En 2009, Nicolas Sarkozy avait soutenu, sans ciller, l’accession au pouvoir d’Ali Bongo Ondimba, lors d’une élection déjà fortement contestée et émaillée de violences. Sept ans plus tard, François Hollande montre bien plus de réserves après la proclamation de la victoire du fils et héritier d’Omar Bongo.
Dans un communiqué publié jeudi 1er septembre, au lendemain de l’annonce des résultats de l’élection présidentielle gabonaise et des violences qui ont suivi, l’Elysée, après avoir fait part de « sa profonde inquiétude », a appelé « toutes les parties à la retenue et à l’apaisement, ce qui suppose un processus garantissant la transparence sur les résultats du scrutin ». Une formule qui évoque en creux le scepticisme de Paris quant à la victoire dans les urnes du président sortant.
« Ping a gagné, mais tout le monde a triché »
Quelques heures plus tôt, abondant dans le sens de l’opposant Jean Ping, arrivé officiellement en seconde position avec 5 594 voix d’écart, Jean-Marc Ayrault avait demandé dans la foulée de l’Union européenne que « les résultats des élections soient donnés bureau par bureau ». Le chef de la diplomatie française reconnaissait qu’un « doute » s’était installé.
Sous couvert d’anonymat, plusieurs sources officielles françaises ne s’embarrassent pas de ces précautions. « C’est évidemment Ping qui a gagné, même si tout le monde a triché », affirme l’une d’elles. « La province du Haut-Ogooué [le fief de la famille Bongo où le président sortant aurait remporté 95,46 % des suffrages avec une participation de 99,93 %] a évidemment servi à combler le retard d’Ali Bongo Ondimba accumulé dans les autres provinces », ajoute une deuxième source qui dit espérer « un vrai réexamen des choses, et que la Cour constitutionnelle [où doivent être déposés les recours] ne serve pas de chambre d’enregistrement. »
Face à ces injonctions occidentales, Arnauld Engandji, l’un des porte-parole du chef de l’Etat gabonais, rétorque qu’« il faut respecter la souveraineté du Gabon. Nous avons aussi des suspicions sur trois provinces. A Bitam, Jean Ping a fait 104 %. Les résultats des bureaux vont être publiés mais si l’on fait un recomptage national, on n’est pas sortis de l’auberge. »
Paris aurait-il lâché Bongo ?
La réaction rapide et le ton du pouvoir français tranchent avec les silences constatés lors des récentes élections au Congo-Brazzaville et au Tchad, deux autres vieux alliés en Afrique centrale, où les présidents sortants ont été réélus dans la plus grande opacité. Mais signifient-ils pour autant que Paris a lâché Ali Bongo Ondimba ? Trois événements survenus ces derniers mois pourraient le laisser croire, vu de Libreville.
En août 2015, le tout-puissant et très controversé directeur de cabinet du chef de l’Etat, Maixent Accrombessi, avait été brièvement interpellé à Roissy dans le cadre d’une enquête pour « corruption d’agent public étranger », suscitant la colère du Palais du bord de mer. En janvier, une nouvelle crise avait éclaté après que Manuel Valls eut déclaré sur le plateau de l’émission « On n’est pas couché » que si le fils d’Omar Bongo avait été élu en 2009, ce n’était pas « comme on l’entend ».
Enfin, dimanche 28 août, au lendemain du vote, le Parti socialiste a publié un communiqué laissant entendre qu’il avait pris fait et cause pour le principal candidat de l’opposition, considérant que « les premières estimations indiquent que le président sortant Ali Bongo serait battu au profit de Jean Ping (…). Une alternance serait signe de bonne santé démocratique ».
Alors que les vieux réseaux de la Françafrique tentent toujours de jouer, à Paris, les faiseurs de roi à Libreville, pour un candidat comme pour l’autre, que la droite française reste prudente étant donné sa proximité historique avec la famille Bongo, plusieurs sources au sein de l’appareil d’Etat français démentent que Paris a fait un choix parmi deux candidats issus du même sérail.
« Les 450 soldats ont été consignés dans leur base [à Libreville] », indique-t-on au ministère de la défense pour souligner que l’ex-puissance coloniale ne s’impliquera pas dans la crise post-électorale naissante. En 1990, sous couvert d’une opération de protection de ses ressortissants – ils sont aujourd’hui plus de 10 000 –, les militaires français avaient remis en selle Omar Bongo en proie à la colère de la rue.
« Les Gabonais pensent que tout se décide encore à Paris, mais tout ça est un peu fini, estime un diplomate bon connaisseur des arcanes franco-gabonaises. La seule question qui se pose est : qui va gagner le rapport de force ? Ping avec la rue ou Bongo avec la Garde républicaine ? »
Cyril Bensimon