La notice biographique de Séraphin Moundounga s’affiche toujours sur le site du ministère de la justice gabonais. Pour peu de temps encore, sans doute. Le garde des sceaux, démissionnaire depuis le 6 septembre du gouvernement ainsi que du Parti démocratique gabonais (PDG, ex-parti unique au pouvoir) vient de se réfugier en Europe. Il dénonce désormais avec vigueur les manœuvres du président Ali Bongo Ondimba pour, selon lui, se maintenir au pouvoir malgré une présidentielle violemment controversée.
Les ennuis du ministre de la justice ont commencé le 30 août, soit trois jours après le vote pour la présidentielle et à la veille de l’annonce des résultats par la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cénap). Ce jour-là, il a fait entendre sa voix dissonante en appelant le président à la raison et en publiant un appel sur Facebook. Le garde des sceaux appelait alors à la transparence et au respect du résultat des urnes. Une prise de position qui sonnait déjà comme un désaveu du processus électoral.
Le lendemain, la Cenap, puis le ministre de l’intérieur déclaraient Ali Bongo Ondimba vainqueur avec quelque 6 000 voix d’avance sur Jean Ping grâce, au dernier moment, à un comptage des voix suspect dans la province du Haut-Ogooué, fief de la famille Bongo. Libreville, la capitale, et d’autres grandes villes du Gabon, s’étaient alors enflammées.
Vous avez été reçu au quai d’Orsay. Quel rôle la France peut-elle jouer dans le règlement de la crise post-électorale au Gabon ?
Séraphin Moundounga: La France, membre de la communauté internationale, demande, comme l’Union africaine (UA), l’Union européenne (UE), les Etats-Unis, le recomptage des voix, bureau de vote par bureau de vote, procès-verbal par procès-verbal, un recomptage transparent en présence d’observateurs internationaux et de représentants des deux parties en litige. C’est une demande récurrente de la communauté internationale, qui doit donc aller au bout de sa logique.
Si les recours [des deux candidats] devant la Cour constitutionnelle confirment la victoire d’Ali Bongo Ondimba, il sera conforté et il pourra mieux diriger le Gabon.
Si, en revanche, c’est Jean Ping qui est déclaré vainqueur, j’espère qu’Ali Bongo Ondimba aura la sagesse de privilégier le jeu démocratique. C’est ce que je lui ai demandé le 30 août oralement, au téléphone, puis par écrit sur ma page Facebook.
Quelle a été sa réaction lorsque vous lui avez parlé ?
Il continue de croire, et c’est dramatique, qu’un hacker ivoirien a piraté le système de transmission électronique des résultats vers la Cénap. Alors que les résultats ne sont pas transmis de façon électronique mais sur papier ! Il ne peut donc pas y avoir eu d’intervention de hacker. Il sait très bien que les procès-verbaux sont manuels.
Comment expliquez-vous ce chiffre de 99,93 % de participation dans la province du Haut-Ogooué ?
Ali Bongo était prêt à passer en force. Si la population n’était pas d’accord, alors on demandait aux forces de sécurité de mater le peuple. C’est ce qui s’est passé. Il y a eu plusieurs morts, des blessés graves, des biens privés détruits…
Le pays est entre les mains d’amateurs, qui n’ont été capables ni de courir ni de se cacher. Le roi est nu, entouré d’amateurs qui ne lui disent pas la vérité sur sa popularité ou son bilan. Ils lui ont fait croire qu’il l’emporterait aux élections. Aujourd’hui, ils sont incapables de lui dire la vérité. Ils savent qu’Ali Bongo a perdu les élections. il suffirait qu’il redevienne président du PDG, réorganisé dans l’opposition, qu’il lui fasse retrouver ses valeurs de base, de tolérance. Ou alors qu’il prenne son siège de membre de droit à la Cour constitutionnelle.
Comment sortir de cette crise ?
Ali Bongo ne sait plus comment reculer. Il sait qu’il devra répondre de l’ensemble des tueries dans le pays, des enlèvements et des tentatives d’assassinats de personnalités. Le plus sage serait qu’il se retire tranquillement et qu’il annonce que ce sont plutôt les gens de son entourage – le ministre de la communication, celui de l’intérieur, et le président de la Cénap – qui l’auraient induit en erreur.
Si l’on applique le principe de transparence, on se rendra compte qu’il a fraudé, qu’il a corrompu. On fera le décompte de morts, des blessés, des disparus, qui vont lui être imputés. Il redoute tout cela. La communauté internationale est-elle en mesure de lui assurer qu’on fera table rase de tout cela ? Est-il capable d’être rassuré ?
Qui peut l’influencer ?
La communauté internationale. Il s’est « bunkerisé » dans son palais avec ceux qui chantent ses louanges et l’ont coupé du reste du pays, ceux qui lui font croire que tout est calme et que la liesse saisira les rues quand on annoncera les résultats.
Vous faisiez partie du gouvernement, avez-vous douté de la capacité d’Ali Bongo à gagner la présidentielle ?
Le doute sur sa capacité à gérer le pays de façon démocratique remonte à 2013, date à laquelle le président sort de la trajectoire sur laquelle on l’avait mis en 2009, pour son élection. Il est sorti d’une gestion transparente et démocratique du pays au congrès du PDG de 2013. Il s’est alors autoproclamé chef suprême du parti, comme si on était dans un monde militaire, alors que son père [Omar Bongo Ondimba, président du Gabon de 1967 à 2009] n’était que président fondateur. Nous n’avions pas besoin de ça.
