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Gabon: bataille d’ex-beaux- frères

Ce samedi, l’ancien gendre d’Omar Bongo défie le fils Ali, qui a succédé à son père en 2009. Avant même le scrutin, le président sortant était soupçonné de préparer une fraude électorale massive.

Et de trois ? Après le Congo-Brazzaville et le Tchad, le Gabon sera-t-il le troisième pays d’Afrique francophone, cette année, à cautionner la réélection du président en place ? Ce samedi, les Gabonais sont appelés aux urnes pour un scrutin présidentiel à un seul tour. Mais dans ce petit pays d’Afrique centrale, comme au Congo-Brazzaville ou au Tchad en mars et en avril, nombreux sont ceux qui redoutent une mascarade électorale qui ne servirait qu’à maintenir au pouvoir le clan qui règne sur le pays depuis près d’un demi-siècle.

Dès le lancement de la campagne électorale, la transparence ne semblait guère être le souci principal des autorités : Libération n’a pas pu obtenir de visa pour se rendre sur place, et notre demande d’explication par mail est restée sans réponse. Des photographies d’urnes bourrées entreposées chez la maire de Libreville, la capitale, et de faux procès-verbaux déjà établis, circulent déjà sur Internet. «Le régime est tellement impopulaire qu’il est trahi en son sein : ce sont ces mécontents qui envoient les photos des preuves de fraude» , affirme une opposante à Paris.

Mais l’exemple le plus flagrant d’un risque de scrutin tronqué, aux yeux de l’opposition et de la société civile, reste la composition du fichier électoral. Selon l’audit réalisé à partir des données officielles par Mays Mouissi, économiste gabonais exilé au Canada, 59 localités du pays affichent un nombre de votants largement supérieur au nombre d’habitants. Avec des différences parfois impressionnantes, comme dans ce canton de la région de l’Estuaire qui compte 43 habitants mais 946 personnes inscrites sur les listes électorales. Selon le même analyste, 18 localités auraient également inscrit entre 80 et 100 % des habitants, ce qui supposerait l’absence quasi totale d’enfants mineurs dans les zones concernées. Comme à Bongoville, où 98 % des 280 habitants sont inscrits sur la liste électorale. «87 % de la population gabonaise vit en zone urbaine mais beaucoup se sont inscrits dans leur village», a rétorqué cette semaine dans l’hebdomadaire Paris Match le ministre de la Communication, Alain Claude Bilie By Nze, qui affirme qu’il ira lui-même voter au village samedi. Le problème, c’est que selon Mays Mouissi, le décalage s’observe aussi dans la banlieue de Libreville : comme dans la commune d’Owendo, au sud de la capitale, qui abriterait officiellement 5 894 habitants mais qui affiche 10 791 électeurs.

Remake de « Game of Thrones »

La contestation du fichier électoral avait déjà fait l’objet de polémiques lors de la précédente élection présidentielle, en 2009, remportée par Ali Bongo Ondimba, qui se représente ce samedi face à 13 candidats. Mais cette fois-ci, le rapport de forces semble plus complexe. Notamment en raison de la personnalité de son principal challenger : Jean Ping, plusieurs fois ministre et proche conseiller du père d’Ali, Omar Bongo Ondimba, qui régna sur le pays de 1967 à 2009. Homme du sérail en rupture de ban, Ping, 73 ans, fut même longtemps un membre de la famille : compagnon de Pascaline Bongo, la fille préférée d’Omar, dont il a eu deux enfants. L’entrée en lice dans la course électorale de Jean Ping, fils d’un immigrant chinois et d’une Gabonaise, a ainsi donné à la campagne électorale un faux air de remake africain de Game of Thrones. Avec d’un côté le fils de celui qui fut l’homme le plus puissant du pays et de l’autre l’ex-gendre, qui a réussi l’exploit, mi-août, de rallier à sa candidature deux autres ténors d’une opposition jusque-là fragilisée par sa division. D’emblée, la bataille fut féroce et les fantômes du passé furent fréquemment appelés à la rescousse par l’un et l’autre camp. L’opposition a ainsi contesté la candidature d’Ali Bongo, en l’accusant de n’être que le fils adoptif, originaire du Nigeria, d’Omar Bongo. Ce qui l’empêcherait de se présenter en vertu de l’article 14 de la Constitution. Deux actes de naissance présentés par la présidence n’ont pas suffi à effacer le soupçon.

De leur côté, les partisans d’Ali Bongo n’ont pas manqué de souligner que la rupture de Jean Ping avec le clan au pouvoir, en 2014, intervenait deux ans après que Libreville a refusé de parrainer la réélection de l’ex-gendre à la tête de la Commission de l’Union africaine, poste prestigieux où il officiait depuis 2008. Juste frustré, l’ex-gendre ? Voire mouillé lui aussi dans l’affairisme ambiant, comme ne cessent de le marteler les médias proches d’Ali Bongo qui rappellent que Franck Ping, le fils du candidat, est soupçonné d’être mêlé à une affaire de rétrocommissions octroyées par un groupe chinois ? Contacté par Libération à Libreville la veille du scrutin, Jean Ping semble sourire des arguments de ses adversaires : «J’ai servi un régime à une époque où le parti unique était la règle en Afrique, aujourd’hui les temps ont changé. Quant aux accusations portées contre mon fils, elles concernent une affaire qui vise d’abord la famille au pouvoir : notamment l’actuel président et son père. Pourquoi la justice ne s’intéresse pas à eux et préfère s’attaquer à un sous-fifre ?»

