A l’annonce, mercredi 31 août, des résultats de l’élection présidentielle au Gabon, la ficelle était vraiment grosse : Ali Bongo Ondimba l’emportait avec quelque 6 000 voix d’avance, essentiellement acquise dans son fief du Haut-Ogooué, où le taux de participation a atteint un improbable 99,83 % et les votes en sa faveur, un tout aussi improbable de 95,46 %.
L’Afrique a l’habitude des mascarades électorales. Il y en a eu en 2015 et 2016 au Togo, en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Niger, au Congo-Brazzaville, au Tchad… mais rarement la fraude fut aussi grossière. Il est vrai qu’au Togo, en février 2015, ce sont les travaux de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui ont été interrompus par une proclamation soudaine des résultats, mais l’honneur était sauf puisque les chiffres semblaient crédibles pour une communauté internationale crédule. Au Gabon, le pouvoir semble avoir été pris de court et n’a pas maquillé la fraude comme d’autres savent si bien le faire. Du coup, l’adversaire malheureux, Jean Ping, demande un recomptage dans le Haut-Ogooué. Ironie du sort, ce dernier refusa d’envisager un recomptage en Côte d’Ivoire en 2010 quand il était président de la Commission de l’Union africaine (UA).
Nouvelle jurisprudence
La France et l’Union européenne (UE) demandent une publication des résultats par bureaux de vote. Alors que les missions d’observation électorale de l’UE ne cessent de regretter l’absence de publication des résultats par bureaux de vote (notamment en Côte d’ivoire en 2010, Togo en 2010, Guinée 2015), la France n’avait jamais rien exigé en la matière, se contentant des résultats agrégés.
Les résultats d’Ali Bongo dans le Haut-Ogooué sont évidemment peu crédibles, mais pas davantage que ceux d’Alassane Ouattara dans la région de Kabadougou en 2015 (99,23 % des voix) ou de Worodougou (99,26 %). En Côte d’Ivoire, huit régions au final avaient affiché des scores à plus de 97 % des voix en faveur du président sortant avec des taux de participation, il est vrai, « crédibles » situés entre 80 % et 90 % quand la moyenne nationale se situait à 52 %…
De la même façon, les résultats dans le Haut-Ogooué ne sont pas moins crédibles que ceux d’Alpha Condé dans la région de Kankan en 2015, son fief électoral, où le chef de l’Etat sortant avait obtenu 95 % des voix dans cette région qui a connu la plus forte progression des inscrits sur les listes électorales (+ 26,6 %) lui offrant ainsi 804 000 voix et une victoire dès le premier tour face à son principal opposant Celou Dalein Diallo.
Argent contre liberté des peuples
Bref, faisons table rase du passé et considérons la nouvelle jurisprudence en matière électorale c’est-à-dire une exigence générale de transparence et la publication des résultats par bureau de vote. Il est utile de préciser que cette jurisprudence ne s’applique pas à la Chine, l’Arabie saoudite, le Qatar et consorts, car l’argent est une norme supérieure à la liberté des peuples. On peut d’ailleurs se demander si la disgrâce d’Ali Bongo ne serait pas due en partie à des largesses moindres à l’endroit des politiques français habitués à être généreusement choyés par son auguste père, Omar.
La classe politique française reste bien silencieuse à propos de ces satrapes africains. En revanche, ses membres sont nombreux à être aperçus dans les halls des palaces parisiens où descendent lesdits satrapes… Mais revenons à la nouvelle jurisprudence ! En déclarant ce qu’a déclaré la France, elle a explicitement reconnu le caractère non transparent du scrutin. Comme il est probable que la Cour constitutionnelle gabonaise validera la victoire d’Ali Bongo, sur quoi se fonderont la France et l’Union européenne pour, au final, se faire une opinion sur la gestion du contentieux électoral ?
La mission d’observation européenne ne publiera son rapport qu’au terme du processus électoral et son mandat ne l’autorise pas à intervenir. La France et l’UE vont-elles déjuger la Cour constitutionnelle si la victoire d’Ali Bongo est validée alors qu’elles n’ont aucun mandat pour le faire ? Il y a bien sûr l’option des sanctions individuelles contre le président réélu et son clan (gel des avoirs et interdiction de voyager), mais sur quels éléments objectifs les motiver ? Le caractère peu crédible des résultats électoraux ? Dans ce cas, il faudra placer sous sanctions individuelles de nombreux chefs d’Etat africains ! On comprendra que les exigences de cohérence et de légalité laissent une faible marge de manœuvre.
Le philosophe camerounais Achille Mbembe disait dans un entretien à Courrier International en 2008 : « Si les Africains veulent la démocratie, c’est à eux d’en payer le prix. Personne ne le paiera à leur place. Ils ne l’obtiendront pas non plus à crédit. » C’est ce que nous enseigne l’exemple burkinabé d’octobre 2014. Le salut ne viendra pas de l’extérieur, mais de la volonté du peuple de prendre en main son destin.
Laurent Bigot est un ancien diplomate français devenu consultant indépendant.
Chroniqueur Le Monde Afrique