Comme prévu, la Cour constitutionnelle a validé nuitamment la « réélection » du sortant Ali Bongo Ondimba. Consacrant ainsi une victoire à la Pyrrhus.
C’est donc au coeur de la nuit, à l’heure des cambriolages et des monte-en-l’air, que la Cour constitutionnelle (CC) a rendu son verdict. Et pour le coup, la « Tour de Pise » -surnom que lui vaut sa propension chronique à pencher du côté du pouvoir en place- n’aura pas failli à sa réputation. Bien sûr, pour draper son forfait dans les oripeaux du droit, la juridiction suprême du Gabon a infligé à une salle quasiment déserte un long exposé des motifs. Manière, aussi, de prolonger le simulacre, de laisser la fatigue plonger Libreville, Port-Gentil, Lambaréné et Mouila dans un sommeil inquiet.
Le dénouement était écrit
Pour faire bonne -ou mauvaise- mesure, les neuf juges emmenés par la présidente Marie-Madeleine Mborantsuo ont amplifié la maigre avance dont la Commission électorale, la fameuse Cénap, avait gratifié le sortant Ali Bongo Ondimba. De près de 6000 voix d’avance, on passe ainsi à 11700. Ce qui permet au prophète d’une introuvable « émergence » de franchir en appel le seuil symbolique des 50%. En l’occurrence, 50,66 contre les 49,80 officiellement décernés le 31 août, quatre jours après le scrutin. Son rival Jean Ping perdant quant à lui 1% dans la bataille.
Il y a toujours quelque chose de vain et de dérisoire à se citer. Mais difficile cette fois de résister à la tentation. Qu’écrivions-nous hier vendredi à la même heure ? Ceci: « Hasardons le pari suivant: pour revêtir des atours du légalisme un arbitrage d’essence politique, la CC va apporter diverses corrections aux chiffres de la Cénap. Réduisant à la marge l’ampleur du triomphe d’Ali dans son fief altogovéen [référence à la province du Haut-Ogooué]. Rognant les performances de Ping dans L’Estuaire et ailleurs. Et, prodige, la combinaison des retouches entérinera la victoire de l’héritier… ». Ni boule de cristal, ni marc de café: pour qui connaît un peu les moeurs politique de la principauté pétrolière d’Afrique équatoriale, le dénouement était écrit.
Une trahison de l’impératif démocratique
D’autant que le Palais avait pris la précaution de déployer la Garde républicaine et la Gendarmerie dans les secteurs réputés sensibles de la capitale. Et de coffrer plusieurs figures de l’opposition, à commencer par l’ex-cador du renseignement Léon-Paul Ngoulakia, cousin d’Ali et ancien patron du Conseil national de sécurité.
Du côté des partisans de Jean Ping, l’accablement semble à ce stade l’emporter sur la colère. Il se peut que Bongo Junior et les faucons qui l’entourent aient, au moins en apparence, gagné leur pari: celui de la force, de l’usure et du pourrissement. Reste que ce second septennat commence sous les pires auspices qui soient: une légitimité en berne, une base sociale effritée, une assise amoindrie et verrouillée par les sécurocrates, un PDG -le parti du chef- miné par les défections…
Lors d’une allocution nocturne et néanmoins télévisée, le sortant miraculé a lancé cette invite surréaliste: « J’appelle tous les responsables politiques, y compris les candidats malheureux à l’élection du 27 août, à un dialogue politique. » Soit, mais pour parler de quoi, avec qui et où? Au parloir? « Lorsqu’au sortir d’un scrutin, a-t-il poursuivi, des familles pleurent des morts, c’est une trahison de la démocratie. Plus jamais ça! » Plus jamais quoi? Plus jamais de fraude et de dévoiement du suffrage universel? Au demeurant, il y a mille manières de trahir l’impératif démocratique. Avec ou sans vies fauchées.
Par Vincent Hugeux