Le pays redoutait des violences mardi alors que les deux camps, d’Ali Bongo et de Jean Ping, se disaient assurés de leur victoire.
Le Gabon égrenait mardi les dernières heures avant de connaître le résultat de l’élection présidentielle. L’ambiance, morose, s’est tendue encore un peu plus alors que la nuit tombait sur Libreville, devenue une capitale atone. La Commission électorale nationale autonome et permanente (Cenap) devait rendre son verdict à 18 heures. Entre Ali Bongo, le président sortant, et son rival Jean Ping, on disait la course serrée. Mais plus que par le nom du vainqueur, les Gabonais étaient angoissés par la réaction du vaincu et des siens. Car si personne ne s’avançait officiellement à parier sur l’un ou l’autre, tous étaient certains que le candidat défait refuserait net les résultats annoncés.
Dès dimanche, Jean Ping, qui a vu des candidats de poids rallier sa bannière au dernier instant, avait proclamé son triomphe et réclamé que son rival reconnaisse sa défaite. Lundi, il avait fait monter un peu plus la pression en appelant «les Gabonais à défendre la démocratie». «Nous maintiendrons l’ordre» a répliqué peu après le clan présidentiel, se disant confiant et assurant ne pas vouloir dévoiler de chiffres pour «respecter la loi». Ce qui n’empêchait pas le porte-parole d’Ali Bongo, Alain-Claude Bilie By Nze, de glisser que l’avance de son favori était «irréversible» et donc le second mandat acquis. Le gouvernement met aussi en avant la «bonne tenue» du scrutin de samedi, qui s’est de fait déroulé dans le calme. La mission d’observation électorale de l’Union européenne, dans un communiqué, a toutefois déploré «le manque de transparence des organes de gestion des élections», un processus «opaque» et l’iniquité de la couverture de la campagne par les médias publics, totalement acquis à Ali Bongo.
Querelle de famille
Sur les réseaux sociaux, les deux camps ont rivalisé pour diffuser des «informations» prouvant leurs dires ou pour accuser l’autre de tricheries et de mauvaise foi. Des échanges acrimonieux qui suivent une campagne conduite dans une ambiance délétère, où les coups bas l’ont emporté largement sur les thèmes politiques. Les opposants ont avant tout longuement rappelé l’hérédité d’Ali Bongo, fils d’Omar Bongo, maître omnipotent du Gabon pendant quarante-deux ans. Ali, 57 ans, qui a succédé à son père en 2009 lors d’un scrutin très contesté, n’est jamais parvenu à totalement asseoir son autorité et à faire oublier cette image de «fils de». En dépit de ses promesses de mettre un terme à la corruption, le président n’a pas non plus réussi à éviter que des affaires éclatent, renforçant un peu plus l’impression d’un pays aux mains d’un clan, d’une famille.
Le problème pour Jean Ping, 73 ans, est que lui-même est à la peine pour incarner le «changement», la «seconde indépendance» et la «probité» qu’il appelle de ses vœux. Cette famille, il en fut un membre et même un pilier. Longtemps, Jean Ping était aux yeux de tous et avant tout l’époux de Pascaline Bongo, la propre sœur d’Ali, dont il est aujourd’hui séparé. Et donc le gendre du patriarche Omar Bongo, en plus d’être son directeur de cabinet puis son ministre des Affaires étrangères. Les histoires de corruption qu’il dénonce désormais, il en fut longtemps l’un des principaux suspects, quand Pascaline était la grande argentière du régime.
«On verra comment le peuple réagit aux résultats, mais la colère est évidente contre la classe politique en général car la pauvreté ne recule pas»
Un diplomate européen
Cette querelle de famille pour le contrôle du Palais du bord de mer, le siège de la présidence, les Gabonais semblent s’en lasser. «La campagne électorale qui a été très violente a réveillé un ras-le-bol. On verra comment le peuple réagit aux résultats, mais la colère est évidente contre la classe politique en général car la pauvreté ne recule pas», souligne un diplomate européen. Le Gabon ne va pas bien. En dépit d’une population faible, 1,8 million d’habitants, et d’un statut de quatrième exportateur de pétrole d’Afrique, le quotidien du pays est difficile. La crise économique s’est aggravée ces dernières années, dans ce pays ultra-dépendent de ses exportations de brut, avec l’effondrement des cours du pétrole, la baisse de plus en plus évidente des réserves, qui ont peu à peu grignoté le budget de l’État. Ali Bongo peu certes se prévaloir d’un bilan loin d’être honteux, de louables efforts pour diversifier l’économie et assainir le commerce du bois, l’autre richesse gabonaise. Mais les effets ne se font pas sentir pour le «petit peuple», qui continue à devoir vivre d’expédients et subit la hausse des prix.
Signe d’une certaine nervosité du pouvoir, les forces de l’ordre, bardées d’équipements anti-émeutes, ont été déployées dès samedi dans Libreville, la capitale, et à Port-Gentil, la très frondeuse seconde ville du pays. En 2009, des rixes avaient éclaté, émaillées de pillages, après l’annonce de la première victoire d’Ali Bongo. Le bilan ne fut jamais connu précisément mais on évoque une dizaine de morts. Mardi, alors que l’histoire politique semble se répéter, les regards se sont tournés, inquiets vers les hauteurs de Libreville, vers les quartiers populaires qui ne croient plus à l’avenir radieux que l’on promet sans cesse.