août. « Un cataclysme », reconnaît un proche du pouvoir. Lors du scrutin de 2009, Ali Bongo Ondimba avait affronté dans les urnes André Mba Obame, son frère ennemi. Cette fois, il devra s’imposer face à l’un de ceux qui ont contribué à le faire roi.
Alors qu’il recevait J.A. le 16 juin dans le salon d’un hôtel parisien, Guy Nzouba-Ndama, bientôt 70 ans, avait d’abord tenté d’éluder nos questions sur sa rupture avec celui qu’il appelle « petit frère ». Avant de se raviser, comme si cela était plus fort que lui.
Collaboration sous tension
L’histoire de son compagnonnage avec Ali commence à la mort d’Omar. Candidat, Nzouba-Ndama aurait pu l’être en 2009, lorsque le pays, déboussolé, se cherchait un chef. « Plusieurs dignitaires sont venus me voir pour que je me porte candidat », affirme-t-il. Alors que le président de l’Assemblée réfléchit encore à la conduite à tenir, Ali Bongo Ondimba frappe à sa porte. Nzouba-Ndama décide de le soutenir et jette toutes ses forces dans la bataille.
Il négocie le ralliement des barons. Et le PDG, ultradominant, valide la candidature d’Ali. « En 2009, il avait 50 ans et moi 63, argumente-t-il. Son discours était susceptible d’avoir un impact sur les jeunes et de les galvaniser. » Élu, Ali Bongo Ondimba lui renvoie l’ascenseur et le maintient à la tête de la chambre basse, confortant sa position de gardien du temple. « Il pouvait être mon petit frère et, à ce titre, je pensais qu’en bon Bantou il serait enclin à écouter. Mais les conseils l’agaçaient… »
Le « grand frère », lui, se montre susceptible. La première escarmouche de ce qui va devenir une lutte de pouvoir au sein même de la majorité aura lieu quelques semaines après l’accession d’Ali Bongo Ondimba à la présidence. En septembre 2009, J.A. révèle le scandale des détournements de fonds au bureau extérieur de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac).
Cité dans cette affaire, Jean-Pierre Oyiba, le directeur de cabinet du nouveau président, remet sa démission. Lorsqu’Ali annonce qu’il le remplace par Maixent Accrombessi, Nzouba-Ndama déboule dans son bureau, au risque de se voir, comme tant d’autres, taxé de xénophobie. « Je lui ai dit : « Monsieur le président, permettez que je me mette dans la posture du père. Pourquoi nommer des étrangers à des postes aussi stratégiques ? Vous savez que, pendant la dernière campagne électorale, vos adversaires vous ont traité d’étranger ! N’êtes-vous pas en train d’accréditer cette thèse ? » Il n’a jamais répondu. »
Un second incident se produit quelques semaines plus tard, lors d’un entretien avec le chef de l’État et son directeur de cabinet. Entamée dans une atmosphère très tendue, la conversation dégénère. Nzouba-Ndama s’en prend à Accrombessi. L’altercation va sceller l’inimitié entre les deux hommes. Ali retient la leçon. Plus jamais il ne recevra le président de l’Assemblée en présence de son directeur de cabinet.
Dans cette famille politique où les affinités personnelles, maçonniques et claniques régissent les relations entre institutions, Nzouba a eu du mal à trouver sa place. Lui qui a pâti d’être l’élu d’une toute petite circonscription (dans l’Ogooué-Lolo, le fief de la famille Bongo) se rêvait en grand marionnettiste. À défaut de lui inspirer une crainte révérencielle, il espérait exercer une certaine influence sur le président. En vain. Le centre de gravité du pouvoir lui a échappé.
