Après avoir été le protégé de Pascaline Bongo, Franck Ping voit son nom cité dans une affaire d’attribution de marchés publics. Son père, candidat à l’élection présidentielle, s’en serait bien passé.
Il s’est réfugié à Abidjan, en Côte d’Ivoire, loin du bruit et de la fureur de Libreville. Franck Ping, 45 ans, a éteint ses portables et ne rappelle que quelques intimes. Dont son père, Jean, candidat à la présidentielle gabonaise du 27 août, et dont la campagne prend des allures de course d’obstacles. Car non seulement l’ancien président de la Commission de l’Union africaine fait face à la méfiance d’une partie de l’opposition qu’il a rejointe après avoir claqué la porte du parti au pouvoir, mais il se trouve aussi gêné par les « affaires » dans lesquelles l’aîné de ses fils est empêtré.
En effet, Franck fait la manchette des journaux depuis que le site d’information français en ligne Mediapart a révélé, le 23 juin, que son nom serait cité dans l’affaire Sinohydro, une firme chinoise du BTP spécialisée entre autres dans la construction de routes et de barrages hydroélectriques, soupçonnée d’avoir versé de substantielles commissions en échange de l’attribution de marchés publics au Gabon, au Cameroun et au Congo. Le procureur du tribunal de première instance de Libreville, Steev Ndong Essame, menace de lancer un mandat d’arrêt contre l’apporteur d’affaires.
Un fils pour Pascaline
La sœur aînée du chef de l’État, Pascaline Mferri Bongo Ondimba, a longtemps été le pygmalion du jeune homme d’affaires. Alors qu’elle était directrice de cabinet du président Omar Bongo Ondimba, elle avait accueilli le jeune Ping, enfant de Jeannine, l’épouse ivoiro-française de Jean. L’intention de départ était de resserrer les liens entre les enfants du couple Ping et ceux que le candidat à la présidentielle a eus par ailleurs avec Pascaline Bongo.
Scolarité en France, voyages et frais divers, Pascaline prend tout à sa charge, et Franck l’appelle « maman ». Peu intéressé par les cours, il quitte l’école avant le baccalauréat et ne manifeste aucun goût pour les emplois salariés… Il préfère les affaires.
Des opportunités saisies en Chine
Ça tombe bien. En ce début des années 2000, un grand nombre de pays africains ploient sous les conditions draconiennes des politiques d’ajustement structurel du FMI. Étranglés par le service de la dette et par d’autres contraintes budgétaires, ils ont besoin d’argent frais pour financer les grands projets de développement dont les études remplissent les tiroirs. Ils le trouveront auprès de Pékin, dont l’économie est en surchauffe et qui a besoin de matières premières, dont regorge le continent.
Pour gagner des appels d’offres en Afrique, terrain traditionnellement acquis aux entreprises occidentales, les Chinois débarquent avec la bénédiction du Parti communiste et la garantie de l’État. Les entreprises, privées comme publiques, de l’empire du Milieu disposent des crédits quasi illimités de la puissante Eximbank of China et d’une législation permissive en matière de commissions.
D’ascendance chinoise par son père, Jean Ping est naturellement sollicité. Il les introduit au Palais du bord de mer par l’intermédiaire de Pascaline. Au départ, Franck n’est qu’une petite main dans cet attelage. Néanmoins, l’homme à tout faire de la femme la plus puissante du pays prend du galon et devient incontournable. Il a du temps libre, fuit les mondanités. Sa discrétion est particulièrement appréciée. Pascaline l’aime comme une mère et lui pardonne tout.
Un acteur incontournable des affaires sino-gabonaises
Il crée nombre de sociétés, à la tête desquelles trône Xcillys Logistics International Limited, basée à Hong Kong, dont il cède 20 % à son frère Jean-François, qui s’est découvert, lui aussi, une passion pour les affaires.
Le nom de Franck Ping apparaît dans le marché de la construction de l’Assemblée nationale (achevée en 2000). Des projets aux montants importants sont tirés des cartons, dont ceux de la route Akiéni-Okondja (91 millions de dollars) et du barrage Grand Poubara (plus de 300 millions de dollars), tous deux réalisés par Sinohydro. L’argent coule à flots.
