Frappée par la crise du pétrole, la ville est maintenue sous respiration artificielle grâce aux investissements publics. En attendant que les réformes économiques produisent enfin leurs effets.
Avec ses plages de sable fin et sa mer turquoise, Port-Gentil offre un décor de carte postale. Cette presqu’île nichée à l’embouchure de l’Ogooué a l’exceptionnelle beauté d’un éden préservé, mais aussi la fragilité d’un atoll : le site est menacé par la montée des eaux salines qui s’infiltrent dans la nappe phréatique. Tandis que la nature reprend ses droits, ses 142 000 habitants, eux, vivent du pétrole dont regorge son sous-sol. Et le pays en tire des ressources budgétaires indispensables.
De violents épisodes post-électoraux
Port-Gentil souffre par ailleurs d’un étrange syndrome : chaque scrutin présidentiel est émaillé de manifestations violentes pour contester les résultats. Une jeunesse sans perspectives laisse ainsi s’exprimer ses frustrations et ses rancœurs à l’encontre d’un pouvoir qui ne se préoccuperait pas d’elle.
Bâtiments incendiés, marché saccagé, bitume endommagé, sièges sociaux pillés… Depuis 1990, ce scénario catastrophe se répète inlassablement. On craint une nouvelle flambée de violences lors de l’élection présidentielle du 27 août. Car « les Port-Gentillais souffrent », a reconnu le président Ali Bongo Ondimba lors d’un meeting au début de ce mois.
Reflet d’une économie essoufflée
La capitale économique gabonaise est à l’image d’un Gabon que le chef de l’État s’échine à réformer depuis sept ans : quand le pétrole va, tout va. Et quand il ne va pas, les économies tirées de cette manne sont censées amortir le choc. Sauf que, cette fois, les difficultés perdurent. La chute des cours de l’or noir a asphyxié Port-Gentil. Les grands sous-traitants du secteur des hydrocarbures, le plus gros employeur de la ville, ont subi la crise de plein fouet.
Ils ont réduit leurs investissements dans l’exploration-production, fermé des sites, accéléré la cession d’actifs, gelé les embauches et licencié. Total, Shell, Vaalco, Perenco, Maurel & Prom ont tous adopté des mesures d’économie. Baker Hughes a mis la clé sous le paillasson. Schlumberger, Addax, Satram ont réduit la voilure de manière significative – pas moins de 700 licenciements en décembre 2015. Halliburton n’a plus qu’une présence symbolique avant la fermeture définitive fin 2016.
Pareil pour Weatherford. Port-Gentil a perdu près de 4 000 emplois, et ce n’est pas fini. Même s’il y avait une embellie demain – pour l’instant, les prix se sont stabilisés à près de 50 dollars (48 euros) –, il faudrait plusieurs mois pour qu’elle se matérialise sur le terrain, et notamment pour que reviennent les sous-traitants qui se sont délocalisés à Pointe-Noire ou à Douala. Pas avant fin 2017, début 2018. Ce n’est pas demain qu’ils réapparaîtront.
Les mesures vaines de l’État
Alors le gouvernement a sorti de sa boîte à pharmacie divers remèdes. Il fallait d’abord stopper l’hémorragie et cautériser la plaie. Il a donc invité les compagnies à surseoir aux licenciements économiques.
« Pas assez efficace, selon Ghislain Moundounga, patron de GM Energy, un sous-traitant gabonais présent dans une demi-douzaine de pays. Le gouvernement peut mieux faire. L’État aurait dû discuter avec les opérateurs et envisager de soutenir les compagnies à travers un régime fiscal et des taxes douanières, et en facilitant les procédures administratives… Des éléments qui contribuent à donner envie à une compagnie de sacrifier le peu de bénéfices qu’elle dégage. »
L’épidémie a fini par toucher d’autres secteurs économiques. Comme la santé, ainsi que l’illustre le cas du docteur Emmanuel Eyeghe, un oto-rhino-laryngologiste de 58 ans, dont vingt-six années passées à Port-Gentil.
Il y a fondé la polyclinique Bilie, qui propose parmi les meilleures prestations hospitalières de la ville : « Satram avait souscrit une assurance maladie pour 1 000 employés. En comptant les familles, environ 6 000 personnes se soignaient chez moi. Lorsque Satram a fermé, l’assurance, qui courait jusqu’au 31 décembre, a disparu. Aujourd’hui, les patients n’ont plus les moyens de payer les soins. Seuls ceux qui ont encore des économies viennent. Mais ça ne durera pas », se plaint le médecin, qui préside aussi l’Organisation patronale gabonaise (OPG), un regroupement de 56 PME créé en 2010.
Aménagements et diversification de l’économie
Le gouvernement s’est alors lancé dans une politique de grands travaux : construction d’une nouvelle aérogare, d’une centrale thermique à gaz, d’un stade de football en vue de la CAN 2017, d’une nouvelle raffinerie… Ainsi que réhabilitation de la voirie urbaine et, surtout, travaux herculéens de la voie Port-Gentil-Omboué, longue de 93 km, censée relier la presqu’île au reste du pays. Cette route a longtemps été considérée comme infaisable parce qu’elle devait traverser une mangrove. Le chantier, qui devrait durer soixante mois, est exécuté par la société China Road and Bridge Corporation (CRBC).
Coût du projet : 102 milliards de F CFA (155 millions d’euros), dont 5 % sont pris en charge par l’État. Le reste est financé par Exim Bank of China. « Les grands travaux ont permis de maintenir la ville à flot en donnant du travail aux jeunes », se félicite Gabriel Tchango, un homme d’affaires entré en politique après l’élection d’Ali Bongo Ondimba. « C’est une excellente idée, reconnaît Moundounga. La route devrait favoriser la baisse des prix et relever ainsi le pouvoir d’achat de la population. »
À plus long terme, Ali Bongo Ondimba mise sur la diversification de l’économie pour sortir Port-Gentil, et plus largement le Gabon, de cette dépendance pétrolière. Le cadre juridique a été réajusté pour améliorer l’attractivité du pays et attirer les investissements privés. Selon le rapport « Doing Business » de la Banque mondiale, le niveau d’investissement moyen du secteur privé hors pétrole a progressé de 66 % entre 2005 et 2015.
Lors du dernier septennat, cette politique de diversification a montré des effets encourageants. Entre 2010 et 2015, à l’échelle nationale, les investissements du secteur hors pétrole ont atteint une moyenne annuelle de 707 milliards de F CFA, une progression qui traduit la diversification progressive de l’économie. L’investissement direct étranger, lui, est passé de 3,5 % du PIB en 2010 à 7,6 % en 2015. Le Gabon fait ainsi largement mieux que la Côte d’Ivoire ou le Sénégal. Ce résultat suffira-t-il à convaincre les Gabonais de miser sur un second mandat ?
Georges Dougueli