Guy Rossatanga-Rignault est professeur de droit à l’université de Libreville-UOB et secrétaire-général adjoint de la présidence de la République.
RFI: La campagne présidentielle se termine. Si vous deviez retenir une seule image de cette campagne qui a été riche en rebondissements, quelle sera-t-elle ?
Guy Rossatanga-Rignault : Aucune en particulier. Simplement, comme nombre de mes compatriotes, j’ai été frappé par la violence de certains discours. Je pense aux appels au meurtre émanant des meetings d’opposition et visant des communautés étrangères traitées de « cafards ». Tout ceci est inacceptable.
Quatre ténors de l’opposition ont signé un accord pour parvenir au désistement de trois d’entre eux en faveur de la candidature de Jean Ping. C’est une première. Est-ce un tournant dans le jeu politique gabonais ?
A ma connaissance, au titre des désistements, en terme de « ténors », il n’y en a que deux : Casimir Oyé Mba et Guy Nzouba Ndama. Le troisième rallié, Léon Paul Ngoulaka ne saurait, sérieusement, être qualifié de « ténor ». En effet, jusqu’à ces derniers mois, ce dernier était plus connu comme directeur général de la Caisse de stabilisation et cousin du président sortant que comme homme politique. Il reste une dizaine d’autres candidats dont deux qui ont été déjà candidats à une présidentielle [Pierre-Claver Maganga-Moussavou et Bruno Ben Moubamba, ndlr] et un ancien Premier ministre [Raymond Ndong-Sima, ndlr].
Par ailleurs, il ne s’agit en rien d’une première dans l’histoire politique du Gabon. Rappelons qu’un processus similaire a eu lieu dans des circonstances à peu près semblables en 2009, quand 11 candidats sur 23 se sont désistés en faveur d’André Mba Obame. Par conséquent, et contrairement à une certaine doxa, il n’y a rien de nouveau sous le soleil politique gabonais. Quant à savoir si ces deux ralliements constituent un tournant, on le verra samedi, lors du scrutin.
Il me semble néanmoins que les résultats dans les urnes ne seront pas forcément à l’image des résultats médiatiques, et cela pour un certain nombre de raisons. Elles sont les suivantes : premièrement, cette « unité » se fait un peu tard, après le début de la campagne ; deuxièmement, l’électorat des uns et des autres étant souvent un électorat communautaire pour la défense d’intérêts plus communautaires que nationaux, rien n’indique que le report des électeurs potentiels de tel se fera automatiquement au profit de tel autre ; et enfin, il est légitime de se demander ce que peut peser le ralliement du candidat Oyé Mba quand on sait que son parti, l’Union Nationale en l’occurrence, avait appelé ses sympathisants à ne pas s’inscrire sur les listes électorale puisqu’il ne voulait pas d’élection mais d’une destitution du sortant ?
Quels sont les principaux enjeux de ce scrutin présidentiel ?
Si l’on met de côté les éventuels projets et programmes, l’enjeu principal retenu par les Gabonais peut se résumer à la volonté des autres candidats de mettre un terme à ce qu’ils qualifient de « pouvoir Bongo-PDG » dont ils sont tous, paradoxalement (au moins pour les ténors), de purs produits, parfois jusqu’à la caricature. En réalité, nous continuons à gérer la guerre des héritiers d’Omar Bongo, entre ceux qui veulent continuer comme avant mais sans Bongo et ceux qui estiment, à tort ou à raison qu’il faut passer à autre chose.
Le président Bongo a fait campagne en mettant l’accent sur le bilan « positif » de son septennat. Quels sont les principaux acquis et échecs de cette présidence ?
L’espace de cet entretien ne suffirait pas à répondre sérieusement à une telle question. On peut néanmoins, au titre de l’actif, noter de réels acquis sociaux : hausse des soldes des agents de l’Etat de 30 %, assurance maladie universelle et autres filets sociaux, infrastructures hospitalières et autres, début de diversification de l’économie. Au titre du passif, un certain nombre de promesses n’ont pas connu de réalisation suffisante, notamment en matière de logement.
Quelle lecture faites-vous du programme politique et économique de l’opposition ?
Sans être trivial, je dirais qu’il y a à boire et à manger. De fait, dans les programmes des trois à quatre principaux candidats à cette élection, il y a des choses intéressantes et parfois assez bien structurées. A ceci près que l’opposition a, pour l’essentiel, noyé son programme en focalisant le débat sur un individu et ses origines.
La question de l’état-civil du président sortant a empoisonné le climat politique, surtout au début de la campagne. De quoi est-il le signe ?
Cette question est le nom de quelque chose d’innommable. Des mots avec lesquels on joue mais dont les conséquences peuvent être dramatiques, comme l’histoire nous l’enseigne. Confondant, à dessein, nationalité et filiation, l’opposition est parvenue à créer un problème juridique qui n’en est pas un, tout en amplifiant les effluves politiques nauséabondes d’une pureté mythique.
Il reste que cette question a révélé au grand jour l’existence d’une question identitaire au Gabon. Une partie du pays a pu considérer l’accès à certaines fonctions à des naturalisés comme une perte de souveraineté. Cela signifie clairement qu’il y a un « problème » qu’il ne faut surtout pas balayer d’un revers de main. A un moment ou à un autre, il faudra bien, tous ensemble, redéfinir les termes et conditions de notre vivre ensemble et de ce qui fait de nous une nation. Objectivement, sans passion ni haine.
Où en est la démocratisation du Gabon depuis l’adoption du multipartisme en 1990 ?
Le Gabon est toujours en transition démocratique. Mais, à part la mauvaise foi, il est difficile d’affirmer que rien n’a changé depuis 1990. Les faits contredisent au quotidien un tel postulat. Il reste que cette transition est lente du fait de la difficulté pour tous ou presque à sortir mentalement du parti unique. La démocratie suppose, a minima, deux-trois choses :
– le respect de l’altérité: or chacun n’est content ici que si les autres parlent et font comme lui le veut,
– le débat (pacifique) des idées, il n’y en a quasiment pas,
– le respect des normes : or chacun ne veut de l’application de la loi que quand ça l’arrange.
L’équation à résoudre ici tient dans cette question terrible : comment réaliser la démocratie sans véritables démocrates, respectant au moins les trois présupposés ci-dessus ?