Les deux challengers arrivés en tête du scrutin du 27 août continuent d’occuper le terrain : l’un en accentuant la pression sur la Cour, l’autre pour ramener définitivement le calme dans le pays.
PAR LE POINT AFRIQUE (AVEC AFP)
De fortes présomptions de fraude pèsent sur l’élection présidentielle qui s’est déroulée le 27 août au Gabon alors que la Cour constitutionnelle commence son travail d’arbitrage. D’un côté, l’opposant Jean Ping prévient vendredi que le Gabon connaîtrait « une instabilité durable et profonde » si la Cour constitutionnelle, qu’il vient de saisir, ne lui donnait pas raison dans son contentieux électoral avec Ali Bongo. « Oui, je crains fort qu’un nouveau faux pas de la Cour constitutionnelle soit le facteur d’une instabilité profonde et durable du Gabon », a déclaré Jean Ping devant des centaines de ses partisans dans la cour de son quartier général de campagne à Libreville. De l’autre côté, Ali Bongo a déclaré vendredi en fin de journée qu’il n’avait « pas exercé ni déclenché la violence » postélectorale dans son pays, mettant en cause son rival Jean Ping, dans un entretien à l’AFP.
Jean Ping joue la carte de la légalité
« Il ne fait aucun doute qu’en cas de non-respect de la réalité du vote des Gabonais par la Cour constitutionnelle le peuple, qui n’aurait dans ce cas plus rien à perdre (…), prendra son destin en main », a estimé M. Ping, qui s’est de nouveau présenté comme le « président élu », qualifiant son rival de « président sorti ». Ping a saisi in extremis vendredi soir la plus haute juridiction du pays pour contester le résultat officiel provisoire de l’élection présidentielle à un tour du 27 août. Ces résultats proclamés donnent la victoire à Ali Bongo d’une faible avance d’environ 5 000 électeurs, sur quelque 628 000 inscrits. L’opposant demande un nouveau comptage des voix, bureau de vote par bureau de vote, dans la province du Haut-Ogooué. Dans ce fief de l’ethnie téké des Bongo, le président sortant a assuré sa victoire à l’échelle du pays grâce à 95 % des voix pour une participation de 99,93 %. Les avocats de M. Ping demandent une confrontation des procès-verbaux en présence d’experts internationaux. La Cour dispose de quinze jours pour donner son verdict. M. Ping a reconnu qu’il avait saisi avec des « appréhensions légitimes » la Cour constitutionnelle, « que les Gabonais appellent désormais la tour de Pise parce qu’elle penche toujours du côté du pouvoir », a-t-il dit.
Et de la légitimité
« 2009 n’est pas 2016 », a-t-il déclaré à deux reprises sous les vivats de ses partisans. En 2009, Ali Bongo avait été proclamé vainqueur par la Cour constitutionnelle après le rejet d’un recours. Petit pays d’Afrique centrale d’à peine 2 millions d’habitants, le Gabon est riche de ses forêts, de ses mines et de son pétrole. Malgré de précédentes crises postélectorales, ce pays francophone est peu habitué à la violence. Les émeutes qui ont suivi l’annonce, la semaine dernière, de la réélection d’Ali Bongo ont fait trois morts, a répété jeudi le ministre gabonais de l’Intérieur, Pacôme Moubelet-Boubeya, indiquant par ailleurs qu’un policier déclaré mort était en fait toujours vivant. Ce bilan est contesté par l’opposition, à commencer par M. Ping, qui évoque plusieurs dizaines de morts. Des familles étaient toujours à la recherche vendredi d’un proche introuvable depuis ces violences postélectorales.
Ali Bongo ou la stratégie du fait accompli
Le président gabonais Ali Bongo Ondimba a déclaré vendredi en fin de journée qu’il n’avait « pas exercé ni déclenché la violence » postélectorale dans son pays, mettant en cause son rival Jean Ping, dans un entretien à l’AFP. « Je n’ai pas exercé ni déclenché la violence », a déclaré le président sortant, affirmant que les émeutes meurtrières et les pillages massifs étaient dus à « un climat » que l’opposant Jean Ping « a créé lui-même » après une « campagne violente, de mensonges, de dénigrement ». Pour le président Bongo, c’est un « climat qu’il a créé lui-même par rapport à la campagne qui a été la sienne. Une campagne violente, une campagne de mensonges, de dénigrement, qui n’a pas fait honneur au pays ». « Donc je ne m’inscris pas dans ce registre du tout.. Reconnaissant qu’aucun dialogue direct n’a pas été entamé avec Jean Ping, le président a affirmé : « Ce n’est pas de ma faute. Moi, je n’ai jamais refusé de discuter. »
Vers une reprise en main ?
« J’ai voulu des élections démocratiques, j’ai voulu des élections transparentes, j’ai voulu un scrutin qui soit juste, je ne suis pas entré en fraudes », a-t-il ajouté sans autre précision. Toutefois, a-t-il concédé, « les résultats tels qu’ils ont été annoncés m’interpellent dans le sens où il y a un certain nombre de compatriotes, un grand nombre de compatriotes, qui n’ont pas voté pour moi, donc je dois tenir compte de ce fait-là et je vais gouverner en conséquence. » À propos du recours déposé par Jean Ping devant la Cour constitutionnelle sur la province du Haut-Ogooué, fief de la famille Bongo, où le président sortant a obtenu plus de 95 % des voix, il s’est dit « confiant », assurant que cela « permettrait de faire la lumière sur toutes les opérations électorales et sur la fraude massive que M. Ping a organisée » dans plusieurs provinces. Interrogé sur l’éventuelle arrivée de renforts militaires français à Libreville, où la France dispose d’une base militaire, le chef de l’État a répondu : « Nous sommes en mesure de rétablir l’ordre dans notre pays et de maintenir la paix, nous sommes en mesure de le faire. »