La Cour constitutionnelle doit rendre son verdict au plus tard demain vendredi. Et les partisans de Jean Ping, rival malheureux du sortant Ali Bongo Ondimba, ont du souci à se faire. Voici pourquoi.
Une bonne dose de fatalisme, une mesure de rage rentrée, une pincée de folle espérance, le tout nimbé d’un halo de peur diffuse, rançon des émeutes meurtrières et des pillages d’hier: telle est la recette du cocktail hautement volatil qui fermente de Libreville à Port-Gentil à la veille de la décision de la Cour constitutionnelle (CC).
Sauf report, la plus haute juridiction gabonaise livrera demain vendredi, au terme des deux semaines d’instruction réglementaires, son verdict: il s’agit de valider ou pas la « réélection » miraculeuse du chef de l’Etat sortant Ali Bongo Ondimba, à la faveur du scrutin à un seul tour du 17 août dernier. Autant dire que règne une ambiance de veillée d’armes. Même si nul acteur doué de raison n’aspire à prendre au pied de la lettre une formule à ce point martiale.
Une audience publique attendue
L’ultime acte de la tragi-comédie amorcée le 8 septembre, avec le recours déposé « sans illusions » par le challenger officiellement vaincu, Jean Ping? L’audience publique programmée ce jeudi à 15H00 heure locale, soit 16H00 à Paris. Les rapporteurs de la Cour constitutionnelle sont supposés présenter leurs conclusions, avant de céder brièvement la parole aux avocats des deux parties, Me Francis Nkéa pour « Ali » et son confrère Jean-Rémy Bantsara pour le rival malheureux.
Puis les neufs magistrats de la Cour, conduits par sa très abrupte présidente Marie-Madeleine Mbarantsuo, alias « 3M », se retireront pour délibérer. Pour peu qu’il y ait encore matière à discussion…
Depuis ce mercredi après-midi, le « Club des 9 » et ses juges assistants examinent, armés de calculettes, les procès-verbaux émis par les 2579 bureaux de vote du pays. Sans les émissaires des candidats, mais en présence d’une délégation de cinq juristes dépêchés par la Commission de l’Union africaine. Le clan de Bongo Junior a-t-il beaucoup à craindre de ces observateurs supposés neutres ? Pas sûr. L’un d’eux vient du Togo, nation dont le président, Faure Gnassingbé, passe non sans raison pour un allié fidèle du locataire du Palais du Bord de Mer. Quant à son collègue tchadien, on le voit mal jouer les boutefeux contestataires au regard des usages politiques en vigueur dans sa patrie d’origine.
Intenses pressions sur la Cour constitutionnelle
Un oeil maintenant sur les pièces du dossier. L’opposition a fourni les 174 procès-verbaux de la province du Haut-Ogooué, épicentre du contentieux électoral du fait de ses résultats ubuesques. Quant au camp du sortant, il a déposé ce qu’il considère comme les preuves d’irrégularités imputées à son adversaire dans plusieurs autres provinces, dont celle de L’Estuaire. L’ennui, c’est qu’il y a litige sur les modalités du « recomptage ». Les pro-Bongo réclament la révision des PV de TOUS les bureaux. Quand les pro-Ping concentrent le tir sur le Haut-Ogooué et exigent l’examen des registres originaux, et non ceux validés par la Cenap, commission électorale suspecte de partialité.
Cela posé, tout porte à croire que l’issue de l’épreuve de force ne dépend pas, stricto sensu, de la validité des arguments juridiques échangés. Elle résultera selon toute vraisemblance du solde des pressions intenses et contradictoires exercées sur la Cour constitutionnelle. Etant entendu qu’en vertu de la loi de la proximité, les plus immédiates, donc les plus efficaces, émanent du régime en place.
Amateurs ou professionnels, les « gabonologues » ont beaucoup glosé sur l’inconnue familiale et les tropismes consanguins de l’équation constitutionnelle, comme sur la fraîcheur alléguée des relations entre Bongo Junior et « 3M ». A cet égard, le pointage proposé par La Lettre du Continent dans son édition du 21 septembre, laisse supposer que la « Tour de Pise », surnom peu flatteur décerné à la Cour pour sa propension à pencher du côté du pouvoir, n’a guère de chance de malmener la tradition.
Quitte à se voir démenti par les faits dans quelques heures, hasardons le pari suivant: pour revêtir des atours du légalisme un arbitrage d’essence politique, la CC va apporter diverses corrections aux chiffres de la Cenap. Réduisant à la marge l’ampleur du triomphe d’Ali dans son fief altogovéen. Rognant les performances de Ping dans L’Estuaire et ailleurs. Et, prodige, la combinaison des retouches entérinera la victoire de l’héritier…
Le Gabon retient son souffle
Tandis que le Gabon, qui tourne au ralenti, retient son souffle, le noyau dur du Palais brandit dans un même élan la carotte et le bâton. Si le sortant se dit « prêt à rencontrer » son ex-beau-frère Jean Ping « afin que plus aucun Gabonais ne trouve la mort », le ministre de l’Intérieur Pâcome Moubelet Boubeya soutient que l’opposition organise des « cellules de coordination » appelées à orchestrer des commandos de guérilla urbaine à Libreville, Lambaréné, Oyem ou Port-Gentil. Quant à Alain-Claude Bilie By-Nze, porte-voix zélé du gouvernement, il juge utile de préciser que « si [Ping] franchit la ligne rouge, il sera arrêté ». Pourvu que la ligne en question ne soit pas rouge du sang des citoyens gabonais…
Dans sa dernière livraison en date, le magazine Jeune Afrique rapporte cette anecdote instructive: à Mouila, le 17 août 2008, jour de la fête nationale, le patriarche Omar Bongo Ondimba, pourtant affecté par le mal qui ronge alors son épouse Edith-Lucie, réserve la première danse de la soirée à « Marie-Madeleine », cette ex-maîtresse qu’il a placée dix-sept ans plus tôt aux commandes de la Cour constitutionnelle. Imagine-t-on vraiment celle qui ouvrit le bal avec le père fermer le ban avec le fils?
« La Cour, avance Me Nkéa, l’avocat de Bongo Fils, est le médecin de l’élection. Elle doit le désinfecter de tout ce qui la pollue. » Chiche? Hélas, on a vu, depuis le Diafoirus de Molière, tant de patients périr guéris…