En février 2004, Hu Jintao, le président chinois, effectue une visite en grande pompe à Libreville. Du haut du perchoir de l’Assemblée nationale gabonaise, le dirigeant s’adresse au continent dans sa globalité. Il rappelle que la « coopération » avec son pays n’est assortie « d’aucune condition politique », en dehors de la non-reconnaissance de Taïwan. Au diable la bonne gouvernance imposée par le FMI et les bailleurs de fonds occidentaux.
Devenu l’apporteur d’affaires préféré des Chinois, rentabilisant autant que faire se peut sa proximité avec Pascaline Bongo, Franck multiplie les va-et-vient entre les palais africains et l’empire du Milieu. À Hong Kong, il a ses habitudes au Peninsula, le palace où « maman » dispose d’un compte. À la fin des années 2000, à mesure que le chef de l’État, Omar Bongo Ondimba, s’affaiblit, Pascaline étend son emprise sur les régies financières du pays, au grand bonheur de son protégé, qu’elle couvre de cadeaux onéreux, comme des montres de grande marque ou des voitures de luxe.
En 2002, il échappe de peu à la prison, libéré sur ordre du palais
De bons soutiens dont il a pu tirer profit face à la justice
Pourtant, en 2002, il échappe de peu à la prison. En effet, le jeune homme est brièvement interpellé à la suite d’une plainte de Paul Toungui – actuel compagnon de Pascaline –, qui vient alors de remplacer Émile Doumba au ministère de l’Économie et des Finances : une entreprise créée par Franck Ping figure dans la liste des fournisseurs fictifs d’Air Gabon, le transporteur national moribond.
Le pot aux roses est découvert alors que l’État, qui a décidé de payer directement les fournisseurs de la compagnie au lieu de lui verser à fonds perdu une subvention, a déjà décaissé plusieurs millions d’euros en faveur du fournisseur fictif. Le procureur, Bosco Alaba Fall, fait arrêter Ping, qui sera finalement libéré sur ordre du Palais. « Peu d’enfants d’Omar Bongo peuvent se targuer d’avoir bénéficié d’autant de puissance et d’avantages que Franck Ping », conclut un connaisseur du milieu.
Du Gabon, le terrain de chasse de Sinohydro s’élargit à plusieurs pays d’Afrique centrale. Au Cameroun, avec le soutien de Pascaline et, selon nos informations, de Frank Biya, le fils du président, Franck Ping aurait joué un rôle clé dans l’attribution à l’entreprise chinoise du marché du barrage de Memve’ele ; en Côte d’Ivoire, c’est son père, Jean Ping, qui est lui-même à la manœuvre dans l’adjudication du barrage de Soubré.
Perte de pouvoir et exil
Après le décès de Bongo père, Pascaline a dû faire ses cartons. Elle vit désormais entre Libreville et les États-Unis. Sa toute-puissance n’est plus qu’un lointain souvenir. Franck voit le monde tel qu’il est. Chassé du Gabon depuis la chute de Pascaline, il réapparaît à Abidjan et à Brazzaville.
Quand il séjourne dans la capitale congolaise, il profite tout naturellement de l’hospitalité de son beau-frère, Denis Christel Sassou Nguesso, fils du président congolais. Les deux hommes ont épousé respectivement Marie Paule et Danièle Mbousou, les deux filles de Lucie Milebou Mboussou, la présidente du Sénat.
L’ex-homme à tout faire vole de ses propres ailes, loin de sa terre natale devenue soudain inhospitalière. Suffisamment pour pousser son père à claquer la porte du parti au pouvoir et à rejoindre l’opposition : « J’ai créé un bureau de consulting [Ping&Ping Consulting] et on a tout fait pour que je ne travaille pas avec le Gabon. Même à mes enfants, on leur a dit : “Exilez-vous ! J’ai pensé qu’il valait mieux que je n’aie plus rien à faire avec des gens comme ça. Donc je travaille partout ailleurs qu’au Gabon, et je gagne bien ma vie », expliquait Jean en février 2014. Franck semble avoir adopté la même ligne.
Georges Dougueli