Depuis l’annonce contestée de la victoire d’Ali Bongo Ondimba à la présidentielle du 27 août et les violents heurts post-électoraux, l’accès à internet reste très perturbé au Gabon. Si la connexion est rétablie à certaines heures de la journée, les réseaux sociaux semblaient quant à eux toujours inaccessibles mercredi 14 septembre.
Un blocage que n’a pas commenté et expliqué le gouvernement, silencieux sur le sujet. Seuls certains membres de l’entourage du président, sous couvert d’anonymat, ont justifié cette coupure, évoquant une mesure destinée à contrer « la propagation de rumeurs et l’organisation des pilleurs sur ces réseaux ».
En attendant un retour à la normale, comment les Gabonais, d’ordinaire très connectés, font-ils face ? Alors que certains s’organisent pour contourner la censure, d’autres font part de leur exaspération d’être coupés du monde la nuit tombée. Témoignage de trois jeunes Librevilllois, entre débrouille et black-out.
Césaire, étudiant à Libreville, 27 ans
« Peu avant la proclamation des résultats, des rumeurs affirmaient qu’internet allait être coupé, comme ce fut le cas au Congo-Brazzaville au moment de la présidentielle. Un ami informaticien m’a conseillé une série d’applications à installer sur mon téléphone portable pour déjouer la censure, au cas où, en utilisant des VPN [Réseau Privé Virtuel, qui permet de se connecter en protégeant son anonymat. En d’autres termes, les internautes s’expatrient virtuellement et contournent ainsi la censure en masquant leur localisation, NDLR].
Le jour où la coupure que l’on craignait est arrivée, j’ai lancé les applications installées. Mais comme internet était entièrement bloqué, ça ne fonctionnait pas. Nous avons passé près d’une semaine sans pouvoir y accéder.
Quand le gouvernement a appelé les Gabonais à retourner au travail, le lundi 5 septembre, internet est partiellement revenu en journée. Sauf Facebook, WhatsApp, Viber et d’autres réseaux, qui restaient inaccessibles. Mon ami informaticien m’a conseillé d’installer l’application mobile Cloud VPN, et au bout de quelques minutes, j’avais accès aux réseaux sociaux. L’astuce s’est ensuite rapidement répandue à Libreville…
Mais nous n’y avons accès qu’en journée : en ce moment, internet n’est disponible qu’à partir du petit matin, jusqu’à 18h. Le soir, toute connexion est impossible, même par VPN.
Pour les jeunes Gabonais, c’est vraiment pénible de vivre sans internet. Ont-ils oublié que nous vivons au XXIe siècle ? Nous avons l’habitude de communiquer par WhatsApp ou Facebook, surtout le soir en rentrant du travail ou de l’université. Nous sommes obligés de subir. »
Jeff Boundamas, entrepreneur dans les nouvelles technologies à Libreville, 29 ans
« La coupure d’internet à 18h est embarrassante, il faut bien l’avouer. Internet est mon outil de travail, c’est donc un énorme handicap. Même en utilisant un VPN pour accéder aux réseaux sociaux bloqués, ce n’est pas optimal.
La très grande majorité de nos clients utilisent les réseaux sociaux, nous ne pouvons donc pas leur fournir un service adéquat. Le chiffre d’affaires de notre entreprise va sûrement en pâtir. Et si le blocage continue, nous pourrions être amenés à mettre des gens au chômage technique.
D’autant que les factures internet, elles, ne risquent pas d’arriver tronquées. Chaque mois, je paie 39 000 Francs CFA [59,46 euros] pour avoir un accès. La facture est doublée, puisque je paie aussi un abonnement pour ma ligne professionnelle.
J’ai adhéré au Parti démocratique gabonais [PDG, au pouvoir], mais je ne comprends pas cette mesure. Couper internet est une erreur, la censure n’a jamais été la solution, et elle aboutit à l’effet inverse : quand les gens parviennent à se connecter aux réseaux sociaux à l’aide de VPN, ils parlent. Cette mesure encourage les rumeurs et les amplifie. »
Marie*, étudiante à Libreville, 23 ans
« Je n’ai pas accès à internet sur mon téléphone depuis le lendemain de la proclamation des résultats. J’ai pu me connecter lundi quelques minutes, mais la connexion était très lente. Ces coupures nous pénalisent : il faut par exemple se déplacer pour envoyer ou recevoir un document. Même les virements Western Union sont compliqués.
Ce qui me pèse le plus au quotidien, c’est de devoir attendre le soir pour m’informer par la télévision et les chaînes internationales. Je n’ai plus accès aux informations sur mon téléphone. Pour moi qui suis habituée à être connectée, c’est assez difficile.
Il y a, cela dit, un côté positif. Avant qu’internet ne soit coupé, je recevais des SMS et des messages WhatsApp contenant des listes de personnes ayant soutenu Ali Bongo, appelés « les traîtres de la République ». Certains personnes ont pu se sentir menacées. Le seul côté positif, c’est peut-être d’avoir empêché certains actes de violences. »
* Césaire n’a pas souhaité donner son nom de famille. Dans le cas de Marie, le prénom a été modifié.
Claire Rainfroy