Pour attirer les investisseurs dont il a besoin pour diversifier son économie, le Gabon doit absolument solutionner au plus vite sa crise politique actuelle.
« L’incertitude politique n’est guère appréciée par les investisseurs, et joue négativement sur leur confiance », dit Stéphane Colliac, économiste Afrique chez Euler Hermes à la suite de l’étude que ce cabinet, leader mondial des solutions d’assurance-crédit, vient de publier. « Sans ces investisseurs, il sera difficile pour le Gabon de financer la diversification de son économie », poursuit-il avant de constater que « les Investissements directs étrangers (IDE) ont déjà diminué de 38 % en 2015 à 623 M de dollars ».
La crise actuelle, une menace pour l’économie
Autant dire que, plus que jamais, si la crise actuelle, née des contestations en rapport avec le scrutin présidentiel du 27 août 2016, durait, elle serait à terme une hypothèque sur la situation économique gabonaise. Celle-ci, sans être exceptionnellement positive, a illustré une meilleure résistance aux conséquences de la baisse des prix du pétrole.
« L’économie gabonaise s’est montrée plus résiliente en 2016 que les autres économies africaines dépendantes du pétrole, comme le Nigeria ou la Guinée équatoriale », dit le cabinet Euler Hermes. Pour le leader mondial de l’assurance-crédit, le Gabon devrait enregistrer une croissance de 4 % en 2016, soit un peu moins que les 4,5 % de 2015… à condition que l’État maintienne ou améliore l’effort budgétaire qu’il a déjà consenti alors que le contexte de baisse des prix du pétrole limite ses moyens.
L’enjeu est de taille car le Gabon doit se donner les moyens de réussir sa diversification avec de nouveaux investissements. Il est donc impératif de contenir tout ce qui peut contribuer à alimenter les faisceaux convergents qui creusent les handicaps économiques, à savoir le déficit des finances publiques, la baisse importante des réserves de changes, le poids accru de la dette et la fuite des capitaux.
Un contexte de rareté financière et de déficit…
En effet, selon le cabinet Euler Hermes, jusque-là, afin de soutenir la croissance, l’État augmentait les dépenses publiques en puisant largement à la source des recettes pétrolières. Problème : sa marge de manœuvre s’est sensiblement réduite et, sur plusieurs postes, le Gabon est passé d’une situation excédentaire à une situation déficitaire.
Il en est ainsi des finances publiques qui étaient en positif pour un niveau de 2,3 % du PIB en 2014 et qui accusent en 2016 un déficit de l’ordre de 5 % du PIB. « Il en va de même pour la balance courante, dont l’excédent représentait + 11,6 % du PIB en 2013, et dont le déficit sera élevé en 2016 (- 7,2 %) », précise Euler Hermes qui pose après « la question de la soutenabilité de la dette publique ». « La dette publique gabonaise, qui ne dépassait pas les 30 % du PIB en 2013, s’élève en 2015 à 43,9 % et devrait se rapprocher en 2016 des 50 % », estime Stéphane Colliac.
Plus que jamais, la diversification semble primordiale pour le Gabon. Mais encore une fois, avec des finances publiques et des réserves de changes handicapées par la faiblesse durable du prix du pétrole, le pays est contraint de décaler son agenda d’investissements et ce « même si être membre de la Communauté économique et monétaire des États d’Afrique centrale (CEMAC) protège le Gabon d’une dépréciation de sa devise et des pressions inflationnistes ».
Le pétrole, une chance et une hypothèque
L’or noir est incontestablement un atout pour l’économie gabonaise en ce qu’il lui a permis d’engranger d’importantes recettes, mais il reste une hypothèque, car il est à la fois la ressource qui donne les moyens à l’État de financer sa diversification tout en l’en empêchant de par son poids même dans les recettes de l’État, notamment en période de baisse des cours.
Comme l’indique le cabinet Euler Hermes, « sous l’impulsion du secteur public, la dépendance du Gabon à l’or noir s’est amoindrie et le poids du secteur pétrolier dans le PIB a été divisé par deux entre 2010 et 2015 », mais « la chute du cours du baril » a d’autant plus affecté le Gabon que « le pétrole représente toujours 50 % des recettes publiques, mais surtout 80 % des revenus du pays à l’exportation ».
Résultat : le déficit extérieur se creuse et les réserves de devises étrangères sont lourdement impactées. « Alors qu’elles couvraient 9 mois d’exportations en juin 2015, les réserves de change ne couvraient plus que 6 mois d’importations un an plus tard. Et avec des réserves de change qui resteront sous pression, des tensions sur la liquidité pourraient apparaître dans les semaines ou les mois qui viennent », confirme Stéphane Colliac.
Quid de demain ?
Pris en étau entre les tensions politiques d’un côté et les incertitudes et pressions économiques de l’autre, le Gabon a de quoi voir ses relations avec ses principaux partenaires impactées. Selon le document portant sur « les relations commerciales bilatérales France-Gabon 2015 » établi par le Trésor français, les principaux partenaires commerciaux du Gabon (import-export), sur les 6 premiers mois de 2015, étaient la Chine (281,8 milliards FCFA) suivie des États-Unis et de la France. En termes de parts de marché, la France était le premier fournisseur mais ses positions étaient attaquées et ce d’autant que « la concurrence d’un certain nombre de pays (Chine, Maroc, Turquie, Corée du Sud, Brésil, Singapour…) sur le marché gabonais a traduit d’importantes modifications en termes d’approvisionnement ».
Alors que nombre d’observateurs scrutent les relations franco-gabonaises, qu’en sera-t-il, si les troubles continuent, pour les entreprises françaises qui envoient au Gabon 7 % de leurs exportations, faisant de ce pays leur 8e marché. « Les débouchés de la France vers le Gabon » pourraient être « impactés par un repli significatif de l’investissement, probable à un moment où à un autre, puisque le secteur le plus porteur correspond aux biens d’équipement (36 % des exportations) », dit Stéphane Colliac, d’Euler Hermes. De quoi rappeler que quelque 120 filiales françaises sont établies au Gabon et que les investissements de l’Hexagone représentaient un stock de plus de 1 milliard d’euros fin 2014 (source : Banque de France), étant entendu que ces chiffres ne tiennent pas compte des flux importants en provenance des compagnies pétrolières ou de certaines des entreprises françaises sur place comme Comilog, Eramet et SEEG.
PAR MALICK DIAWARA
Publié le 11/09/2016 à 23:54 – Modifié le 12/09/2016 à 07:06 | Le Point Afrique