A partir de ce moment, le pays a totalement glissé. Le budget n’a plus été exécuté, les opérateurs économiques n’ont plus été plus payés, les retraités du privé non plus…
Personne ne l’a contredit ?
A chaque débat, il acquiesçait, il disait qu’il allait remettre le PDG sur la bonne voie. Ensuite, on constatait que rien ne changeait et qu’on allait toujours dans le mur. C’est comme ça que le PDG s’est fissuré, qu’il y a eu des démissions. Il a répondu par des exclusions plutôt que de discuter et de repartir sur de nouvelles bases. Les uns et les autres étant partis, le PDG est en totale déliquescence, et il risque de disparaître de la scène politique.
D’autres démissions sont à venir ?
Ma démission n’est pas liée aux fissures dans le pouvoir. Ma démission est une prise de position en faveur du peuple gabonais, à qui la souveraineté a été refusée. Beaucoup de hauts cadres du parti étaient convaincus que s’il n’y avait pas de recomptage avant publication des résultats, le pays allait imploser et que la sous-région, même, serait déstabilisée.
Aujourd’hui, il règne le calme précaire parce que la population attend le recomptage des résultats, un recomptage transparent, crédité par les observateurs internationaux. Cela permettrait de ramener la confiance envers les institutions démocratiques. Sinon, il y aura une implosion que personne ne pourra arrêter. Même si Jean Ping décidait de se retirer personnellement de cette affaire, la population n’accepterait pas qu’Ali Bongo soit intronisé.
Existe-t-il une alternative ?
Le mieux serait de reprendre le processus électoral au niveau national ou au niveau du Haut-Ogooué. Cette option n’est pas encore en discussion, mais ce serait la meilleure. Et que cette nouvelle élection soit supervisée par la communauté internationale, pas seulement observée, dans le cadre d’une transition qui interdirait à Ali Bongo d’avoir la main sur tout le processus électoral.
La Cour constitutionnelle, qui doit annoncer le résultat final de la présidentielle du 27 août, peut-elle prendre une décision sereine ?
La Cour peut faire le travail sérieusement, mais il faut que ses membres soient en sécurité. Il faudrait une force internationale qui – au-delà de la protection de la population – assurerait la protection de la Cour et de ses membres de façon à ce qu’ils puissent travailler en toute sérénité. Ce qui n’est pas possible si la sécurité est assurée par la garde républicaine, qui est là pour faire pression sur eux et faire proclamer les résultats revolver sur la tempe.
Vous dites avoir été victime d’une tentative d’assassinat ?
Ils ont essayé de me tuer. J’ai été victime de trois tentatives d’assassinat ou d’enlèvement depuis le 30 août, immédiatement après la publication de ma déclaration. Les forces de sécurité ont débarqué à mon domicile, que je venais de quitter depuis une minute. Ils n’ont trouvé que le gardien. Je savais que le système répondrait par des mesures de représailles.
Puis le 1er septembre, ils ont encerclé le lieu où je m’étais mis en sécurité et que je venais de quitter. Ils m’ont cherché, ne m’ont pas trouvé, ils sont repartis.
La troisième fois, c’était le 6 septembre, après avoir déposé ma démission du gouvernement et du PDG. Dans la nuit, j’ai été victime d’une tentative d’assassinat par un escadron de la mort composé de gens cagoulés, habillés en civils, armés qui ont menotté mon gardien. Ils ont cru que je reviendrais dormir chez moi. Ma salle de vidéosurveillance a été saccagée, mes enregistrements emportés, ma chambre a été cassée. Malheureusement pour eux, ils ne m’ont pas trouvé. Ils n’ont rien volé, rien pris, cela signifie que c’est ma personne qui était visée. Ils sont partis en donnant des coups de crosse à mon gardien.
C’est pourquoi j’ai décidé de me mettre en sécurité en dehors du pays et de sensibiliser la communauté internationale sur la nécessité de faire respecter la souveraineté populaire. Il faut faire entendre raison à Ali Bongo, que cesse le carnage et qu’il ne se retrouve pas un bon matin devant la Cour pénale internationale. Il n’a qu’à mettre ça sur le dos du ministre de l’intérieur et du président de la Cénap qui devront en répondre devant la justice. Alors, les Gabonais lui pardonneront ce qu’ils subissent.
Ce ne serait pas très juste, non ?
Pas très juste, mais ce sont eux qui sont venus lui apporter ces résultats. Pourquoi n’ont-ils pas démissionné comme moi ?
Pourquoi n’avez-vous pas démissionné avant ?
Je suis de ceux qui ont essayé de le convaincre de changer de trajectoire pour revenir aux fondamentaux. Nous espérions qu’il accepterait sa défaite, qu’il irait siéger à la Cour constitutionnelle et que nous, les anciens, on reprendrait le PDG en main pour en faire un parti de reconquête du pouvoir. Je pensais qu’il reconnaîtrait sa défaite. Au contraire, il s’est retranché dans son palais, entouré de chars, nous rappelant le scénario ivoirien [en 2010, quand le président Laurent Gbagbo n’a pas accepté sa défaite contre Alassane Ouattara, provoquant un début de guerre civile].
Propos recueillis par Christophe Châtelot