Après une journée de vote sans encombre, l’annonce des résultats de l’élection présidentielle gabonaise a enflammé le pays. Que s’est-il passé exactement ? Pourquoi une telle escalade ?
Six jours après une nouvelle élection présidentielle contestée, la situation au Gabon est toujours explosive : capitale quadrillée par les forces de l’ordre, émeutes, affrontements mortels et arrestations par centaines font vivre au pays une crise politique majeure. Mais que se passe-t-il exactement ? Retour sur une semaine décisive.
Samedi 27 août : l’élection
Le jour du scrutin se déroule sans encombre dans la quasi-totalité des bureaux de votes du pays. Plusieurs dizaines d’observateurs de l’Union Européenne et de l’Union Africaine sont présents sur place pour constater la bonne tenue du vote.
Cependant, des accusations de triche émergent au cours de la journée : en plus des soupçons sur des « rachats de vote », des »incohérences » sur les listes électorales auraient été constatées, certaines communes comptant plus d’électeurs que d’habitants.
Dans la nuit, à la clôture des bureaux de vote, et alors qu’il faut attendre 72 heures pour connaitre les résultats officiels, les candidats s’adonnent à une bataille d’annonces contradictoires, chacun revendiquant la victoire.
Dimanche 28 août : l’attente
Aucun incident majeur n’a été signalé dans la nuit de dimanche à lundi, mais, échaudés par les précédentes émeutes post-élections de 2009, les Gabonais restent pour la plupart cloîtrés chez eux le dimanche. Messes annulées, rues désertes, magasins fermés… la capitale Libreville tourne au ralenti, dans l’attente des résultats du scrutin.
Dans la journée, Jean Ping se proclame une nouvelle fois vainqueur, avant l’annonce des résultats officiels, tandis qu’Ali Bongo dit « attendre sereinement » les résultats, prévus mardi à 17 heures.
Lundi 29 août : les premières mises en cause
Alors que l’activité économique et sociale reprend peu à peu dans le pays, toujours dans l’attente, les observateurs de l’Union Européenne rendent leur rapport sur le scrutin : selon eux, l’élection a « manqué de transparence », notamment d’informations sur les listes électorales et les centres de votes et il y a eu des défaillances dans l’authentification des bulletins de vote et la vérification des identités des électeurs. Les observateurs ont déplorent aussi l’avantage accordé par les médias au président sortant, par rapport à son principal rival.
Mardi 30 août : les résultats retardés
Le pays doit connaître les résultats du scrutin en fin de journée, mais les autorités annoncent qu’ils seront retardés. La commission électorale qui devait se réunir pour valider l’élection (Le Cenap) a pris du retard.
De son côté, Jean Ping revendique toujours la victoire, mais appelle ses partisans à rester mobilisés sans manifester. La plupart des Gabonais restent calfeutrés chez eux et les magasins ferment en avance, par crainte d’une éventuelle émeute.
Mercredi 31 août : les accusations de fraude
Le Cenap annonce que le vainqueur devrait être connu dans la journée. Mais un problème de taille demeure : les résultats sont très serrés et certains procès verbaux manquent, notamment ceux qui témoignaient de la tenue du vote dans la province d’origine du président, fief du clan Bongo.
Les débats butent, l’opposition soupçonne le pouvoir de vouloir gonfler les chiffres pro-Bongo dans cette province. Car les résultats sont troublants : alors que la participation à l’élection n’excède pas les 60% dans le pays, dans cette province, elleserait de 99,93%. Parmi ces électeurs zélés, plus de 95% auraient voté pour Ali Bongo. Un chiffre considérable qui peut faire basculer l’élection en faveur du président sortant.
Sous couvert d’anonymat, un délégué de la majorité au pouvoir ne cache pas son scepticisme :
« ces résultats vont être difficiles à faire croire (au peuple, ndlr). On n’a jamais vu des scores pareils, même du temps du père. »
L’opposition réclame des résultats plus précis, bureau de vote par bureau de vote. Demande rejetée. Puis, les observateurs de l’UE sont invités à quitter la salle pour laisser place à un débat à huis-clos.
Dans la soirée, les résultats sont finalement annoncés, alors que l’opposition s’est abstenue de voter leur validation : Ali Bongo est donné vainqueur à une courte majorité (49,8%) devant Jean Ping (48,23%). Seules 5 594 voix séparent les deux candidats.
Immédiatement, les partisans de l’opposition crient à la fraude et descendent dans la rue. L’Assemblée nationale est incendiée et de violents affrontements éclatent entre manifestants et forces de l’ordre éclatent à Libreville et Port-Gentil. Ils feront au moins trois morts et plusieurs blessés.
Parallèlement, Ali Bongo, réélu, se félicite de la tenue d’élections « exemplaires, dans la paix et la transparence. »
Jeudi 1er septembre : émeutes et pressions internationales
Dans la nuit de mercredi à jeudi, le QG de Jean Ping est pris d’assaut par les forces de sécurité. Selon l’AFP, entre 500 et 600 personnes présentes sur les lieux sont arrêtées et emmenées dans des camions. Le QG est fouillé de fond en comble et 27 personnes, pour la plupart leaders d’opposition, sont retenus à l’intérieur du bâtiment. Parmi elles, l’ancien vice-président de la République et deux anciens ministres.
Selon les autorités, cet assaut visait « des criminels » et non des « manifestants politiques ».
Les réactions internationales sont unanimes : l’ONU, l’UE, Washington et Paris appellent au calme et réclament latransparence du scrutin bureau de vote par bureau de vote.
Ali Bongo leur répond directement lors d’un discours :
« Les pressions internationales doivent tenir compte de la loi gabonaises : ce ne sont pas elles qui vont la changer ».
Vendredi 2 septembre : tensions persistantes
Deux personnes ont été tuées par balle à Libreville dans la nuit, ce qui porte à cinq le nombre de victimes depuis le début des émeutes, qui se sont depuis étendues aux villes de province.
Au QG de Jean Ping, les 27 opposants sont toujours retenus en plein air, après avoir passé une nuit dans les décombres à même le sol. Ils réclament une intervention internationale pour leur venir en aide.
Les pillages de magasins continuent dans les villages et quartiers périphériques de la capitale. Les stations services sont fermés, les transports paralysés et la pénurie de pain et de produits frais menace le pays.
Ali Bongo est reclu dans son palais présidentielle, gardé par des militaires armés et des véhicules blindés, tandis que Jean Ping est réfugié dans un lieu tenu secret.
Les Etats-Unis, la France et l’Union européenne ont demandé la publication des résultats de l’élection à un tour bureau par bureau, mais le pouvoir gabonais refuse catégoriquement, invoquant la loi électorale du pays, qui ne prévoit pas cette procédure.
Marine Ditta avec AFP