«Il faut un mammouth pour vaincre un autre mammouth. Or depuis deux ans, Jean Ping a sali ses chaussures dans la boue des bidonvilles, il a reçu des gaz lacrymogènes, et surtout, il s’est engagé à ne faire qu’un mandat et à rétablir l’ancienne Constitution, celle établie à l’aube du multipartisme. Son passé n’est pas l’enjeu du scrutin actuel», estime Françoise Kessany, une Française mariée à un Gabonais, très active au sein du collectif Tournons la page, qui fustige le bilan d’Ali Bongo à la tête d’un pays qui aurait, en principe, tout pour être béni des Dieux : peu peuplé mais disposant d’un sous-sol très riche, notamment en pétrole dont il est le quatrième producteur africain, le Gabon affiche une croissance annuelle approchant les 5 %.

Mais, comme dans le cas du fichier électoral, les réalités sont souvent faussées au pays des Bongo. Dans le Palais du bord de mer, la résidence du Président qui longe l’océan Atlantique à Libreville, la famille a toujours eu la mainmise sur les fabuleuses ressources du pays. Tant que l’argent coulait à flots, redistribué notamment par le régime clientéliste du père, les tensions étaient moins palpables. Mais dans les mapane, les bidonvilles, une jeunesse sans horizon a bien compris que l’âge d’or était fini. Indétrônable autocrate, considéré comme l’un des piliers de la Françafrique, Omar le père s’est éteint à Barcelone en juin 2009 après quatre décennies de règne. Son fils aîné, qui fut pendant dix ans ministre de la Défense, avait un temps caressé le rêve de s’épargner le verdict des urnes grâce à l’instauration d’une véritable monarchie. Mais le projet aurait été immédiatement balayé en 1986 par le Premier ministre français Jacques Chirac, raconte le journaliste Antoine Glaser dans son ouvrage Africafrance.

Clientélisme et corruption

Reste qu’en 2009, quelques mois après le décès de son père, le fils se fait élire lors d’une élection déjà controversée. Et s’engage aussitôt à renverser la table : en virant la plupart des barons proches de son père et en promettant de diversifier l’économie pour faire du Gabon «un pays émergent».

«De la poudre aux yeux» , fustige Laurence Ndong, une chercheuse et enseignante qui avait voté pour Ali Bongo en 2009. Un temps membre du parti au pouvoir, le Parti démocratique gabonais, cette jeune femme aujourd’hui installée à Paris fera l’amère expérience de la corruption et du clientélisme au sein du système (1). «Ali s’est révélé pire que son père», affirme-t-elle, dénonçant «les faux-semblants des multiples agences et autres incubateurs de start-up : un mirage, dans un pays où certaines écoles accueillent plus de 200 élèves par classe, où le taux de redoublement est de 40 % et la réussite au bac ne dépasse plus 14 %». Alors qu’à Libreville, de nombreux interlocuteurs refusent de s’exprimer par téléphone, si ce n’est à travers les applications confidentielles tel Telegram, Laurence Ndong ne craint pas, à Paris, de souligner «les conflits d’intérêts du Président et de sa famille qui détiennent des parts dans la plupart des entreprises privées et para-étatiques, alors que la Constitution l’interdit et que près d’un Gabonais sur cinq vit sous le seuil de pauvreté» .

«Le père avait beau être incompétent, il savait arrondir les angles pour se mettre tout le monde dans sa poche. Le fils, lui, ne jure que par les réseaux francs-maçons. Sa prétendue purge des barons, surnommée « le TsunAli », lui a surtout permis de placer ses propres fidèles, tous francs-maçons», confie un journaliste gabonais en exil en France, qui dénonce aussi «la hausse phénoménale des crimes rituels depuis 2009». Les Gabonais ont surnommé «la légion étrangère » ce groupe de jeunes cadres étrangers qui entourent le Président. Avec en tête du hit-parade de l’impopularité son très influent directeur de cabinet, Maixent Accrombessi, d’origine béninoise et fils d’un célèbre prêtre vaudou. Mauvais signe des astres : Accrombessi, victime d’un AVC dans la nuit du 17 au 18 août, a dû abandonner la campagne présidentielle pour être hospitalisé au Maroc. «Ali Bongo ne peut pas gagner ces élections sans recours à une fraude massive», affirmait vendredi après midi à Libération Jean Ping, qui craint «une tentative de passage en force du pouvoir en place lors du scrutin de samedi». Au Gabon, les prochains jours seront décisifs.

(1) Expérience racontée dans Gabon, pourquoi j’accuse, Editions de l’Harmattan, 2016.

Maria Malagardis

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