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Gabon: Une victoire sortie des ténèbres

A chaque peuple son histoire, à chaque nation son seuil de tolérance de l’intolérable… On attendait le Gabon avec anxiété, et c’est la République démocratique du Congo qui surgit avec frayeur…

Anthony Lattier : Au fin fond de la nuit, la Cour constitutionnelle du Gabon a proclamé la victoire d’Ali Bongo à la présidentielle du 27 août dernier. Il n’y a donc pas eu de miracle…

Jean-Baptiste Placca : Imaginez donc que cette Cour se soit prononcée pour la victoire de Jean Ping. L’Afrique se serait réveillée, ce samedi 24 septembre 2016, avec le sentiment de vivre un moment historique, la fin d’un régime en place, de père en fils, depuis bientôt un demi-siècle. A la différence de l’audience de la veille, la présidente de la Cour constitutionnelle n’avait plus ses lunettes teintées. Comme si elle voulait regarder les Gabonais, bien dans les yeux, pour leur dire qu’elle assumait pleinement cette décision qui relance les incertitudes et les inquiétudes… Car les opérations qui ont abouti à cette victoire n’ont rien de convaincant, et nul ne peut prévoir ce qui va advenir, désormais, dans ce pays.

Les peuples africains ont soif, plus que jamais, de démocratie vraie et d’alternance, et pas seulement les peuples qui vivent sous le joug de régimes dont ils craignent de ne jamais pouvoir se défaire.

Pour faire l’histoire, il faut des hommes – et des femmes – de grand courage, capables, ne serait-ce qu’un instant, dans leur vie, de faire preuve d’une hardiesse héroïque. Ce n’est pas exactement ce qui s’est produit, cette nuit, à Libreville.

Le courage était si peu présent que les membres de la Cour constitutionnelle, avant même de rendre leur arrêt, se sont fendu d’un message, d’une… « communication », à l’endroit des Gabonais, pour leur dire qu’ils avaient repéré ceux qui, parmi eux, voudraient éventuellement s’en prendre à eux ou à leurs familles. C’est inhabituel de voir des juges menacer, à mots à peine couverts, tous ceux qui voudraient réagir négativement par rapport aux décisions qu’ils s’apprêtent à rendre. Le courage du magistrat convaincu d’être juste dans sa décision, est de rendre ses jugements, sans préalablement se prémunir contre d’hypothétiques représailles des justiciables.

L’Histoire s’écrira une autre fois, lorsque les Gabonais auront décidé qu’il est vraiment temps de passer à autre chose.

Sauf que, en général, cela se règle ailleurs que dans les urnes…

Hélas, oui ! Mais il n’en est ainsi que dans les pays où l’alternance dans les urnes devient impossible. Comme au Burkina, ou en Tunisie, pays dans lequel Ben Ali, deux ans à peine après s’être fait réélire à près de 90 % des voix, a perdu le pouvoir à la suite d’une injustice ordinaire, sur un modeste vendeur ambulant. A chaque peuple son histoire, à chaque nation son seuil de tolérance de l’intolérable…

Revenons à la Cour constitutionnelle du Gabon. Elle n’a fait, après tout, que procéder aux redressements qu’elle a jugés nécessaires.

Et c’est là, tout le problème. On aurait pu revoir tous les votes, en détail. Le cas du Haut-Ogooué semblait trop embarrassant, alors, cela a été réglé avec une gymnastique qui a semblé sauver les apparences. Le candidat Ali Bongo n’avait introduit aucun recours. Mais, en réponse à ceux de Jean Ping, il a glissé quelques contestations sur des bureaux de vote à Libreville et à Port-Gentil, et c’est de ces cas que la Cour constitutionnelle s’est saisie pour, par un jeu d’annulations et de soustractions peu convaincantes, arriver comme par miracle aux chiffres qu’il faut pour entériner la réélection d’Ali Bongo. On est mal à l’aise. Très, très mal à l’aise.

Un mot sur la RD Congo, tristement endeuillée à la suite d’une simple manifestation pour le respect des délais constitutionnels quant à la tenue de l’élection présidentielle…

On attendait le Gabon avec anxiété, et c’est la RD Congo qui surgit avec frayeur. Une centaine de morts, dit l’opposition, « une trentaine », réplique le pouvoir. Et lorsque François Hollande, comme d’autres dirigeants du monde libre, s’en émeut, le porte-parole du gouvernement congolais lui rétorque que la République démocratique du Congo n’est pas un département d’Outre-mer français. L’on s’en serait douté. Car en France, tout chef d’Etat qui entre en fonctions sait, à un dimanche près, à quelle date se tiendra l’élection pour sa succession, et ne peut donc, à l’approche de l’échéance, se mettre à ruser pour proroger sa présence à la tête de l’Etat.

Figurez-vous que, en France métropolitaine ou dans les départements d’outre-mer, une simple manifestation revendiquant le respect des dates prévues pour la tenue d’une élection ne peut se solder par 30 à 100 morts, sans incidence pour le pouvoir que protègent ceux qui tirent sur la foule, qu’ils soient en uniforme ou en civil. Donc, oui, la RD Congo n’est pas, ne peut pas être un département d’Outre-mer français.

Il est évident que jamais aucun officiel français ou portugais n’aurait parlé du Botswana ou du Cap Vert de la manière dont le pouvoir congolais déplore que l’on parle de lui.

Précisions :

Dans notre chronique du samedi 3 septembre, nous avons osé un parallèle entre la situation de Jean Ping, face au sortant Ali Bongo Ondimba, au Gabon, et celle d’Alassane Ouattara, face à Laurent Gbagbo, en 2010, en Côte d’Ivoire. Nous avons, notamment, laissé entendre que l’un voulait ardemment un nouveau décompte des voix, tandis que l’autre en voulait moins, et l’on aurait pu penser que c’est Laurent Gbagbo qui n’en voulait pas. Ce n’est, évidemment, pas conforme à la vérité historique, et nous nous en excusons humblement auprès des auditeurs et des visiteurs du site de RFI.

A l’époque, c’était plutôt le président sortant, Laurent Gbagbo, qui réclamait un recomptage des votes, à la différence de son challenger, Alassane Ouattara. Ce recomptage fut, surtout, catégoriquement refusé par la communauté internationale, y compris l’Union africaine, alors présidée par un certain Jean Ping.

Par Jean-Baptiste Placca

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