Marie-Madeleine Mborantsuo, présidente de la Cour constitutionnelle gabonaise, est au centre de toutes les attentions. D’ici le 23 septembre, cette magistrate de 61 ans devra en effet rendre le verdict de la Cour concernant les résultats controversés de l’élection présidentielle du 27 août, donnant selon les chiffres officiels la victoire à Ali Bongo Ondimba face à son rival Jean Ping.
Confirmera-t-elle ces résultats provisoires, ou bien tranchera-t-elle en faveur d’un recompte des voix dans sa région natale, le Haut-Ogooué, comme le demandent à la fois l’opposition et une grande partie de la communauté internationale ?
Alors que l’opposition accuse l’instance de partialité, Jeune Afrique s’est penché sur la genèse de la plus haute juridiction du pays, les décisions déjà prises par elle, mais aussi sur le parcours de sa puissante et indétrônable présidente, Marie-Madeleine Mborantsuo.
D’où vient la Cour constitutionnelle et qui la compose ?
La plus haute juridiction du pays est née de l’esprit de la conférence nationale gabonaise, en 1990, dans la foulée de l’instauration du multipartisme. Selon la Constitution de 1991, le président de la Cour devait être élu par ses pairs. Depuis, la règle a changé : la Constitution prévoit désormais qu’il soit « nommé », une désignation qui revient dans la pratique au chef de l’État. Car depuis plus de 20 ans, le fauteuil est occupé par Marie-Madeleine Mborantsuo, nommée par Omar Bongo Ondimba.
Huit autres membres, appelés « conseillers », composent l’instance. Parmi eux, cinq hommes et trois femmes : Hervé Moutsinga, Louise Angue, Christian Baptiste Quentin, Claudine Menvoula Menze, François de Paul Adiwa-Antony, Christian Bignoumba Fernandes, Jacques Lebama, et Afriquita Dolorès Agondjo.
Sur ces neuf membres, trois sont nommés, comme la présidente, par le Palais du bord de mer, trois par le président du Sénat et trois autres l’ont été par l’ancien président de l’Assemblée nationale, Guy Nzouba-Ndama, passé dans le camp de l’opposition fin mars.
Ce mode de désignation alimente les suspicions de l’opposition, dont les cadres dénoncent la mainmise du Parti démocratique gabonais [PDG, au pouvoir] sur la Cour. Des critiques qui expliquent d’ailleurs le surnom de l’instance, à savoir « la Tour de Pise », en raison de sa propension à pencher du côté du pouvoir, selon les adversaires d’Ali Bongo.
Qui est Marie-Madeleine Mborantsuo ?
Ces critiques n’épargnent pas la présidente de la Cour, Marie-Madeleine Mborantsuo, soumise à une pression croissante à mesure que la date butoir approche. D’ici le 23 septembre, c’est en effet à cette magistrate de 61 ans qu’il reviendra de valider ou non les résultats de l’élection présidentielle du 27 août.
Une femme bardée de diplômes et de décorations étrangères, dont le parcours démontre à nouveau qu’au Gabon, les affaires de famille s’entremêlent souvent avec la politique. « C’est Dallas », avait ainsi résumé l’ambassadeur américain, évoquant les liens familiaux unissant Ali Bongo à son ancien beau-frère, Jean Ping, rapportait RFI.
Car Marie-Madeleine Mborantsuo, surnommée « 3M », est aussi connue à Libreville pour avoir été l’une des maîtresses d’Omar Bongo, qu’il avait lui-même nommée à la tête de l’Institution en 1998. Deux enfants sont nés de leur relation, ces derniers étant donc également des demi-frères du chef de l’État.
Des liens personnels qui attisent les critiques de l’opposition, mais qui ne permettent pas pour autant de présumer d’une entente cordiale entre Marie-Madeleine Mborantsuo et Ali Bongo. Au contraire, selon des bruits de couloir tenaces relayés par les médias locaux, une certaine mésentente régnerait entre le chef de l’État et la magistrate.
Que sait-on des décisions déjà prises par la Cour ?
Jean Ping a longtemps hésité avant de finalement déposer des recours. Sous la pression de la communauté internationale l’enjoignant d’épuiser les moyens légaux, l’équipe de l’ancien patron de l’Union africaine a finalement déposé des requêtes le 8 septembre, non sans avoir auparavant dénoncé la collusion existant selon elle entre la Cour et le Palais du bord de mer.
L’équipe de Jean Ping en veut pour preuve la dernière élection présidentielle, déjà contestée par l’opposition et entachée de heurts meurtriers. En 2009, Marie-Madeleine Mborantsuo avait en effet validé l’élection d’Ali Bongo, déboutant l’opposition et les dizaines de recours déposés par les partisans des opposants d’alors, les défunts André Mba Obame et Pierre Mamboundou.
« Nous n’avons pas confiance en la Cour constitutionnelle car depuis 1991, elle penche toujours du côté du pouvoir », explique Casimir Oyé Mba, ancien Premier ministre passé à l’opposition, contacté par Jeune Afrique. « Ces élections ont donné un résultat clair en faveur de Monsieur Jean Ping. Nous attendons que la Cour dise la vérité des urnes », poursuit-il, réaffirmant un appel lancé par les leaders de l’opposition jeudi 15 septembre à l’adresse des neuf conseillers de la Cour.
Pour autant, la Cour présidée par Marie-Madeleine Mborantsuo n’a pas toujours validé les projets portés par le palais. À commencer par « le tribunal spécial » voulu pour lutter contre les crimes rituels ou la délinquance financière. « La saisine de la Cour constitutionnelle a entraîné la suspension de l’amendement, qui n’a pas pu être ratifié par le Parlement. La Cour a donc statué de la caducité et n’a pas tranché sur le fond. Ça s’appelle user de moyens dilatoires de façon intentionnelle », décrypte une source proche du dossier.
Reste donc à attendre le verdict de la Cour. De son côté, Jean Ping a prévenu, en cas d’issue négative de ses recours : « Aucune juridiction ne peut être placée au dessus de la décision du peuple souverain et lui imposer un autre choix que le sien. Je me suis engagé à défendre le vote des Gabonais, je tiendrai ma promesse et mes engagements. Je ne reculerai pas ».
Claire Rainfroy