Dès lors, la guerre des tranchées ne connaît plus de trêve. « Le 25 mars 2014, avec trois autres compatriotes, nous sommes allés voir le chef de l’État pour faire un bilan d’étape. « Nous sommes à deux ans de la présidentielle, lui avons-nous dit. Il faut faire redémarrer l’économie pour rattraper le temps perdu. » J’ai ajouté que son image était écornée dans l’opinion à cause de son cabinet. Il s’est fâché et a demandé ce que son directeur de cabinet avait à voir là-dedans. »
Perte de confiance et confrontation
Dans cet entrelacs de règlements de comptes personnels et de rivalités professionnelles, pas facile de faire place aux idées ! « Le président s’est entouré de collaborateurs dont l’origine ne nous paraissait pas claire, insiste-t-il encore. Leur rôle s’est révélé catastrophique pour le pays. Le parti a par ailleurs été complètement désarçonné parce que, lors du congrès de 2013, ils ont tenté de le détruire pour en créer un autre, comme au Togo. Nous avons vu venir la manœuvre et l’avons arrêtée net. »
Le 3 mars dernier, Nzouba décide de claquer la porte. On vient de l’informer que Faustin Boukoubi, le secrétaire général du PDG, a convoqué une réunion au cours de laquelle il lira une résolution du chef de l’État nommant un nouveau bureau du groupe parlementaire après le décès de son président, Luc Marat Abyla.
Omar Bongo sait que j’aurai tout essayé, mais on ne m’a pas écouté
« Sans m’en informer, s’indigne Nzouba-Ndama. C’est contraire aux usages. Le président de la République ne devrait pas se mêler des affaires parlementaires de la sorte, même si le Parlement le consulte avant toute décision importante. J’en ai déduit qu’il y avait un problème de confiance entre lui et moi. Le moment était venu de m’en aller. »
Dans son discours de démission, il avait également dénoncé la « violation de la représentation nationale » lors de « l’intrusion », le 28 octobre 2015, d’un escadron de gendarmerie venu perquisitionner les locaux de la chambre des députés, suspectée de collusion avec l’opposant Moukagni Iwangou, qui multiplie les procédures judiciaires à l’encontre du président. Tout cela relève désormais du passé. « Je suis en paix avec moi-même. De là où il est, Omar Bongo sait que j’aurai tout essayé, mais on ne m’a pas écouté », conclut l’intéressé.
Parviendra-t-il à peser dans les urnes, le 27 août ? Trop heureuses de voir la majorité continuer de se fissurer, les autres figures de l’opposition ont applaudi sa démission… mais pas sa déclaration de candidature. Le charismatique et fortuné Nzouba-Ndama peut compter sur le soutien des frondeurs du courant Héritage et Modernité, dont la plupart sont des proches.
Au point qu’au Palais du bord de mer on se demande aujourd’hui si ce n’est pas lui qui a téléguidé le mouvement en coulisses – ce que l’intéressé dément. Il n’est pas parvenu, en revanche, à tisser des liens avec les rivaux du président. Il y a trois mois encore, il incarnait tout ce qu’ils honnissaient. Difficile de croire qu’ils pourraient, à court terme, se rallier à sa candidature. C’est pourtant le seul scénario que cet homme emporté par son ambition accepte d’envisager.
LE TEMPS DES PROMESSES
S’il est élu, Guy Nzouba-Ndama l’assure : il apportera des « correctifs » pour relever le pays. « Je réunirai toute la classe politique et la société civile pour discuter des réformes à entreprendre », dit-il. Lui qui a passé près de deux décennies au perchoir promet notamment d’inscrire la limitation du nombre de mandats dans la Constitution afin que « plus personne ne s’éternise au pouvoir ».
L’ex-président de la chambre basse souhaite en outre que le Parlement retrouve pleinement sa fonction de contrôle. À cette fin, il s’engage à supprimer les agences (des grands travaux, des nouvelles technologies, des parcs nationaux…) rattachées à la présidence. Pourquoi n’y a-t-il pas œuvré pendant qu’il était au cœur du système ? « J’assume ma part de responsabilité, mais je ne suis pas comptable de la gestion d’un autre », tranche-t-il. Les électeurs jugeront.
Georges Dougueli